Saône-et-Loire : une ferme de 60 000 poules, alternative aux poules en cage ou dérive de l'élevage intensif ?

Faut-il y voir une nouvelle implantation de l’agro-industrie ou le développement d’alternatives aux oeufs de poules en cages ? A Verosvres (Saône-et-Loire), un agriculteur souhaite implanter un élevage au sol de 60 000 poulettes. Le projet ne fait pas l’unanimité dans la commune.

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C’est un bâtiment d’une centaine de mètres qui pourrait bientôt accueillir quelques 60 000 volailles à Verosvres en Saône-et-Loire. Pour l’instant, il n’est qu’à l’état de projet. Ses dimensions impliquent une autorisation préfectorale au titre des Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Une enquête publique vient de se terminer. Mais le sujet fait polémique.

C’est un éleveur de la commune qui porte le dossier : "la création d'un atelier poulettes, futures pondeuses". Ces poussins femelles arrivent sur site âgées d’un jour et y grandissent durant 17 semaines. Elles sont ensuite transportées dans d’autres élevages spécialisés dans la production d’œufs. Déjà éleveur de bovins, l'agriculteur souhaite se diversifier pour permettre à sa compagne de vivre sur l’exploitation.  

 

60 000 poulettes

L'un des objectifs du projet est d'ailleurs "de répondre à la demande croissante de production de poulettes » détaille la plaquette de présentation. Alors que la vente d’œufs de poules élevées en cage doit être interdite en 2022, les autres circuits de production doivent se développer pour répondre à la demande. 

Dans ce bâtiment fermé de 1700 mètres carrés, l’élevage se fera au sol et les poules seront destinées prioritairement à des élevages en plein air ou au sol. "Des volières seront installées dans la salle d'élevage du bâtiment en projet. Les poulettes pourront développer leur comportement naturel leur permettant de s'adapter lors du stade pondeuse à tout type de mode d'élevage : volière, plein-air, sol voire standard" détaille le projet.

 

Avis défavorable du conseil municipal

Mais dans la commune de 400 habitants, le projet ne fait pas que des heureux. Le conseil municipal a d’ailleurs rendu un avis défavorable. "On n’a rien contre l’élevage, prévient le maire Eric Martin, mais on trouve  que cet élevage est beaucoup trop important pour s’intégrer au sein d’un hameau de campagne."

L’élu fait la liste des inconvénients qu'il redoute. Il cite d’abord "les risque sanitaires énormes, notamment par rapport à la grippe aviaire" et un risque de propagation éventuelle au-delà de l’élevage. Selon lui, viennent ensuite, le risque de pollution des eaux et du sol et les problèmes d’accessibilité du site. "Le projet est prévu au fin fond d’un hameau de Verosvres où des camions vont circuler sur des routes de 3 mètres de large" détaille Eric Martin.

Le maire de la commune s’inquiète aussi de l’approvisionnement en eau alors que le territoire connait chaque année des épisodes de sécheresse. "Les éleveurs au départ se branchent sur les réseaux d’eau publique et font ensuite des captages d’eau parce que c’est extrêmement consommateur en eau potable. La commune est sur la ligne de partage des eaux. On n’est pas à côté d’un fleuve, bien au contraire, donc on craint aussi pour la ressource en eau" explique Eric Martin.

Le vote du conseil municipal illustre les divisions au sein de la commune entre agriculteurs, riverains et parfois amis. Sur 10 votants : 7 contre, 2 abstentions et un pour.  En revanche, la communauté de commune a, elle, voté en faveur du projet. Ces votes ne sont que consultatifs et c'est bien le préfet qui prendra la décision. 

 

Des voisins partagés

Durat les 4 semaines de l'enquête publique, le même clivage se retrouve dans les divers avis recueillis. L’un des voisins du hameau évoque son inquiétude sur le bruit, l’odeur et le trafic. "N’entre pas en ligne de compte la dévalorisation de notre maison, [mais] notre soucis du bien-être animal et notre préférence pour un autre modèle agricole." Une autre riverain décrit un projet "disproportionné, trop proche des habitations, plus en adéquation avec l’évolution actuelle de l’agriculture et néfaste pour l’environnement".

