Aujourd'hui âgée de 61 ans, Aline le Guluche a appris à lire il y a seulement quelques années, après avoir longtemps caché son illettrisme. Elle témoigne ce vendredi à Nevers à l'occasion des journées nationales d'action sur le sujet.
À l'occasion des Journées nationales d'action contre l'illettrisme, qui ont lieu du 8 au 15 septembre 2023, l'auteure Aline Le Guluche partagera son combat dans les locaux de l'AFPLI (Association familiale pour la lutte contre l’illettrisme) à Nevers ce vendredi 8 septembre. Elle dédicacera ensuite son livre J'ai appris à lire à 50 ans à la médiathèque de la ville.
En 2022, 7% de la population âgée de 18 à 65 ans, résidant en France métropolitaine et ayant été scolarisée en France, soit 2,5 millions de personnes, souffrait d'illettrisme, selon l'atlas de l'illettrisme en France.
Nous l'avons interrogée pour revenir avec elle sur son parcours.
Qu'est-ce qui a fait que vous ne saviez pas lire et écrire ?
Je venais d'un milieu paysan, et, en CP, j'ai eu un enseignant maltraitant. J'étais dyslexique, mais je l'ai su plus tard, et j'étais constamment frappée et punie. J'ai redoublé mon CP. L'enseignant a quitté l'école, j'ai eu un autre professeur, qui a su s'adapter à mon handicap. Mais la lecture n'était pas acquise. Dès mes 16 ans, j'ai travaillé pour gagner ma vie.
Je me suis mariée, et mon conjoint s'occupait de beaucoup des choses que je ne pouvais pas faire. Quand j'ai eu mes enfants, je ne leur ai pas dit, mais j'ai vraiment pris conscience de ce que cela impliquait.
Quel a été votre déclic ?
Je n'en pouvais plus, à la maison comme au travail. Je n'étais pas autonome, j'ai d'ailleurs divorcé pour violences conjugales. Je trouvais en permanence des subterfuges, comme d'écrire avec des abréviations. J'ai passé mon code en apprenant par cœur les questions pour pouvoir les comprendre.
J'en ai donc parlé aux Ressources humaines de l'hôpital où je travaillais. Ils ont été très réactifs, et m'ont trouvé une école sur Paris. J'ai eu six mois de cours pour adultes.
Avez-vous appréhendé au moment d'écrire votre histoire ?
C'était important pour moi, donc pas vraiment. J'écris avec l'ordinateur, donc je peux chercher des synonymes. C'est difficile mais naturel. Je n'ai plus honte, ça m'a débloqué. Je me suis aperçue que le sujet intéressait du monde. J'ai pu parler de ça au conseil d'État, je suis ambassadrice de Lancôme sur le sujet de l'illettrisme chez les femmes. Je me suis demandée comment moi, fille de paysans, j'en étais arrivée là. C'est une vraie prison intellectuelle de ne pas avoir des compétences là.
Trouvez-vous qu'il y a un tabou autour de cette problématique ?
Je pense que l'on en parle plus qu'avant. Je suis moi-même porte-parole. Mais les gens ne connaissent pas toujours très bien. Ils ne font parfois pas la différence entre l'analphabétisme, qui concerne les personnes qui n'ont pas été à l'école, et l'illettrisme, qui concerne celles qui y ont été mais se sont retrouvées en situation d'échec.
Quels conseils donneriez-vous à des personnes en situation d'illettrisme ?
Pour ceux qui n'osent pas, je leur dirai que ce passage doit être fait, qu'il ne faut pas rester tributaire des autres. Cela permet d'être libre, et de ne pas vivre dans l'ombre.
Et pour les personnes qui les côtoient ?
C'est compliqué, parce qu'il ne faut pas vexer les gens. Mais il ne faut pas se dire que ce sont des imbéciles. Beaucoup ont des compétences pour arriver à contourner le problème. Il faut les accompagner concrètement, appeler le numéro vert avec elles (le 0800 11 10 35, NDLR.), venir avec elles quand elles reprennent les cours. Et si l'on voit un enfant qui mélange les lettres, il faut l'emmener chez un orthophoniste. C'est plus facile lorsque l'on est plus petit de travailler dessus.
Le programme complet des journées d'action contre l'illettrisme en Bourgogne
Le nouveau livre d'Aline Le Guluche, Mon combat contre l'illettrisme a été publié ce jeudi 7 septembre.