COVID-19 : Confinement et troubles psychiques, la double peine

En cette période de confinement, les troubles de l'anxiété risquent de s'aggraver. Comment les malades psychiques vivent-ils cette privation de liberté ? Familles, accompagnants et soignants témoignent. En psychiatrie, la crise sanitaire pose de nouvelles difficultés dans le suivi des patients.

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Malade psychique depuis une dizaine d'années, la fille d'Evelyne Miguet se replie de plus en plus sur elle-même. Voilà près d'un mois qu'elle ne se lève plus le matin. « Elle n'en éprouve plus le besoin malgré la présence de sa fille de 7 ans ». La jeune femme venait de trouver un emploi à mi-temps. Mais depuis le début du confinement son activité est arrêtée. « Depuis, elle n'a plus aucune motivation », explique Evelyne. Durant cette période, leur relation mère-fille est plus compliquée aussi. Heureusement les liens avec les professionnels de santé qui l'accompagnent sont maintenus, à distance. Le Service d'Accompagnement à la Vie Sociale (SAVS) poursuit son travail par téléphone. « J'ai une pensée surtout pour toutes les personnes seules et dont les parents ont abandonné la partie », dit Evelyne.
 

Déstabilisant, l'inconnu aggrave les angoisses


Le fils de Sylvie Lagarde est dans le même état de désœuvrement. A 30 ans, il avait commencé une formation professionnelle à la Maison des Personnes Handicapées (MDPH) de Clermont-Ferrand et poursuivait un stage à Lons-le-Saunier (Jura). Tout est interrompu aujourd'hui. « L'inconnu est d'autant plus déstabilisant pour lui qui a mis du temps à s'insérer dans une structure ». L'enfant de Sylvie souffre d'addictions liées à sa bipolarité. En ce moment, son sommeil est chaotique et les angoisses reviennent. Pour ne rien arranger, il a eu le plus grand mal à faire renouveler son traitement à base d'opiacés. Très réglementées, les prescriptions se font au compte-gouttes, toutes les trois semaines. C'est son Centre de soins et d'accompagnement pour les personnes addictes (CSAPA) situé au centre de la France qui s'en charge. « Mon fils a dû tricher, réduire sa prise de métadone temporairement le temps d'avoir une nouvelle prescription » confesse Sylvie.

« Nous sommes plus que jamais mobilisés », insiste Alexis Genet. Il dirige le dispositif spécialisé handicapé psychique au sein de l'association jurassienne Saint-Michel Le Haut. Basée à Salins-les-Bains, l'association gère plusieurs ESAT. Elle accompagne une centaine de personnes handicapées psychiques, les aide dans la vie quotidienne et facilite leur insertion sociale par le travail. « Il faut être encore plus présent aujourd'hui ». L'équipe d'éducateurs spécialisés et la psychologue appellent plusieurs fois par semaine chaque personne suivie. Ces professionnels les rassurent et savent déceler les signes avant-coureurs d'une crise. « Pour les urgences nous continuons à nous déplacer », précise Alexis Genet.
 

Des conditions d'hospitalisation "asilaires"


Dans les hôpitaux psychiatriques les mesures de confinement perturbent la prise en charge des malades psychiques. Visites des familles et sorties interdites, permissions suspendues, promenades limitées, au temps du confinement, les patients n'ont plus aucun contact « réel » avec l'extérieur. « C'est pire que l'asile du début du XXe siècle », lance tout de go un soignant qui souhaite garder l'anonymat. Nous l'appellerons Eric. Eric est infirmier psychiatrique au centre hospitalier Saint Ylie à Dole dans le Jura. « Je me préparais à ce que la situation devienne explosive, mais après quatre semaines de confinement, je constate avec soulagement qu'il n'y pas de montées d'aggressivité ». Les personnes admises dans son service sont des adultes de 18 à 65 ans qui souffrent de différentes pathologies mentales. Psychoses, addictions aux drogues, idées suicidaires, les troubles sont multiples. « Comment expliquer l'importance des mesures barrières à ces personnes fragiles ? » s'interroge-t-il. Souvent déconnectés d'une actualité qui risque d'accentuer leurs angoisses, certains malades n'ont pas toutes les clés pour comprendre la situation actuelle de crise sanitaire.
 

Faire tout ce contre quoi on se bat en temps normal


« En psychiatrie, on se retrouve à faire tout ce contre quoi on se bat en temps normal », lâche l'infirmier. Avant le confinement, les patients prenaient leur traitement l'un après l'autre en file indienne. Désormais les infirmiers leur apportent les médicaments directement dans leur chambre. « Je suis tellement concentré sur mes gestes, à vérifier en permanence derrière mes passages si j'ai bien désinfecté telle poignée de porte, telle table ». Une vigilance de chaque instant qui pèse à la longue et contribue à dégrader les relations établies entre soignant et patient selon lui. Les malades ne peuvent plus se retrouver à la cafétéria, un lieu de vie sociale important. De même pour les repas, ils sont pris à deux par table au lieu de quatre.
 

Interdites elles aussi, les sorties hebdomadaires font pourtant partie du processus de guérison pour nombre de patients. Ces excursions accompagnées les aident à vaincre leurs peurs. « Désormais nous ne pouvons plus les préparer de manière douce et progressive à se confronter à nouveau à la vie en société en vue d'une sortie définitive ». Si les sorties ne sont plus possibles, avec le covid-19 les entrées sont également réglementées. Pour vérifier l’absence de symptôme, les patients sont confinés 24 heures dans leur chambre. Dans l'intervalle, ils sont vus à la fois par le psychiatre et le médecin stomaticien. Cet isolement est difficile à faire respecter alors que la majorité des patients est fumeur.
Le 27 mars, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, a publié une série de recommandations relatives aux établissements de santé mentale. Parmi celles-ci, on peut lire que « l’interruption des visites des familles est compensée en facilitant les relations par téléphone ou Internet. Le CGLPL recommande à ce titre que les patients disposent librement de leur téléphone personnel, les exceptions ne pouvant être justifiées que par l’état clinique du patient ».
 

Nous ne sommes pas des héros ni des guerriers


Comme tout le monde, les malades ont un certain seuil de résistance et peuvent s'adapter. Mais jusqu'à quand ? De nombreux spécialistes redoutent un accroissement des hospitalisations post-confinement. Dans une tribune publiée hier, 8 avril dans les colonnes du Parisien, une centaine de psychiatres « s’inquiètent du sort des 12 millions de personnes souffrant de troubles psychiques, très perturbés par le confinement et qui consultent beaucoup moins ». Parent pauvre de la médecine, la psychiatrie aura-t-elle la capacité d'y faire face ? Eric en doute. Il craint qu'à long terme, les troubles des patients hospitalisés dans son service s'amplifient. « Il faut savoir que si on ne traite pas à temps les hallucinations ou les envies suicidaires, ces troubles empirent avec le temps ».
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