Mardi 3 octobre 2023, les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) lancent un appel à la mobilisation nationale pour protester contre leurs conditions de travail. Enfants mal suivis, salaires de misère, contrats faméliques, sentiment d'abandon de la part de l'État... En Franche-Comté, les revendications sont nombreuses contre une situation jugée "inacceptable".
Au bout du fil, sa voix s'anime au fur et à mesure qu'elle nous décrit son quotidien. Cynthia* est accompagnante d'élèves en situation de handicap (AESH) au collège Saint-Exupéry, à Lons-le-Saunier, dans le Jura. Depuis plusieurs années, elle aide des adolescents en situation de handicap ou présentant un trouble de santé invalidant. Un métier "noble", avec un objectif des plus louables : soutenir des jeunes en difficulté au sein de leur établissement, tant scolairement que socialement.
Un emploi primordial pour garantir l'inclusion portée haut par le gouvernement et le ministère de l'Éducation nationale. Et pourtant, dans la bouche de Mélissa reviennent les mots "abandon", "précarité" et "manque de reconnaissance". "On se lève tous les matins pour, à la fin du mois, n'avoir que 700 euros sur le compte en banque. Et j'ai deux enfants à charge à la maison. Forcément, c'est décourageant" assène-t-elle. "Nous ne sommes pas considérés comme un vrai métier, il faut que cela change".
Un cadre de vie précarisant
Ce coup de gueule traduit un sentiment de ras-le-bol général dans chez les AESH. Ainsi, les syndicats enseignants ont appelé à la grève nationale mardi 3 octobre, pour dénoncer les conditions de travail de ces accompagnants spécialisés, et alerter le grand public sur une situation "inacceptable".
"Il faut tout reprendre" s'insurge Nadine Gasne, AESH depuis 11 ans au collège Saint-Exupéry de Lons-le-Saunier et syndiquée au SNUIPP-FSU. "En moyenne, les AESH n'obtiennent que des contrats de 21h par semaine, pour un salaire mensuel en dessous de 800 euros. Vous vous rendez bien compte que c'est invivable".
Des petits contrats, laissant les employées (des femmes dans la grande majorité), dans une situation précaire. "Et le plus dur, ce n'est finalement pas notre salaire, mais les conditions dans lesquelles nos jeunes étudient" renchérit Cynthia.
Sur mes 21 heures hebdomadaires, je devais normalement m'occuper de deux adolescents en difficulté, l'un avec 12h de suivi, l'autre 9. Une semaine après la rentrée, on m'a prévenu qu'on me confiait un élève supplémentaire. J'ai dû refaire tout mon planning, et diviser par deux les durées d'aides. De 9h, mon deuxième jeune passe à 4h, alors qu'il doit passer le brevet. C'est désolant.
Cynthia,AESH au collège Saint-Exupéry de Lons-le-Saunier
Voilà le plus grave pour les AESH contactées par France 3 Franche-Comté : l'impact de ces conditions de travail sur les jeunes en situation de handicap. "On ne nous respecte pas, et encore moins les élèves" dénonce Valery*, AESH au collège Lou Blazer de Montbéliard (Doubs) depuis 11 ans. "Que devient le bien-être des enfants ? C'est tout bonnement de la maltraitance".
Véronique travaille 24 heures par semaine. 24 heures divisées pour cinq enfants. "Notre nombre diminue, alors que les besoins des enfants augmentent. Avant, les AESH étaient attachées à un jeune. Maintenant, nous sommes "mutualisées"" reprend-elle. "À la fin, c'est notre jeunesse qui trinque. Et nous qui culpabilisons. Quand j'ai une gamine qui me dit : "pourquoi tu repars déjà", c'est dur".
On sait bien que nous faisons le maximum et que ce n'est pas nous qui sommes responsables de la situation. Mais en tant que professionnelle, ça fait toujours mal de savoir qu'on n'offre pas les meilleures conditions de travail à nos adolescents. On culpabilise.
Cynthia,AESH au collège Saint-Exupéry de Lons-le-Saunier
Et les choses ne devraient pas aller en s'arrangeant, car les postes d'AESH attirent de moins en moins. "C'est compliqué de recruter avec un salaire aussi faible" soupire Nadine Gasne. "Donc on rentre dans un cercle vicieux : à cause du manque d'AESH, celles restantes se retrouvent à morceler leur temps de travail".
Syndicats enseignants et AESH tapent donc du poing sur la table et réclament plusieurs choses : des contrats équivalents temps plein, la création d'un véritable statut avec un corps de catégorie B dans la fonction publique ou encore la fin des PIAL (Pôles inclusifs d'accompagnement localisé), structure créée en 2021 pour organiser les AESH mais jugées "défaillantes" par les principales intéressées.
Autre volonté : l'abandon d'un projet de rapprochement des AESH avec les AED (assistants d'éducation, les surveillants d'établissements). "C'est un manque de respect total" fustige Nadine Gasne. "Ce ne sont pas du tout les mêmes métiers. Le danger, c'est qu'on arrive à "faites deux heures de soutien, puis deux heures de surveillance", etc. C'est la disparition des AESH". Et "une combine pour réduire les embauches" complète Valery. "On est loin des marques de reconnaissance qu'on demande. Pour eux, on est simplement des pions".
Le gouvernement se pare de beaux discours sur l'inclusivité. Mais derrière la façade, il y a zéro moyen. On touche à nos enfants. Celles qui s'occupent des plus fragiles sont fragilisées, précarisées à leur tour.
Katia Mougey,Force Ouvrière du Doubs
Un besoin de reconnaissance nécessaire pour chasser un sentiment d'abandon constant. "On se lève les matins avec l'envie d'aider les jeunes, et on nous prend pour des larbins" conclut Cynthia. "Pour faire notre métier, il faut de la patience, de la rigueur, du tact pour savoir gérer des adolescents parfois difficiles. Mais bon, on ne s'occupe pas de nous, on fait traîner ce système jusqu'à ce qu'il lâche complètement".
Ainsi, au sein du PIAL gérant le collège Saint-Exupéry de Lons-le-Saunier, quatre AESH sont déjà en arrêt de travail. Elles n'ont pas été remplacées. Toutes les accompagnantes interrogées nous ont-elles indiqué continuer de venir au travail "pour les enfants". Mais toutes seront également en grève ce mardi 3 octobre. Avec l'espoir que les choses changent, "même si pour être honnête, avec le rectorat, on a l'impression qu'on parle à un mur" confie Nadine Gasne.
* le prénom a été modifié pour conserver l'anonymat