Des vacanciers en situation de handicap venus du Jura ont dû interrompre leur séjour en Dordogne fin juillet. "Leur sécurité et leur bien-être moral” n’étaient pas assurés. L’entreprise de vacances adaptées appartient au même groupe que celle qui avait organisé le séjour à Wintzenheim, là où onze personnes sont mortes il y a tout juste un an dans un incendie.
Pur hasard, coïncidence fortuite ? À un an d'intervalle, deux entreprises du même groupe de vacances adaptées organisées sont à la une de l'actualité malgré elles. Heureusement, en cette fin du mois de juillet 2024 il n'y a pas eu de victimes, il ne s'agit que d'une décision administrative alors que le 9 juillet 2023, onze personnes ont perdu la vie dans l'incendie d'un gîte en Alsace.
Des vacances adaptées sur catalogue
Que s’est-il passé, cet été 2024, dans le village de vacances de Villambard en Dordogne ? Le séjour s’annonçait agréable et distrayant pour des personnes en situation de handicap. “Une escapade à la découverte des animaux de la terre et de la mer” avec visite du plus grand aquarium d’Europe et baignade dans le lac des Grésilles peut-on lire sur le site internet de l'organisateur Escapades adaptées.
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Un séjour de deux semaines réservé aux personnes ayant une bonne autonomie ou même moyenne. Ces vacanciers en situation de handicap peuvent être aidés dans certains actes de la vie quotidienne et peuvent être fatigables sans avoir de problèmes moteurs. L’entreprise Escapades adaptées, basée dans le Jura depuis 2017, mentionne dans son catalogue son agrément "vacances adaptées organisées" n°2023-002, obligatoire pour ce type de vacances.
Le groupe devait être maximum de 30 participants avec un(e) directeur(trice) et sept animateurs(trices). C'est justement des signalements effectués les 28 et 30 juillet 2024 par “la personne responsable de l’organisation du séjour sur le lieu de vacances adaptées organisées” qui a conduit la préfecture de Dordogne à mettre fin à ce séjour de vacances après un contrôle sur place des services de l’État le 29 juillet. L’Agence Régionale de Santé est également venue sur le site le 31 juillet.
Une entreprise jurassienne reliée à un groupe lyonnais
Pourquoi “la personne responsable de l’organisation du séjour” a contacté la préfecture ? Était-elle inquiète pour les vacanciers ? Les motifs avancés par la préfecture pour mettre fin au séjour sont, entre autres, une “problématique de comportement dans l’équipe malgré les éléments correctifs apportés” par "l’association Escapades adaptées” qui, en fait, est une société par actions simplifiées.
Une société dont une partie des actions, selon les informations publiées par le site pappers, sont détenues par Jérémie Gossart, cogérant de Voyages Adaptés Développement, une société lyonnaise, qui préside également Oxygène, l’entreprise qui avait organisé le séjour dans un gîte de Wintzenheim (Alsace) lors duquel onze personnes avaient péri dans un terrible incendie.
Oxygène, une entreprise mise hors de cause
C’était il y a tout juste un an, le mercredi 9 août 2023. Un autre séjour pour personnes en situation de handicap était organisé par l’association de Besançon, Idoine dans un gîte au rez-de-chaussée de la maison qui a pris feu.
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Seuls les vacanciers et un accompagnant professionnel d’Oxygène, résidant au premier étage, ont été victimes de l’incendie. D’après nos confrères de France Bleu Alsace, la seule personne mise en examen est la gérante du gîte.
Est-ce ce lien entre les deux sociétés organisatrices de vacances adaptées qui a incité la préfecture de Dordogne à rapidement mettre fin à ces vacances sous le soleil de Dordogne ? Contactée, la préfecture n’a pas répondu à nos questions. Quant à l’avocat de Jérémie Gossart, M°Jakubowicz, du barreau de Lyon, il souligne que son client a “totalement été mis hors de cause” lors de l’enquête et qu’il ne fait pas l’objet de procédure pénale.
"Revoir d'urgence" les procédures
Le drame de Wintzenheim avait conduit le gouvernement à demander à l’Inspection Générale des Affaires Sociales, l’IGAS, d’enquêter sur la situation des deux organismes de voyage adapté organisé (VAO) concerné par cet incendie. Les conclusions ont été publiées en septembre 2023.
