Les efforts des producteurs de l'AOC ont porté leurs fruits : près de 300 tonnes de cerises sont récoltées cette année. Une quantité record, qui s'explique par un climat plus que favorable, alors que les sécheresses se multiplient, mais aussi par le plan de rajeunissement des vergers, lancé en 2016.
« C’est une très bonne année, s’exclame Jacques Daval. Niveau quantité et qualité des fruits. Cela fait bien des années qu’on n’a pas vu ça, ce sont des cerises pleines de jus! » Producteur de cerises à kirsch, l’ancien agriculteur se promène le coeur léger dans ses vergers, vérifiant les arbres récoltés et ce qu’il reste à faire. « Là, on arrive à la fin. Les noires sont achevées depuis hier, il reste encore une journée pour les rouges : les Marie Jean Diaude. »Président de l'Association des producteurs de cerises et de kirsch de Fougerolles, Jacques Daval dresse un bilan très positif : près de 300 tonnes de cerises vont être transformées en kirsch. Et la fermentation, qui a débuté, « part très bien », grâce à un bon taux de sucre relevé au réfractomètre. « Il n’en faut pas trop non plus, sinon il faut rajouter de l’eau », précise le producteur. Une fois mises en fûts, les cerises fermentent durant 5 à 6 semaines avant leur distillation, qui s'annonce prometteuse, donc.
Enthousiaste, Jacques Daval a des raisons de l’être, après une décennie 2010 mitigée voire inquiétante. « Cela fait plusieurs années que les fruits sont petits et secs. On se pose des questions, le climat change et les cerisiers souffrent. Pour l’instant on fait confiance à la nature, il n’y a pas vraiment de solution. » Contre la sécheresse, difficile en effet, de lutter à armes égales. Mais le savoir-faire, qui repose sur la connaissance des arbres et des variétés, peut faire la différence.
Cartographier et rajeunir les vergers
C’est pourquoi en 2016, la filière lance un plan décennal avec pour objectif de rajeunir et rénover le verger fougerollais. Bernard Baud, président de l’Organisme de défense et de gestion (ODG) du kirsch de Fougerolles, explique le procédé : il s’agit de « remplacer les arbres trop vieux, vecteurs de maladies, et de garder une diversité de variétés séculaires de cerises. » Sur les 15.000 cerisiers productifs de l’aire d’appellation d’origine contrôlée (AOC), 10.000 doivent être remplacés. Une tâche déjà bien avancée, puisque plus de la moitié ont été replantés.
Pour Bernard Baud, cette récolte 2020 est le résultat de ce rajeunissement. « Cela montre que le soin sur l’arboriculture porte ses fruits. Un arbre sain va mieux s’en tirer avec les intempéries et le gel. » En outre, il est primordial de travailler en amont, souligne le président de l’ODG, puisque 8 à 10 ans sont nécessaires à un cerisier pour atteindre sa pleine production.
Ce travail d’anticipation sera complété ce mois d’août 2020 par la cartographie des vergers de la zone AOC, par type d’espèce et par nombre d’arbres. Cet inventaire, mené avec la chambre d’agriculture de Haute-Saône, doit « permettre d’asseoir la pérennité du verger et d’éviter que chacun plante dans son coin, sans savoir quelle variété correspond le mieux », selon Bernard Baud. C’est un travail de recensement, quantitatif et qualitatif pour voir les arbres les mieux adaptés. C’est aussi une photographie de la production pour la corréler à la qualité du kirsch. » Cette base documentaire est donc amenée à servir de support pour les futurs producteurs. « On a perdu une génération, avertit Bernard Baud. Il faut aider les jeunes, récupérer le savoir faire des grands-parents. »
L’idée est de modéliser ce savoir-faire pour le futur et de transmettre des informations qui ne se seraient pas perdues au fur et à mesure des générations.
Un patrimoine séculaire labellisé depuis 10 ans
L’eau-de-vie, aujourd’hui internationalement reconnue, voit sa production débuter à la fin du XVIIe siècle autour de Fougerolles. Une bouteille encore utilisée de nos jours lui est d'ailleurs dédiée, le « bô », d’une contenance de 70 cl. Vers 1900, le kirsch connaît un essor commercial, avec une centaine de distilleries industrielles et près de 900 bouilleurs de crus. Aujourd’hui, subsistent une trentaine de bouilleurs et quatre distilleries, régulièrement récompensées pour la singularité de leur kirsch : Coulin, Devoille, Lemercier et Peureux. Celles-ci se fournissent chez une cinquantaine de producteurs de cerises, souvent agriculteurs, pour qui le kirsch est un complément de revenu.
En 2010, le kirsch de Fougerolles devient une appellation d’origine contrôlée, qui regroupe 11 communes : une délimitation très précise dûe à la spécificité de cette partie de la région, qui a son petit nom : la Vôge. Située aux confins des départements des Vosges et de la Haute-Saône, ce plateau correspond à un affleurement de grès bigarré, qui confère aux terres agricoles leurs vertus, comme l’explique Bernard Baud : « C’est une roche qui va draîner le sol, tout en conservant l’humidité. Le cerisier ne supporte pas l’eau stagnante, c’est un arbre extrêmement fragile du point de vu de son substrat. » Et c’est ainsi que l’aire de l’AOC a été définie.
On est encore en vie, il faut pas se laisser mourir! Sinon il y a un risque de disparition.
Précieux sésame, l’appellation a permis de faire connaître la région, et de préserver ce tissu industriel. « Autour de ce label il y a une économie. Qui a baissé mais qui subsiste. À nous de l’entretenir et de la développer ! », avertit Jacques Daval. De son côté, l’Organisme de défense et de gestion du kirsch de Fougerolles fait valoir l’économie circulaire générée par l’industrie du kirsch. « Les cerisiers sont situés dans des vergers pâturés par les vaches. On ne pourrait pas avoir la cerise de Fougerolles sans cette agroforesterie, assure Bernard Baud. Et la distillation s’effectue à quelques centaines de mètres des cerisiers. C’est la raison de l’AOC. »
La suite de l’histoire, c’est les producteurs qui l’écrivent, avec, pour les 10 ans de l’AOC le lancement d’un nouveau produit à base de kirsch, ce qui sera une première. « Il faut innover, s’adapter à la jeune génération, qui connaît moins le kirsch. Pourquoi pas un apéritif, apprendre à consommer autrement! C’est un anniversaire qu’on veut souligner », se réjouit Jacques Daval. Avec ce breuvage, dévoilé le 21 novembre 2020 pour la fête du kirsch, les producteurs espèrent donc encore de « bô » jours devant eux.
NDLR : Attention, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé