Nous avons été contactés par Marielle, une habitante des alentours de Mâcon (Saône-et-Loire). Elle souhaitait nous parler d’Emrys la carte, une “coopérative” qui promet d’être “LA solution universelle pour l’augmentation du pouvoir d’achat”. Nous avons cherché à en savoir plus.
“Bonjour ? je vis dans un petit village du côté de Mâcon (71). Je recherche un journal qui accepterait de faire un article sur la façon dont je m'y prends pour récupérer des euros sur mes courses, mon plein d'essence, etc. Beaucoup de journaux locaux et d'autres régions ont déjà fait des articles là-dessus et je voudrais savoir si cela vous intéressait ? Le pouvoir d'achat étant au cœur de l'actualité en ce moment…” Nous avons reçu ce message de Marielle, une habitante de Saône-et-Loire, il y a quelques jours. Il est vrai que les temps sont durs, et nombreux sont les Bourguignons qui cherchent à faire des économies. Alors nous nous sommes intéressés à ce que propose Marielle : la coopérative Emrys la carte, qui revendique 180 000 membres actifs et se décrit sur son site comme “LA solution universelle pour l’augmentation du pouvoir d’achat”.
Des cartes-cadeaux valables dans de nombreuses grandes enseignes
Jointe par téléphone, Marielle explique être salariée dans le domaine du développement paysager autour de Mâcon. Elle a rejoint la coopérative Emrys en mars 2021. “Auparavant, je faisais déjà beaucoup de VDI (vente à domicile indépendant), sur le modèle des réunions Tupperware. Je suis tombée sur le post internet d’une habitante de Limoges qui disait que l’on pouvait récupérer des euros grâce à Emrys. Je me suis renseignée, puis je me suis lancée.”
En 18 mois, Marielle est devenue “une sorte d’ambassadrice” sur le Mâconnais. “J’ai développé pas mal de partenaires, des particuliers que je parraine, et j’organise aussi des réunions physiques”. Elle est aussi administratrice d'une page Facebook, "Bons plans économies, quand faire vos courses vous rapporte de l'argent !" qui regroupe plus de 2700 membres. Mais comment fonctionne Emrys ?
L’idée de base est d’acheter des cartes cadeaux, acquises à des tarifs préférentiels par Emrys grâce à des commandes en gros volumes, à dépenser dans plusieurs enseignes. “Autour de Mâcon, on peut citer Carrefour, Auchan, Leclerc, Kiabi, Leroy-Merlin, Vert Baudet, Décathlon, Gémo, ainsi que trois ou quatre PME du Mâconnais”, liste Marielle. Les cartes cadeaux sont généralement de 50, 100 ou 200 euros. En les achetant, le client récupère quelques centimes sur une cagnotte. Jusqu’ici, le fonctionnement est à peu près le même qu’une carte de fidélité classique.
Il faut parrainer de nouveaux inscrits pour gagner de l'argent
La différence se situe sur le système de parrainages. “La coopérative n’a pas de budget publicité, donc elle compte sur le bouche-à-oreilles pour se développer. Elle nous reverse des euros lorsqu’on parraine de nouveaux membres. C’est comme cela que j’ai touché un complément de revenu”, explique Marielle. Depuis son inscription il y a un an et demi, elle parraine une cinquantaine de membres actifs. Pour intégrer Emrys, il faut acheter des droits d’adhésion qui se déclinent en trois paliers :
- une licence “acheteur simple” à 10 euros, qui permet simplement d’acheter des cartes cadeaux et de cumuler de petites réductions.
- une licence “acheteur enchanté” à 40 euros, qui permet aussi de parrainer de nouveaux membres. “Quand vos filleuls achètent des cartes cadeau, vous recevez une partie des sommes cagnottées et inversement : ils reçoivent aussi un petit pourcentage lorsque vous dépensez”, précise Marielle. “Mais ça ne rapporte pas grand-chose : si vous prenez une licence à 40 euros et que vous achetez pour 100 euros de carte, vous cagnottez 20 centimes”.
- une licence “enchanteur” à 100 euros : “La différence, c’est que cela vous assure un complément de revenu. On est récompensé sur les parrainages, en touchant une commission dès qu’un nouveau filleul s’inscrit. Je touche environ 7 euros si le filleul achète une licence à 10 euros, environ 30 euros pour une licence à 40 euros et environ 70 euros pour une licence à 100 euros”. Sur son site, Emrys précise que le statut “enchanteur” est “un statut professionnel nécessitant la signature d’un contrat avec la coopérative Emrys La carte”. Le membre “enchanteur” peut ensuite acheter des licences qu’il revendra à des “prospects”, afin de “constituer son réseau de clients”.