A l’inverse, Un habitant du hameau salue le "très bon travail" du couple d’agriculteurs qui s’est installé et se dit "très peu inquiet". Un autre voisin écrit son soutien au projet : "Je n’ai pas peur de la pollution. Je crains plus les pollueurs et envahisseurs de Parisiens. (sic)"

 

"Cyberaction" de L214

Un combat entre ruraux locaux et urbains bobos ? Le projet a été pointé du doigt par l’association animaliste L214 qui a appelé ses sympathisants à manifester leur opposition au commissaire enquêteur. Celui-ci a ainsi reçu des contributions venues de toute la France. "Si ce projet voit le jour, 144 000 poulettes seront entassées et enfermées dans un bâtiment sans accès à l’extérieur chaque année. Ce type d’élevage alimente la poursuite de pratiques cruelles utilisées dans la filière des œufs" décrit l’association dans un courrier-type. "Jugés inutiles par l’industrie des œufs, les poussins mâles sont éliminés, soit gazés, soit broyés. Les poussins femelles ont le bout du bec coupé afin de limiter les conséquences des agressions mutuelles (picage des plumes) dues au stress provoqué par l’extrême promiscuité" rappelle le document.

 

Silence

Sollicité, l’éleveur, Thomas Ruet n’a pas souhaité donner suite. Pas plus que la FDSEA de Saône-et-Loire, le syndicat agricole majoritaire. Deuxième syndicat de la profession, la Confédération paysanne est rarement élogieuse sur l'agro-industrie. Elle s'était opposée en 2019 à un projet d'élevage de 30 000 poules pondeuses en plein air dans le Doubs.

Sur ce sujet, le représentant du syndicat en Saône-et-Loire, Eric Privat, se veut cette fois beaucoup plus mesuré. Tout d'abord, il rejette le terme "industriel" pour qualifier l’élevage en question. "Cela reste un éleveur qui porte le projet, ce n’est pas une société" avance Eric Privat, lui-même éleveur de poules pondeuses en bio.

"La plupart des sites, il y a au moins 40 000 poulettes. Après, 60 000 ou 40 000, qu’est-ce qui est le mieux ? soupire l'éleveur. C’est l’éleveur qui fait son calcul financier avec le montant de l’investissement, le taux de remboursement... Maintenant, qu’est-ce qu’un bâtiment comme cela permet de dégager comme revenu ?" s’interroge Eric Privat.  "Cela va faire des sous aux banques, mais l’agriculteur, il ne va pas avoir le Smic avec çà."

 

Circuits-courts ? 

Si le représentant de la Confédération paysanne milite pour des élevage de taille plus modeste, il espère que le projet permettra un approvisionnement local. Les élevages de poules pondeuses du territoire, en Saône-et-Loire et surtout dans l’Allier doivent aujourd'hui faire venir des poules de plusieurs centaines de kilomètres, faute de filière locale. Lui-même s'approvisionne en poules pondeuses dans le sud de la France.  "Economiquement parlant, ce serait aberrant d’élever des poules en Saône et Loire pour aller remplir des bâtiments dans la Drôme et faire venir des poules de la Drôme pour des bâtiments de Saône-et-Loire" clame Eric Privat.

Cela reste à confirmer. L’agriculteur porteur du projet a signé un contrat d’approvisionnement qui réserve la totalité de la production à l’un des 5 principaux regroupements de producteurs français, le groupe Oxyanne, implanté dans un large quart Sud-Est. Dans ce système de production intégrée, l'éleveur a l'interdiction d'écouler sa production en dehors. A noter que le Domaine de Sommery, important producteur d’œufs, situé à une quinzaine de kilomètres de Verosvres, fait partie du même groupement.

La préfecture de Saône-et-Loire devrait donner ou non son autorisation d'implantation d'ici quelques semaines. 

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