EXCLUSIF. Triple noyade de Chalon : "On ne se reconstruit pas, on survit", le quotidien d'une mère partie vivre à Manchester pour oublier

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Abd-Allah, Abd-Arrahmane et Assia, les trois enfants morts noyés au lac de Chalon.
Triple noyade de Chalon : "On ne se reconstruit pas, on survit" ©Valentin Chatelier / France Télévisions

C'est une affaire qui a suscité beaucoup d'émotion. En juillet 2018, trois enfants se noient à Chalon-sur-Saône alors qu'ils sont sous la surveillance de leur belle-mère. Alors que le procès de cette dernière s'ouvrira ce vendredi 31 mars, nous sommes allés suivre la mère des disparus dans son quotidien à Manchester, au Royaume-Uni.

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1 138 kilomètres pour faire son deuil et tenter d'oublier la douleur. Le 8 juillet 2018, Lallia Konaté perd trois de ses cinq enfants, noyés dans le lac des Près Saint-Jean à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), alors qu'ils sont sous la surveillance de leur belle-mère. Pour se reconstruire, la mère de famille est partie vivre au Royaume-Uni, à Manchester United.

Alors que le procès aura lieu ce vendredi 31 mars, nous l'avons suivie dans son nouveau quotidien en Angleterre. Un quotidien évidemment marqué par ce drame. Lallia Konaté se pose tous les jours la question : comment surmonter la perte de trois de ses enfants ? Si elle a quitté Chalon-sur-Saône, c'est aussi pour enfin être anonyme et s'éloigner de la compassion.

"La seule solution, c'était de partir"

"Je me sens bien, incognito parce que personne ne connaît mon histoire. Quand les gens me voient, ils me voient comme n'importe quel citoyen de Manchester et pas comme la maman qui a perdu ses trois enfants. Parce que c'est difficile d'être confronté à ce regard-là. C'est ce qui se passait à Chalon par exemple".

Pour elle et ses deux autres filles, impossible de rester dans une ville qui les ramenait en permanence à la disparition d' Abd-Arrahmane, 13 ans, Abd-Allah, 10 ans e t Assia, 9 ans.

"C'était trop dur. Tous les recoins me rappelaient les enfants. Même pour les filles c'était difficile. La seule solution c'était de partir".

Cinq ans après ce jour de juillet 2018, Lallia Konaté reconstruit donc sa vie, doucement. Une renaissance qui passe par l'apprentissage. La mère de famille de 38 ans est retournée sur les bancs de l'école. Elle rêve de devenir professeure de mathématiques en Angleterre et suit des cours tous les mardis et mercredis matins.

J'ai vu ce que c'était quand je ne fais rien... Je reste à cogiter, je perds la tête, je rentre en dépression. Donc c'est vital pour moi d'être occupée

Lallia Konaté

"Ça me fait du bien, j'ai constamment besoin d'étudier, d'acquérir de nouvelles compétences. Je suis obligée d'être tout le temps l'esprit occupé. Si je ne fais rien, je perds la tête. Je suis toujours en train d'apprendre quelque chose de nouveau", confie celle qui est femme de ménage en parallèle de ses études. Son professeur d'anglais salue son implication: "Elle est super, très motivée ! Elle a vraiment envie d'apprendre, de comprendre".

Profiter de chaque moment avec ses deux filles

Travailler, apprendre pour rester debout mais aussi pour subvenir aux besoins de sa famille. Lallia Konaté vit dans la banlieue de Manchester. Un appartement modeste pour elle et ses deux filles. Chaque soir, elles mangent ensemble, l'occasion de vivre quelques moments ensemble car les deux adolescentes et leur mère ne sortent presque jamais.

"On n'a pas la joie de vivre qu'on avait avant, plus du tout... On n'a pas envie en fait. Dès fois, je leur dit 'on se fait un cinéma ?' et elles me répondent qu'elles n'ont pas envie. On n'a plus le goût à faire des choses ensemble".

Alors chaque petite habitude du quotidien, même la plus banale, revêt une importance significative. La mère profite de chaque instant avec ses enfants, comme regarder des séries. "Il faut qu'on partage des moments. On ne peut pas rester chacune de notre côté. Je suis consciente qu'il y a de la souffrance, mais on la vit séparément. On essaie de faire abstraction de cette souffrance quand on vit dans ces moments-là".

Si Lallia Konaté s'est plongée dans le travail pour exorciser la douleur, Taymiyyah elle, a couché la sienne sur du papier. L'adolescente de 13 ans, la plus jeune des filles, rêve de devenir poète. Elle a écrit quelques vers en hommage à ses frères et sœurs disparus. 

Un combat également judiciaire

Depuis cinq ans, Lailla Konaté essaie de reconstruire sa vie et de surmonter la douleur, mais son combat passe aussi par la justice. Régulièrement, elle quitte Manchester pour revenir en France. Le 23 octobre dernier, la mère de famille organisait une marche blanche en hommage à ses enfants à Nantes puis une autre à Chalon-sur-Saône le 29 octobre

La femme de 38 ans est également très active sur les réseaux sociaux, notamment Instagram où elle partage son histoire à ses 34 000 abonnés. "Ça fait du bien, on se rend compte qu'on n'est pas tout seul, ça rend plus fort". L'occasion pour elle de dénoncer les lenteurs de la justice.

Dès que je prends la parole, on donne une date au procès. J'ai l'impression que si les victimes ne parlent pas, elles n'obtiennent rien du tout. C'est ça qui est triste.

Lallia Konaté, en conférence le 12 mars

Elle témoigne également dans les médias ou encore lors de conférences comme le dimanche 12 mars. Ce jour-là, elle se déplace en banlieue parisienne et échange notamment avec Assa Traoré, la militante antiraciste et grande sœur d'Adama Traoré. Ce dernier avait trouvé la mort en 2016 après son interpellation par des gendarmes. 

"Quand j'ai entendu son histoire, ça m'a pris au ventre, à la gorge. Si on veut la justice, on est obligé de raconter son histoire. Elle est douloureuse, mais il faut la raconter et rallier d'autres personnes à la cause", explique Assa Traoré.

Tout ça, Lallia Konaté le fait pour l'avenir de ses deux filles et la mémoire de ses trois enfants disparus. "Aucune mère ne peut laisser tomber un combat pareil. Si je laisse tomber, c'est comme si j'abandonnais mes enfants. Et ça ce n'est pas possible".

La mère de famille attend beaucoup du procès qui se tiendra ce vendredi. "La justice fait partie du process de deuil. Si j'avais perdu mes cinq enfants, je ne pense pas que je me serai relevée, je ne serai plus là... Il faut que je mène ce combat, c'est une de mes raisons de vivre".

Mais Lallia Konaté l'avoue, on ne se reconstruit pas totalement après un tel drame. "On survit... Manchester ou Chalon, peu importe, ça nous suivra partout. C'est impossible de faire disparaître ça de nos esprits. Même si on nous met sur la plus belle des îles, ça ne nous quittera jamais".

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