Côté comptes, qu’est-ce que ça donne ?
En 18 mois, Marielle dit avoir récupéré “environ 1600 euros”. Elle dépense aux alentours de 400 euros de courses par mois et 200 à 300 euros de carburant. Au total donc, pour environ 12 000 euros de dépenses d’alimentation et d’essence en un an et demi, elle réalise une plus-value d’environ 10%. Cet argent est crédité sur sa cagnotte fidélité, qu’elle peut ensuite dépenser en rachetant des cartes. “On peut aussi reverser cet argent sur notre compte bancaire, mais dans ce cas, il faut le déclarer aux impôts.”
Sur le papier, le système Emrys peut donc sembler idéal pour arrondir ses fins de mois. Mais en allant plus loin, on s’aperçoit que tout n’est pas si simple.
"Une belle arnaque" ?
Les avis sur Google sont pour certains sans équivoque : “Huit mois que j’ai rejoint ce super bon plan, j’en suis tellement ravie”, écrit une internaute. Mais d’autres sont moins satisfaits. “C'est une belle arnaque ! Rien de solidaire dans ce système où seul le parrain gagne de l'argent sur les achats de son filleul. Quelle drôle de solidarité !!! Plus d'un an pour récupérer 9 euros. Ça ne rembourse même pas la carte à 10 euros. De plus, impossible de faire supprimer son compte malgré plusieurs démarches. Cela semble compliqué de sortir du système. Il existe des moyens de faire des économies beaucoup plus simples et surtout beaucoup plus sains,” note un autre internaute.
“De l'arnaque”, peut-on encore lire. “En effet si vous pensez gagner de l'argent juste en changeant votre mode de paiement c'est complètement faux !!! Ce qui peut vous faire gagner de l'argent c'est du parrainage intensif. Et derrière ce cercle vicieux vous emmenez avec vous d'autres personnes qui se feront avoir également !”
Il y a aussi cette enquête publiée dans Ouest-France en août dernier. “Emrys, carte « miracle » pour le pouvoir d’achat ou entourloupe ?” titre le journal. “Le modèle de développement pose question. Tout comme la situation financière de l’entreprise”, écrit Ouest-France.
"Un système borderline", mais légal
En effet, Emrys semble se situer sur une ligne de crête : il ne s’agit pas d’un système pyramidal, puni par la loi, mais de “marketing multi-niveaux”, qui s’en rapproche. Edenred, fournisseur de cartes-cadeaux qui a fini par annuler son partenariat avec Emrys, évoque même un “système borderline”. D’ailleurs, la Miviludes, organisme rattaché au ministère de l’Intérieur et chargé de lutter contre les dérives sectaires, indique avoir reçu quatre saisines depuis 2019 “pour savoir s’il s’agit d’un système pyramidal”.
Contactée par nos soins, la Miviludes nous a fait parvenir cette note. "Du point de vue juridique, le système pyramidal est illégal en France, il s’agit d’un réseau commercial factice (article L 121-15 du code de la consommation). En revanche, la vente multi-niveau est autorisée : elle repose sur une activité de vente directe au consommateur. Cependant, dans certains systèmes de vente multi-niveaux, la vente de produits ou prestations est un prétexte pour déguiser un système pyramidal car ce n’est pas tant la vente de produits ou prestations qui est importante mais plutôt le développement du réseau. Ce dernier permet à l’entreprise de collecter de grosses sommes d’argent et des données personnelles."
Une certaine ambigüité qui a provoqué de la méfiance de la part de plusieurs grandes enseignes. Edenred donc, mais aussi Intermarché, qui a stoppé son partenariat. "Lancé en 2021, il s’agissait d’un test", explique Intermarché à Ouest-France. Questionnée à ce sujet, Marielle, la Mâconnaise, répond : "Le PDG d'Emrys nous a expliqué qu'une dame, dont on ne connaît pas l'identité, était méfiante et a lancé des audits internes dans plusieurs entreprises parce qu'elle avait des doutes. Mais le partenariat ne s'est pas arrêté, il est juste suspendu."
"Certains nouveaux membres veulent tout tout de suite"
Quid des avis négatifs visibles sur internet ? "C'est vrai que je reçois des avis négatifs, il ne faut pas s'en cacher. Mais la plupart du temps, ils viennent de gens qui veulent tout tout de suite. Si vous vous inscrivez maintenant, vous n'aurez pas vos courses de Noël gratuites. Cela peut prendre deux ou trois ans avant d'avoir un premier caddie de courses gratuites. C'est un plan sur le long terme. Cela dépend aussi de la personne qui explique aux nouveaux membres : certaines peuvent promettre des choses qui ne sont pas réalistes."