"Comme si on jonglait avec du feu" : ils ont moins de 30 ans et sont souffleurs de verre, rencontre avec les verriers de La Rochère

Depuis 1475, la verrerie de La Rochère, à Passavant-la-Rochère (Haute-Saône), a vu passer des générations de souffleurs de verres. Si les travailleurs changent, le savoir-faire, lui, reste intact, transmis par les anciens pour être magnifié par les novices. Un constat qui se vérifie aujourd'hui, puisque les quatre souffleurs de verre de La Rochère ont tous moins de 27 ans. Portrait de ces jeunes passionnés, héritier d'un métier centenaire.

Quand jeunesse rime avec tradition. Ils s'appellent Maud, Arthur, Aurore et Noah et sont souffleurs de verre. À 27, 25 et 22 ans, ils sont aujourd'hui les garants des traditions et techniques ancestrales de la verrerie de La Rochère (Haute-Saône), construite en 1475, plus ancienne verrerie d'Europe encore en activité, véritable joyau de l'artisanat français.

Dans ce lieu quasi-millénaire, c'est leur profession qui, selon les dires de Gilles Ambs, président de la verrerie, assure la "vitrine de l'entreprise". À La Rochère, ces souffleurs de verre sont peu : seulement quatre sur les quelque 120 personnes employées par la verrerie. Un groupe réduit qui charrie pourtant avec lui les conseils et expériences de tous les verriers d'arts passés dans les ateliers dans les ateliers haut-saônois.

On est une petite équipe, mais très soudée. Peut-être que notre proximité d'âge amène de la cohésion, de l'envie, de l'énergie. Mais on n'oublie pas qu'on a avec nous tous les conseils et techniques apprises par les anciens.

Maud Jacquemin,

responsable fabrication verrerie à La Rochère

Une sorte de filiation entre verriers d'art, que Maud connaît bien. À 27 ans, c'est elle, aussi surprenant que cela puisse paraître, la doyenne de l'équipe. Depuis un an, elle est même "responsable fabrication pour la verrerie main". Une certaine logique, quand on sait que la jeune femme est arrivée ici, il y a sept ans, le diplôme tout juste en poche. "Je n'ai connu que La Rochère" explique-t-elle. "Je suis arrivée, j'étais la plus jeune. J'ai commencé par les bases, j'ai été formée en détail et petit à petit, je suis montée en grade".

Une filiation entre générations

Si aujourd'hui c'est elle qui donne les conseils et surveille les gestes techniques nécessaires au domptage du verre en fusion, cela n'a donc pas toujours été le cas. Pendant longtemps, c'étaient même les missions de Guy Rousset, ancien souffleur de verre à La Rochère, mémoire vivante de l'entreprise, parti à la retraite il y a un an. Justement, quand nous visitons les ateliers, il est là, Guy, venu donner un coup de main.

"Je viens quelques fois pour aider" sourit-il malicieusement derrière ses lunettes rondes. "Je suis rentré à La Rochère quand j'avais 15 ans. Ici, c'est ma vie, j'ai fait 45 ans de boîte. On ne coupe pas si facilement". Dans l'atelier, Guy, qui n'a rien perdu de son doigté, distille les conseils et aide à la fabrication des baromètres à eau. Nous parlions précédemment de filiation, la voilà sous nos yeux. "Dans notre métier, la transmission est de première importance" confie Guy. "C'est merveilleux de pouvoir montrer le métier aux jeunes".

Ils sortent d'école, ils ont tant à apprendre. J'ai moi-même été pris sous l'aile des anciens à mes débuts. Et à mon tour, j'ai formé Maud pendant sept ans. La voir désormais à ma place, c'est génial. C'est l'aboutissement de toutes ces années de travail. La finition, si on emprunte un terme technique.

Guy Rousset,

ancien souffleur de verre à La Rochère

Pendant plus d'une heure, Guy se rappellera à sa vie pas si lointaine de maître verrier, en enchaînant les baromètres à eau sous le regard curieux des visiteurs, l'atelier étant ouvert au public. À ses côtés, Maud, son ancienne élève, et Noah, âgé de 22 ans, un des benjamins de l'équipe. "Je suis arrivé il y a un an" précise-t-il. "Mais depuis la visite d'un atelier, j'ai toujours voulu faire ce métier. Cela m'avait fasciné. C'est une profession atypique, qui nécessite différentes qualités qu'on oppose parfois comme la patience, la méticulosité, la rapidité d'exécution ou la force physique".

Travailler à La Rochère : "une grande fierté"

Le jeune homme l'avoue, être à La Rochère est pour lui "une grande fierté". "L'ancienneté de notre verrerie est un gage de savoir-faire, et de conservation de ce savoir-faire à travers les générations" dit-il. "Ici, on est une équipe assez jeune, donc on s'entraide beaucoup. Mais chacun de nous, avec ces expériences différentes, fait évoluer ses collègues".

Lorsque Noah, parle, ses mots sont teintés de passion. Ce métier, il l’a choisi, il l'aime, et il ne le lâcherait pour rien au monde. "C'est parfois dur. On est constamment dans la chaleur, on travaille sous le regard des gens... Mais c'est magique" s'enflamme-t-il. "On a un pouvoir de création immense, on modèle le verre en fusion comme on veut. J'ai vraiment l'impression de donner naissance à un enfant à chaque pièce Et même si on enchaîne, aucun objet n'est identique. Il y aura toujours un geste, une respiration qui sera différente car on sera fatigué ou moins attentif".

"On jongle avec une matière à 1 120 degrés"

Voilà qui fait toute la beauté du processus. Et malgré les années de différence, c'est le même entrain qui s'entend chez Guy Rousset. "Nous verriers, on jongle avec une matière à 1 120, 1 130 degrés" s'extasie-t-il. "On tient du feu dans nos mains et avec le verre, on peut presque tout réaliser. C'est ce qui m'a toujours fasciné : toutes les créations possibles grâce aux dizaines de techniques, qui amènent à des pièces parfaites".

Des pièces parfaites, les souffleurs de verre en sortiront environ 150 en une journée, de 8h30 à 16h30 : 50 baromètres à eau, et 100 carafes dont la confection a été laissée à Arthur et Aurore. Tout ça sous le regard de dizaines de visiteurs, qui se succèdent pour voir les artistes à l'ouvrage. "Au début, c'est un peu stressant" confie Maud. "Mais on finit par s'y habituer et à ne plus craindre de casser quelques pièces. Les gens voient la chaleur, le verre gonfler quand on souffle, les changements de forme. C'est très visuel".

Un show grandeur nature qui, et Maud ne le dira pas, participe grandement à la réputation du lieu, deuxième site le plus visité de Haute-Saône. "Avec notre boutique, c'est vraiment ce que les gens veulent voir" assure Gilles Ambs, directeur de la verrerie. "Et même si ce que font nos souffleurs ne représente que 3 à 4 % de nos productions totales, nous souhaitons pérenniser et faire progresser cette verrerie artisanale pour des raisons économiques, mais aussi historiques".

L'âge des souffleurs de verre atteste de cette vision sur le long terme. À voir les ateliers de La Rochère, le métier n'est pas en perdition, bien au contraire. Le mot de la fin pour Guy Rousset et son expérience. "Voir des jeunes motivés, qui aiment ce métier, quelle joie. Quelle fierté" conclut-il avec émotions. "Ça fait chaud au cœur de voir que derrière nous, on a des jeunes professionnels avec qui on partage la même passion, qui continue le "geste verrier" et surtout, qui vont le transmettre à leur tour". Pas de doute, la relève est là.

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