En juin 2021, le dernier dermatologue de Nevers prendra sa retraite. D’ici 2 ou 3 ans, c’est tout le département de la Nièvre qui pourrait se retrouver sans cabinet. Les autres spécialités ne sont guère mieux loties. Et les tentatives pour attirer de nouveaux docteurs restent vaines.
En juin prochain, le dernier dermatologue de Nevers, chef-lieu du département de la Nièvre, fermera son cabinet pour prendre sa retraite. C’est une agglomération de 70 000 habitants qui se retrouvera sans spécialiste. A l’échelle du département, il ne restera que 3 dermatologues : deux à Cosne-sur-Loire, au nord-ouest du département, et un à Decize, au sud. Une situation a peine plus positive et qui devrait vite se dégrader.
Le docteur Poitreneau est installé à Decize depuis une trentaine d’années. Le départ en retraite de son confrère l’inquiète. "On est amené à avoir des délais d’attente importants. On arrive déjà à 6 mois de délai. C’est déjà beaucoup trop. Si c’est plus, cela va être dramatique." Au quotidien, ce sont les médecins généralistes qui alertent les dermatologues pour les patients qui ne peuvent plus attendre. "On est obligé de faire un tri sur ce qui nous parait prioritaire / la cancérologie, les maladies inflammatoires importantes."
Cette inquiétude qu'il manifeste pour sa patientèle, le médecin la ressent aussi pour lui-même et ses deux derniers collègues. "On a déjà aujourd’hui une charge de travail qui est très importante. Cela ne va pas aller en s’arrangeant" constate le Dr Poitreneau. "J’ai 63 ans. Je dois être le plus jeune des trois. On peut rapidement imaginer ce qu’il va se passer dans peu de temps." Après la fermeture de dernier cabinet de Nevers, d’ici quelques mois, c’est l’ensemble du département qui pourrait être privé de dermatologue. Ils étaient sept il y a trente ans.
"Les patients sont triés"
"C’est quelque chose que l’on voit arriver depuis des années" s’agace le Dr Thierry Lemoine. Il est médecin généraliste à Nevers et président de l'ordre des médecins de la Nièvre. Un département où aucun dérmatologue ne s'est installé depuis vingt ans. "Pratiquement tous les dermatologues de la Nièvre ont le même âge. Tout le monde sera parti en retraite d’ici deux ans sauf si, par miracle, l’un d’entre eux souhaite prolonger."
"Quand les gens râlent pour avoir des rendez-vous, je leur dis : ‘Prévenez vos élus, prévenez vos députés ». Il ne se passe rien."
Un miracle pour éviter une catastrophe sanitaire d’ici quelques années. D’autant qu’il ne s’agit pas là de médecine esthétique, souligne le président de l'ordre. "Dans les grandes villes, les dermatologues font parfois de la médecine esthétique ; ils s’occupent des petites taches que les gens veulent voir disparaitre. Dans la Nièvre, ce n’est pas le cas. Ils font entre guillemets de la "vraie dermatologie", c’est-à-dire de la cancérologie cutanée, des exémas compliqués." Le plus souvent, les patients sont triés en amont. "Ceux que l’on peut traiter en médecine générale, on les traite en médecine générale et on leur réserve uniquement les cas qui relèvent vraiment de l’expertise".
Toutes les spécialités concernées
Aujourd’hui, c’est chez les dermatologues que la situation est la plus complexe. Mais le désert médical pourrait s’étendre très rapidement. Dans quelques semaines, il ne restera plus qu’un rhumatologue. La gynécologie, l’allergologie, la kinésithérapie, la dentisterie pourraient suivre. "Si on se projette à 5 ans, c’est la catastrophe absolue puisque toutes les spécialités vont être touchées : la cardiologie, la pneumologie, l’endocrinologie…" s’alarme Thierry Lemoine.
Parmi les solutions mises en place actuellement, la télémédecine. Certains cabinets de médecins généralistes s’équipent pour pouvoir envoyer des photos à des spécialistes loin de Nevers. "Mais cela ne règle pas tous les problèmes, nuance le président de l'Ordre. Quand on a besoin d’aller faire une biopsie de peau, cela commence à poser de vrais problèmes. Il faut aller à Dijon, Clermont ou Paris." Des rendez-vous médicaux à plus de 250 kilomètres ! Plus proches, les départements de l’Allier, la Saône-et-Loire ou le Cher ne sont pas forcément mieux lôtis.
Autre piste envisagée, que de jeunes médecins diplômés partagent leur temps entre le Chu de Dijon, plus attrayant, et une présence au plus proche du terrain dans la Nièvre. "Il est évident qu’un médecin spécialiste ne viendra pas s’installer dans un département qu’il ne connait pas. Il faut que des étudiants ou de jeunes diplômés viennent découvrir" plaide le Dr Lemoine.
"Vu de Dijon, peut-être que les internes imaginent que l’on n’a pas l’eau courante. Mais on a un plateau technique fantastique à l’hôpital de Nevers. Encore faut-il le découvrir."
Chasseurs de têtes
Pour tenter d’obtenir plus de résultats, le territoire multiplie les démarches. Weekend découvertes pour les internes en médecine, promotion de la destination sur les salons ou sur le numérique. Pour l’instant sans grand succès. Un cabinet de recrutement a également été sollicité grâce au financement de l'Etat. Objectif : dénicher la ou les perles rares. "On essaye de tirer toutes les cordes possibles" reconnait Eric Guyot, le président du Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Val de Loire-Nivernais qui regroupe six communautés de communes. "On a sollicité un cabinet de recrutement qui est plutôt axé sur des étudiants français. Hélas, avec le Covid, on n’a pas encore eu de résultat concluant. Donc on a élargi avec des cabinets de recrutement qui travaillent plutôt avec des [candidats] espagnols, des Hollandais et des Belges." En septembre dernier, c'est une médecin de nationalité roumaine qui s'était installée à Donzy, autre commune de la Nièvre.
Il y a urgence. Quand l’opération de recrutement a été lancée, l’objectif était de recruter six médecins généralistes. Depuis, une offre pour un dermatologue a dû être ajoutée.
Ces dernières années, le département voisin de Saône-et-Loire a pu recruter une cinquantaine de médecins généralistes en lançant les premiers centres de santé départementaux de santé employant des médecins salariés début 2018. Depuis quelques mois, il tente d'appliquer la même recette pour les médecins spécialistes.
Mais la concurence est féroce vue l'ampleur de la pénurie. Pour la dermatologie, seule une centaine de spécialistes sont formés chaque année pour l'ensemble du territoire français.