Le rapport souligne que les agréments donnés par l’État aux organisateurs de voyage adapté organisé ne s’attachent pas au “déroulement des séjours” mais plus sur “les conditions d’organisations et de fonctionnement des structures”. Le rapport préconise le “principe de la responsabilité de l’opérateur quant à la sécurité des lieux d’accueil”.
Les inspecteurs de l’IGAS demandent dans leur rapport de “revoir d’urgence” les procédures pour assurer la sécurité des locaux avant l’arrivée des vacanciers. Ce sont évidemment les mesures de sécurité contre les incendies qui sont en tête de préoccupation des enquêteurs, mais la notion de sécurité est bien plus vaste.
La chaîne des actions des opérateurs et des administrations sociales chargées de leur suivi révèle une succession de défaillances, qui, mises bout-à-bout, soulèvent une question systémique quant à une prise en compte effective de la sécurité des vacanciers en situation de handicap.
IGAS
Nos confrères de France 3 Alsace ont cherché à comprendre ce qui avait changé depuis ce dramatique incendie. Selon Julien Carret, le responsable de Supernova, une structure en région Rhône-Alpes, il y a bien un avant et un après "Wintzenheim". "Avant, c’était à l’organisateur de s’assurer que la sécurité était respectée. Maintenant, l’administration de tutelle demande à ce qu’on lui fournisse deux documents. Il faut qu’on s’assure que l’hébergement a bien été déclaré à la mairie et qu’il y a bien eu un contrôle de la commission sécurité. Auparavant, on n’était pas obligé de fournir ces documents. Certains organisateurs, comme nous, vérifiaient, d’autres pas", détaille encore le professionnel.
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À peine un mois après l’incendie en Alsace, l’État décide de ne pas renouveler l’agrément de la société Oxygène, cette entreprise qui fait partie du même groupe que la société jurassienne Escapades adaptées.
Ces motifs, tenant à la prise en charge des vacanciers handicapés et à la transparence de l’opérateur, conduisent les services de l’Etat à mener une réflexion sur les autorisations délivrées aux autres sociétés du groupe VADEV, holding de rattachement de la SAS Oxygène, dont le fonctionnement est très intégré.
IGAS
Est-ce que les services de préfecture ont tenu compte du rapport de l’IGAS avant de prendre la décision de mettre fin au séjour des personnes en situation de handicap ? Est-ce que la personne responsable de ce groupe l’avait lu elle aussi ?
Un secteur en pleine évolution
Dans un second rapport, l’IGAS fait le point en mai 2024 sur les vacances organisées pour les adultes handicapés. Un “état des lieux et leviers d’amélioration” qui avait été demandé par les inspecteurs du premier rapport.
En 2023, il y avait en France, 213 organismes qui proposent des voyages adaptés organisés. 5229 séjours pour plus de 55 000 vacanciers ont été réalisés. Ce rapport précise que ce secteur est largement animé par les associations et les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Un secteur non lucratif représenté par le Conseil National des Loisirs et du Tourisme Adaptés. Son président, René Moullec, rappelle que ses adhérents partent du principe que "l'organisateur soit solide financièrement, mais que cela ne soit pas des personnes privées qui tirent profit de l'organisation de ces séjours adaptés".
Malgré le développement important du secteur lucratif ces dernières années et des phénomènes de concentration économique du secteur, 80 % des opérateurs demeurent sous statut associatif.
IGAS
L’entreprise lyonnaise de Jérémie Gossart, Voyages Adaptés Développement (VADEV), fait justement partie des 20% d’organismes privés. En 2023, le privé est à l’origine de 27% des séjours, ce qui montre la taille importante de ces intervenants.
Les inspecteurs de l’IGAS soulignent que lors de leurs auditions, ils ont rencontré des “acteurs très engagés quels que soient le statut et la taille de l’organisation”. Ce secteur doit concilier, rappellent les inspecteurs, à la fois des objectifs de découverte, d’épanouissement, de dépaysement, bref la liberté des vacances et un cadre réglementé pour assurer “bien-être et la sécurité”. Tout ce qu'étaient venus chercher les vacanciers venus du Jura en passant deux semaines en Dordogne.