Témoignages.  Annoncer un décès, "ça reste gravé à jamais" : comment les gendarmes mènent cette délicate mission

Publié le Mis à jour le Écrit par Sophie Courageot
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En cette période de Toussaint, des gendarmes ont accepté d’évoquer l’une des facettes de leur métier. La mort qu’il faut annoncer soudainement à une famille. Comment annoncent-ils les décès lorsque survient un accident de la route, un suicide, ou une découverte de cadavre ?

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“Asseyez-vous, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer”


Un gendarme ou policier qui frappe à la porte. Cette scène, nous redoutons tous de la vivre un jour. Durant sa carrière, le major Cyril Willers, 55 ans, a dû annoncer au moins une dizaine de décès. Le plus dur : venir chez les gens pour la mort d’un enfant. “Forcément, un gamin de 13 ans qui se tue à moto, c’est dur pour l’enquêteur, et quand on a en face de soi, la maman qui s’écroule, c’est impactant”. Ce jour-là, Cyril Willers a sollicité le maire de la commune pour qu’il l’accompagne. 

Tout gendarme y sera confronté un jour"


Dans les brigades de France, il n’y a pas de gendarme “spécialisé” à ces annonces douloureuses. Quand un accident de la route se produit, qu’un corps est découvert, c’est en général à l’officier de police judiciaire qu’il incombe de prévenir les proches du décès survenu. ”Il y a en école, un module de sensibilisation pour les plus jeunes. Maintenant, dans la pratique, on ne laisse pas les jeunes gendarmes annoncer les décès. On fait en sorte que la mission repose sur des gens qui ont de l’expérience, car il faut s’entourer d’un certain nombre de précautions quand on va annoncer la nouvelle à une famille qui va subir le choc” explique le colonel Alban Delalonde, patron de la gendarmerie de Haute-Saône. 

Malheureusement, on n’atténuera pas la douleur et le choc des gens, encore faut-il le faire en faisant preuve d’empathie, de compréhension, tout en ne sortant pas de notre rôle de gendarme.

Alban Delalonde, patron de la gendarmerie de Haute-Saône.

Chaque décès est différent, chaque famille aussi

Au moment d'annoncer l'inacceptable, chaque gendarme est renvoyé également à son propre regard face à la mort. Il n’y a donc pas de formules "toutes faites" quand on sonne à la porte d’un domicile, en étant porteur d’une funeste nouvelle.

Cyril Willers, qui commande aujourd’hui la brigade de gendarme de Dampierre-sur-Salon (Haute-Saône) a appris au fil du temps à mener cette tâche. Les gendarmes sont pour la plupart du temps en binôme quand ils informent d'un décès. 

Pour un suicide, la plupart du temps, les personnes s’y attendent du fait des antécédents de la victime. Ils disent qu’ils s’en doutaient. Ils accusent le coup beaucoup plus qu’un accident de la route qui est un coup de massue.

Major Cyril Willers, commandant de la communauté de bridage de Dampierre-sur-Salon


“Je suis désolé, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer”, Cyril essaie d’employer des mots simples pour faire cheminer en une fraction de seconde vers la perte d’un être cher. 

Il y a des gens qui vont poser la question tout de suite, est ce que mon fils est mort ? Il faut leur dire la vérité tout de suite, car, tourner autour du pot, c’est créer une souffrance supplémentaire.

Alban Delalonde, patron de la gendarmerie de Haute-Saône.


D’autres auront besoin d’un peu plus de temps pour comprendre ce qui se passe. Et puis, il y a les questions auxquelles il faut trouver les bons mots pour répondre : “comment est-il mort ?”, “a-t-il souffert ?”. 

L'annonce d'une mort, ça reste gravé. On n'oublie jamais. Ça reste enfoui dans un coin de la tête.

Major Cyril Willers, commandant de la communauté de bridage de Dampierre-sur-Salon

Comment "encaisser" le coup psychologiquement ?


Une fois l’annonce d’un décès effectué, les gendarmes passent en général le relais à la famille, à un élu de la commune, aux pompiers, lorsqu’une prise en charge médicale est nécessaire.

La mort ne s’oublie pas. 3.167 personnes ont perdu la vie en 2023 sur les routes de France. Le gendarme voit les dépouilles, puis fait face aux familles. Un double traumatisme qu’il faut encaisser. “La première fois que ça arrive, cela a un impact. Et puis au fur et à mesure, on arrive à évacuer cela…On est, comme les pompiers, je pense, on en parle ouvertement en rentrant à la gendarmerie” précise Cyril Willers.

“La notion de groupe est importante, on a en général des gendarmes qui passent plutôt bien ce cap d’annonce des décès. Malgré tout, on a des ceintures de sécurité, des psychologues qui sont là pour accompagner les gendarmes quand ils ont des difficultés ou après avoir vécu eux-mêmes un choc traumatique. Le gendarme, c'est celui qui est confronté à la mort lui-même, avant même d’aller voir les familles” souligne le patron de la gendarmerie de Haute-Saône. 

Des décès, des images gravées dans un coin de la tête


Après 30 ans de carrière, le gendarme Willers sait que certaines images de ses interventions sur le terrain ne s’effaceront pas. Une mère qui ne veut pas lâcher son enfant sans vie, une autre avec ses petits autour d’elle sur le palier de la porte, et ce père qui, parti en vélo, ne rentrera jamais. La vie des gendarmes est aussi faite de ces fragments de vies qui s’envolent en un instant.

De la Haute-Saône aux territoires français, l’acceptation de la mort se révèle différente selon chaque culture. “J’ai travaillé huit ans en outre-mer, à Tahiti par exemple, l’approche de la mort n’est pas la même. Elle se fait plus sereinement. En Martinique, les gens disent ‘Dieu l’a voulu”. Ici, les gens s’effondrent, pleurent, le contact de la mort n’est pas du tout pareil”. 


Les forces de l’ordre sont confrontées chaque jour à ces morts soudaines, inacceptables liées aux accidents de la route, mais pas seulement. Suicides et morts naturelles constituent la majorité des annonces de décès effectuées au quotidien par les gendarmes.

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