C’est un paradoxe : le nombre d’hospitalisation baisse en Bourgogne Franche-Comté. Mais la pression s'accroit sur les services de réanimation alors que les personnels sont épuisés. Entretien avec Christine Ungerer, directrice du centre hospitalier William Morey à Chalon-sur-Saône.
Christine Ungerer est la directrice du Groupement hospitalier Nord Saône-et-Loire. Autour du Centre hospitalier William Morey de Chalon-sur-Saône, celui-ci regroupe plusieurs établissements dont les hôpitaux de Montceau-les-Mines et Autun. Il travaille également en collaboration avec l'Hôpital du Creusot qui dépend du groupe SOS Santé.
Comment décririez-vous la situation actuelle au centre du centre hospitalier William Morey et sur le territoire ?
Christine Ungerer : On est dans une situation un peu paradoxale. On a quand même une incidence de l'épidémie qui diminue depuis 8 semaines. On a finalement moins de patients hospitalisés en médecine. Ce sont aujourd’hui 82 patients sur le Nord Saône-et-Loire dont 40 à Chalon.
La particularité, c’est que l’on a 15 patients en réanimation, ce qui est beaucoup ! Et tous les hôpitaux de la région sont dans la même situation. On a moins de pression sur la médecine et plus de pression sur la réanimation. Il n'y a pas énormément de patients qui ont besoin de soins lourds. Mais quand c'est le cas, ils ont vraiment besoin de réanimation.
Paradoxalement, vendredi, on n'avait pas de patients en soins continus à Montceau et au Creusot alors qu'il y a des capacités d'accueil. Pour l'instant, on a globalement peu de besoins en médecine, alors que potentiellement, on a plus de capacités d'accueil. Les lits de soins intensifs du Creusot ou de Montceau ne sont pas ou très peu utilisés. Et il y a vraiment un besoin de réanimation lourde à Chalon.
Comment l’expliquez-vous ?
On a une proportion importante de la population âgée qui est désormais vaccinée. Pour autant, le niveau épidémique est encore relativement élevé avec une pression forte sur la réanimation, sans que l'on puisse précisément expliquer pourquoi.
En réanimation, il y a souvent peu de turn-over. Quand un patient doit être intubé, il reste souvent 2 ou 3 semaines en réanimation. On a fait beaucoup d'admissions sur les 15 derniers jours, particulièrement la semaine dernière. Une fois que les réanimations sont saturées, c'est souvent pour deux ou trois semaines. Et sur l'ensemble de la Bourgogne Franche Comté, le taux d’occupation ne réanimation reste croissance. C'est une situation difficile à gérer, malgré la coordination régionale.
Comment faites-vous ?
Dans ce contexte, on est en train de s'organiser pour ouvrir 5 lits de soins intensifs Covid demain [mardi 27 avril]. Je ne vous cache pas que c'est difficile parce que cela demande beaucoup de personnels. Il faut que l'on monte une ligne de garde médicale, c'est à dire un médecin H24. Il faut aussi que l'on trouve les professionnels paramédicaux. Concrètement, pour fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il faut 3 infirmières par lit. Donc si on ouvre 5 lits, il faut 15 infirmières. C’est énorme !
Donc on va déprogrammer de la chirurgie pour redéployer des personnels vers la réanimation.
"Sur les phases 1 et 2 on avait besoin de beaucoup de médecine, pas mal de soins intensifs et un petit peu de réa. Désormais, on a beaucoup moins de patients en médecine, moins en soins intensifs et toute proportion gardée, on a quand même besoin de pas mal de réanimation."
Il reste marges de manœuvre pour des déprogrammations ?
Oui, on avait déjà déprogrammé deux salles. On va aller au-delà. Ce sont des arbitrages difficiles. On a essayé de tenir au maximum. Quand on regardait les indicateurs épidémiques, on pensait que l'on tiendrait peut-être sans ouvrir de lits supplémentaires mais là, dans toute la région, la réanimation est saturée. Il faut vraiment que tous les hôpitaux apportent leur concours pour avoir plus de lits de soins critiques.
