C'est une performance industrielle. Le piège a été imaginé, conçu et mis en vente en moins d'un mois. Une entreprise d'injection plastique de Dampierre (Jura) a mis au point un étonnant piège à frelons asiatiques qui permet de capturer les reines au printemps et les ouvrières l'été.
"En une semaine, les 5000 premiers exemplaires sont déjà tous partis", se félicite Jean-Marc Bourgon. Le Pdg de MDP Team est plutôt fier de son dernier "bébé". En moins d'un mois, l'entreprise spécialisée dans la réalisation de moules techniques en injection plastique, installée à Dampierre (Jura), a imaginé et mis en production un tout nouveau piège à frelons asiatiques (Vespa Velutina Nigrithorax). Un prédateur qui fait des ravages dans les ruches partout en France.
"Généralement, on accompagne les clients dans le développement de leurs idées, on réalise 200 moules par an pour le médical, l'aéronautique, l'industrie ou le luxe, mais tous les ans, on essaie de sortir un produit nouveau qui nous est propre", explique l'entrepreneur jurassien à France 3 Franche-Comté. Et pour lancer le "Biotrap", c'est son nom, tout est allé très vite. Apiculteur amateur, il a été littéralement "piqué au vif".
Piqué au vif
"L'an passé, il y a eu une vraie invasion de frelons asiatiques dans le Jura, le Doubs, la Haute-Saône et on sait que cela ne va pas s'arrêter", raconte Jean-Marc Bourgon.
Je possède deux, trois ruches. Mon voisin a déjà été attaqué. La plupart des pièges sont fabriqués en Asie, ce qui n'est pas top pour l'environnement. Des amis apiculteurs qui savaient qu'on développait de nombreux produits en injection plastique m'ont demandé si je ne pourrais pas faire un.
Jean-Marc Bourgon, Pdg Mdp Team.
Il s'est aussitôt rapproché des associations locales de défense de l'apiculture (ADA BFC, Syndicat apicole du Doubs et le GDSA 39) pour profiter de leur expertise et recenser les besoins, Il a également jeté un œil à ce qui se faisait déjà sur le marché. "C'est l'avantage de ne pas être le premier, sourit-il. On voit tous les défauts des autres !".
Attention aussi aux contraintes environnementales. "Il fallait que le piège soit sélectif, que les abeilles notamment puissent rentrer et sortir et que seul le frelon se retrouve piégé, explique Jean-Marc Bourgon. Notre plastique est également 100% recyclable." Le prototype, désigné par Hervé Talussot, directeur technique chez MDP Team, a été conçu en un temps record. Il ressemble à un petit entonnoir jaune, percé de multiples trous, comme une passoire, qui s'adapte aux pots et bocaux en verre.
"On teste toutes les solutions !"
"La différence par rapport aux autres systèmes, ce sont les deux embouts amovibles, souligne Jean-Marc Bourgon. Il y en a un, plus large, pour capturer les reines fondatrices au printemps, et un autre, plus étroit, au gabarit des ouvrières qui sortent l'été."
Le piège est vendu en ligne par un partenaire en Haute-Saône, un apiculteur professionnel installé depuis 12 ans maintenant à de Neuvelle-lès-la-Charité. Léandre Goydadin vend aussi du matériel professionnel et possède cinq magasins dans toute la France. Un distributeur spécialisé qui donne le mode d'emploi dans une vidéo diffusée sur sa chaîne YouTube lancée il y a huit ans.
"On manque encore un peu de recul, cela fait moins d'une semaine, mais on teste toutes les solutions, indique l'apiculteur à France 3 Franche-Comté. Le frelon asiatique, c'est une catastrophe. C'est une invasion totale."
Cela fait trois ans qu'on y a droit dans l'Est. On n'est pas encore touchés comme dans les régions du Sud-Ouest mais on y va tout droit. On sait à quoi s'attendre. On n'est pas du tout aidés et cela reste des solutions sélectives à moindre coût. Si on utilise des pièges à 40 euros, on a vite fait de faire grimper la facture.
Léandre Goydadin, apiculteur et distributeur de matériel à Neuvelle-lès-la-Charité (Haute-Saône).
Car l'autre atout de l'invention jurassienne, c'est aussi son tarif. "Les pièges qui sont importés de Chine par exemple sont vendus autour de 10 euros et on voulait diviser le prix par deux, explique Jean-Marc Bourgon. On est actuellement autour de 6 euros mais on pourra encore baisser si ça marche."
Pour la petite usine de Dampierre, qui emploie une trentaine de personnes, l'argent n'est toutefois pas le principal moteur. "On réalise un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros par an et on n'attend pas après le Biotrap", assure le dirigeant qui veut surtout mettre en avant le savoir-faire de l'entreprise et son agilité. "C'est vrai que l'injection plastique peut être vite onéreuse mais, nous, nous faisons des moules en aluminium qui coûtent beaucoup moins cher et c'est surtout très rapide à mettre en place."
300 000 ruches menacées en France
Depuis l'arrivée de l'intrus, entreprises ou particuliers rivalisent d'ingéniosité pour limiter la prolifération du frelon asiatique. Comme ce Girondin de 58 ans qui a imaginé une perche télescopique, raccordée à un aspirateur, pour tuer le frelon asiatique. L’appareil promet de détruire des nids en quelques secondes. Son invention a reçu la médaille d’or au concours Lépine en mai 2023. En janvier dernier, à Rennes (Ille-et-Vilaine), ce sont six étudiants qui ont mis au point un piège à frelons asiatiques connecté via leur start-up. Leur appareil rentrera en phase de test dans les prochains mois.
L'été dernier, 150 nids de frelons asiatiques ont été recensés dans le Jura, contre 10 l'année précédente. 34 communes de tout le département se sont liguées pour lutter ensemble contre le prédateur. Elles ont acheté 300 pièges et espèrent ainsi gagner du temps contre cette menace pour la biodiversité.
Selon une étude de l’université Paris-Saclay et du Muséum national d’histoire naturelle, 2,6% à 29,2% des colonies d’abeilles, représentant plus de 300.000 ruches, "pourraient disparaître chaque année en France". Les pertes liées aux frelons asiatiques sont estimées à 11,9 millions d'euros par an pour les apiculteurs.
Une proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole est examinée ce jeudi 11 avril 2024 au Sénat. Elle ambitionne de créer un plan national de lutte contre cet insecte, qui serait décliné en plans départementaux pour adapter les différents dispositifs à chaque territoire. "Le texte vise à mieux flécher les financements pour la recherche, accompagner financièrement les collectivités territoriales et instaurer un régime d'indemnisation pour les ruchers en cas de dommages du fait des prédations." Les propriétaires seraient également obligés de déclarer les nids de frelons asiatiques. En contrepartie de quoi le préfet ferait ensuite procéder à leur destruction.