Depuis plusieurs mois, la météo a un impact direct sur les secteurs de la construction et de la rénovation. Face à la pluie, les artisans du BTP et du gros œuvre doivent s'adapter. Résultat, les chantiers s'accumulent et les coûts explosent, ajoutant une nouvelle difficulté pour des métiers déjà en tension. Exemple dans le Jura.
Ces gestes sont désormais devenus une triste rengaine. Bâcher. Latter. Clouer. Puis débâcher le lendemain. Cet enchaînement, les salariés de l'entreprise Jura Toiture les répètent depuis le mois de janvier dernier. La raison : les épisodes de pluies récurrents, qui viennent perturber leur quotidien. À leur grand désarroi.
"Pour que l'eau ne s'infiltre pas, on est obligé de faire cela régulièrement pour avancer sur nos chantiers" explique Christophe Boubouleix, chef d'équipe de la société, interrogé sur un chantier, à Dole, par nos journalistes Inès de Pampelonne et Hugues Perret. "C'est répétitif, lassant, difficile et relativement dangereux".
Cela prend également du temps, entre 1 h 30 et 2 heures de rab pour chaque manœuvre. Et puis c'est du gaspillage de matériel, car on casse parfois le lattage en le défaisant, et on perd les clous.
Christophe Boubouleix,chef d'équipe de la société Jura Toiture
Une perte de temps et d'argent pour cette entreprise jurassienne, qui a déjà été contrainte de décaler sept chantiers en 2024 à cause des caprices météorologiques. Les conséquences sont cruelles : moins 20 % de chiffre d'affaires par rapport à l'an dernier, et une charge mentale terrible pour les chefs d'entreprise.
"On ne veut plus regarder la météo"
"On est arrivé à un stade où je ne regarde plus la météo, ni le matin, ni le soir" regrette Laurent Boubouleix, gérant de Jura Toiture. "Regarder les mauvaises nouvelles et arriver au travail en sachant ce qu'on va trouver, c'est démoralisant et très angoissant".
On fait travailler les gars à l'atelier, sur des choses non prioritaires pour les occuper. Mais ce n'est pas ça notre métier. À chaque jour de pluie, on se dit qu'on ne pourra encore pas travailler comme on le souhaite, pas avancer, pas satisfaire les clients. C'est rageant.
Laurent Boubouleix,gérant de Jura Toiture
Laurent Boubouleix est abattu : "même si on est amoureux de notre métier, on va au travail presque à reculons le matin" lâche-t-il. "Je n'avais jamais connu ce sentiment en 24 ans de carrière". Un triste constat malheureusement partagé par la plupart des entreprises du BTP locales puisque dans le Jura, il est tombé 20 % de précipitations en plus que la moyenne habituelle.
Des conséquences sur les trésoreries
"La météo fait partie du métier" concède Thibault Thiou, gérant d'une entreprise de terrassement jurassienne. "Mais d'habitude, on peut travailler correctement dès mars. Là, on est en mai, et c'est toujours la galère. Et il n'y a pas d'améliorations prévues".
À quelques kilomètres de Dole, le terrassier fixe avec dépit le sol "tout mou" de l'un de ses chantiers. "De l'eau a stagné. On va être obligé de recreuser pour retourner sur de la terre dure. Et on fait ça depuis 6 mois".
On redoute qu'il y ait des chantiers qu'on n'arrive pas à faire dans les temps, et qui nous valent des pénalités. Derrière, c'est à nous de les payer et il faut avoir les finances solides. Ça va finir par devenir compliqué.
Thibault Thiou,gérant de l'entreprise de terrassements Thiou Transports
Ces problèmes s'ajoutent en effet aux soucis d'approvisionnement, de recrutement, d'inflation connus notamment après le Covid. De quoi faire craindre le pire pour les secteurs de la construction et de la rénovation dans le Jura.
"On a subi une perte de productivité importante, car les chantiers ne sont pas faits dans les temps impartis" souligne Paul-Henri Bard, secrétaire général département de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB). "Donc les trésoreries sont de plus en plus impactées. Et vont l'être de plus en plus".
300 entreprises du Jura en difficulté ?
Et les premiers effets se font déjà remarquer. "Beaucoup d'entreprises de maçonnerie vivent déjà avec des avances sur trésorerie" reprend Paul-Henri Bard. "Même si l'été est sec, si la pluie reprend directement en septembre-octobre, certains risquent de mettre la clé sous la porte".
C'est la première fois qu'on voit ça. Il y a du travail pour tout le monde, mais la météo a un impact énorme. La seule solution serait une mobilisation du réseau bancaire pour que les banques ouvrent des lignes de crédit. Mais rien n'est sûr.
Paul-Henri Bard,secrétaire général département de la CAPEB
Combien d'entreprises sont réellement en danger ? Pour le secrétaire général de la CAPEB 39, "si les pluies se maintiennent, ce sont plus de 300 entreprises qui pourraient se retrouver en cessation de paiements".