Le plan que l'on avait prévu pour la 3e vague avec une répartition sur le territoire, y compris pour les patients instables avec des soins intensifs à Montceau et au Creusot, ne fonctionne pas dans cette situation. Il y a d’abord un besoin de prise en charge plus intensive à Chalon. Ce qui est frappant, c'est le contraste entre moins de pression sur la médecine et les soins intensifs et davantage sur la réanimation.
Quel est le profil de ces patients qui arrivent nombreux en réanimation ?
Ce ne sont pas des personnes âgées qui ont besoin de ces soins intensifs. Ce sont des patients de 40-60 ans, voire même des fois un peu plus jeunes. Mais à notre échelle, on ne peut pas en tirer de conclusions.
"Cette troisième vague a tout de même plus de mal à passer que les deux premières"
Quel est l'état d'esprit des équipes de soignants ?
Nos équipes sont vraiment vraiment vraiment fatiguées. Il y a un épuisement moral très important. En particulier en réanimation. L’été dernier, on a recruté des infirmières en réanimation pour retrouver une équipe complète avec de nouveaux professionnels. Et malgré cela, les équipes sont très fatiguées parce que cela fait maintenant un an. Et elles ont dû, à plusieurs reprises, augmenter le nombre de lits.
On a des professionnels de très bonne volonté qui sont redéployés vers la réanimation. Cela peut être des professionnels du bloc opératoire, des soins infirmiers, des professionnels qui ont été en réanimation auparavant et qui reviennent dans ces services. Mais il faut former ces professionnels en un temps record - en temps normal, on considère qu'il faut 6 mois pour qu'une infirmière se forme à la réanimation. Et pour l'équipe « historique » de la réanimation, tous ces changements génèrent beaucoup de stress.
Beaucoup de choses reposent sur leurs épaules, en plus d'une activité de réanimation déjà très technique. Il faut y ajouter aussi beaucoup de décès et tout ce que cela signifie psychologiquement. C'est très difficile pour tout l'hôpital mais en particulier pour la réanimation. C'est vrai que cette troisième vague a tout de même plus de mal à passer que les deux premières.
Durant la deuxième vague, de nombreux personnels étaient absents en raison du covid ou de cet état de fatigue. La situation s’est-elle améliorée ?
Ce ne sont pas des effectifs très importants, mais oui, on a des personnes qui sont en arrêt parce qu'elles sont trop fatiguées, en particulier psychologiquement. Ensuite, il y a des arrêts classiques pour des maternités ou d’autres maladies.
Mais la situation s’est nettement améliorée avec la vaccination des personnels. On estime que le taux de vaccination à l'hôpital William Morey doit être autour de 70 %. Ce qui est très bien. Et certains ne sont pas encore vaccinés parce qu’ils ont eu le Covid il y a moins de 6 mois. C'est un point positif.
Chaque vague a ses caractéristiques et son profil. Sur la deuxième vague, on a eu beaucoup d'absentéisme parce que nos professionnels étaient contaminés. Désormais, c’est très marginal. En revanche, on a des équipes qui sont vraiment au bout du bout.
Êtes-vous inquiète pour la capacité des équipes à tenir ?
Je ne dirais pas cela. On est très vigilant. On fait tout ce que l'on peut pour soutenir nos équipes et vraiment reconnaitre tout leur engagement, tout leur travail.
Je ne suis pas vraiment inquiète parce que l'on voit que les taux de vaccination progressent régulièrement. On aimerait que cela aille encore plus vite. Mais on approche maintenant des 30 % de population adulte vaccinée. Et sur les plus de 60 ans, on a des taux de vaccination qui sont encore plus importants. On en voit déjà le bénéfice sur le fait que l'on ait moins de patients en médecine. L'incidence en Bourgogne Franche-Comté comme en Saône-et-Loire diminue régulièrement, même s'il faut reconnaitre qu'elle ne diminue pas très très vite.
Je ne suis pas inquiète mais on a encore quelques semaines à tenir comme cela.