L'élection du démocrate Joe Biden va-t-elle améliorer les exportations des vins bourguignons ? La taxe instaurée par Donald Trump depuis octobre 2019 a ralenti les ventes de vins vers les États-Unis. Comment la profession vit-elle le résultat de l'élection américaine ?
Le prochain président américain, Joe Biden, pourrait supprimer la taxe en vigueur sur les vins français vendus aux Etats-Unis. Cette possibilité est accueillie avec scepticisme par Anne-Cécile Lumpp.
Son exploitation avait prévu d'exporter 6000 bouteilles début 2020, moins de 5000 sont parties vers le nouveau monde. Pragmatique, la viticultrice ne voit pas le futur président américain supprimer la taxe Trump dans l'immédiat.
"Déjà Joe Biden n'a pas parlé, s'il avait des projets de la baisser ou de la maintenir. Peut-être à long terme une diminution de la taxe, mais à court terme pas grand chose pour l'instant. Après, on espère mais rien ne nous le garantit", explique-t-elle.
Depuis octobre 2019, les vins français subissent une taxe de 25% sur leur valeur commerciale en arrivant sur le sol américain. Une mesure décidée par l'administration Trump dans le cadre d'un conflit commercial entre les avionneurs Boeing et Airbus.
Cette mesure frappe de plein fouet la Bourgogne : sur les sept premiers mois de 2020, les volumes ont chuté de 16% par rapport à 2019. Cela correspond à une perte de 33 millions d'euros de chiffres d'affaires pour les exportateurs de vins bourguignons.
"Les démocrates seront enclins à reprendre les négociations"
Durement impactée par la taxe Trump, la Compagnie de Burgondie qui regroupe sept grandes caves coopératives de Bourgogne et du Beaujolais veut garder espoir pour l'année 2021. Ses ventes vers les États-Unis ont baissé de 40%."L'annonce de l'élection de Joe Bien nous laisse quelques espoirs. On sait aujourd'hui que les démocrates seront enclins à reprendre les négociations internationales notamment avec l'Union européenne. Donc c'est le point positif qui nous laisse de l'espoir", confie Rémy Marlin, membre du directoire de l'entreprise.
Pressés d'en finir avec 2020, les viticulteurs attendent donc l'année prochaine avec impatience. Ils ne sont pas les seuls.
L'UE répond aux taxes américaines mais tend la main
Sans attendre l'arrivée du président américain élu Joe Biden, Bruxelles a décidé lundi des sanctions douanières contre les Etats-Unis dans le litige opposant Airbus et Boeing pour chercher une fin négociée à ce conflit vieux de plus de quinze ans.L'UE a annoncé la mise en place dès mardi de "droits de douane sur 4 milliards de dollars d'exportations américaines", dans un communiqué. Ces sanctions avaient été autorisées en octobre par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Les produits visés incluent tous les modèles d'avions de Boeing (taxés à 15%). Mais surtout des produits agricoles américains (tabac, patates douces, blé, huiles végétales, fruits et jus...) ou agroalimentaires (alcools forts, chocolat...) ainsi que des biens manufacturés (tracteurs, pelleteuses, équipements de casino, pièces de vélo...) taxés à 25%, selon une liste officielle.
Ces sanctions "sont en miroir des mesures américaines. Nous ne voulons pas d'escalade du conflit", a expliqué le commissaire européen à l'Economie, Valdis Dombrovskis à l'issue d'une visioconférence des ministres européens du Commerce.
Washington inflige déjà, depuis plus d'un an, des droits de douane punitifs sur des importations européennes comme le vin, le fromage et l'huile d'olive (à hauteur de 25%), ainsi que des taxes de 15% sur les avions Airbus. Les Etats-Unis y avaient été autorisés par l'OMC, jusqu'à 7,5 milliards de dollars.
L'avionneur européen Airbus et son concurrent américain Boeing, et à travers eux l'UE et les Etats-Unis, s'affrontent depuis octobre 2004 devant l'OMC, arbitre du commerce mondial, sur les aides publiques versées aux deux groupes, jugées illégales de part et d'autre.
Après la décision de l'OMC en leur faveur, les pays européens avaient espéré pouvoir éviter d'imposer à leur tour des taxes douanières aux Etats-Unis, en tentant de négocier un accord global sur les aides à l'aéronautique et l'abandon réciproque des sanctions.
"Malheureusement, malgré nos meilleurs efforts, en raison du manque de progrès du côté américain, l'UE va exercer ses droits", a déclaré M. Dombrovskis.
Mais il a aussi tendu la main. "Nous appelons les Etats-Unis à accepter que les deux parties abandonnent leurs contremesures existantes afin que nous puissions tourner la page. Retirer les taxes serait gagnant-gagnant", a affirmé le commissaire européen.
"Rétablir des relations apaisées"
En coulisse, des Etats membres avaient exprimé leurs doutes sur le timing des sanctions européennes, alors que le président américain élu Joe Biden doit remplacer Donald Trump en janvier. C'était notamment le cas de l'Allemagne, puissance exportatrice, qui assure la présidence tournante de l'UE.
"Nous aurions été très heureux si une solution amicale avait été trouvée avant l'élection américaine et nous restons prêts à initier à tout moment une solution négociée", a déclaré lundi le ministre allemand de l'Economie, Peter Altmaier.
En France, la fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS) a fait part lundi soir de son "incompréhension" face à l'annonce de taxes européennes immédiates, craignant de nouvelles rétorsions américaines. Ayant déjà perdu plus de 50% de leurs exportations américaines depuis octobre 2019, ils craignent une escalade de la guerre commerciale.
Sous Donald Trump, les Etats-Unis ont mené une politique de confrontation avec l'Europe. Après avoir taxé l'acier et l'aluminium européen, le président sortant a menacé à plusieurs reprises de s'en prendre aussi aux automobiles allemandes.
"Il y a de grandes attentes après la victoire électorale de Joe Biden et l'espoir que les Etats-Unis vont revenir à une approche multilatérale, y compris dans le commerce", a affirmé M. Altmaier.
Du côté français, on plaidait pour une attitude de fermeté, condition nécessaire pour promouvoir un dialogue avec Washington sur un pied d'égalité.
"La relation commerciale transatlantique est essentielle pour notre économie, et nous souhaitons (...) rétablir des relations commerciales équilibrées et apaisées entre l'Union européenne et les Etats-Unis", ont déclaré le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire, et le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, Franck Riester, dans un communiqué commun.
Airbus a également salué la décision de Bruxelles. "Airbus soutient toutes les actions nécessaires pour créer des règles de concurrence équitables et continue à soutenir l'engagement de l'UE pour trouver un règlement négocié à cette longue dispute afin d'éviter des taxes perdant-perdant", a réagi l'avionneur européen.
"L'Europe veut montrer ses muscles, mais c'est nous qui trinquons, et on nous laisse tout seuls, sans accompagnement", a cependant déclaré à l'AFP César Giron, président de la FEVS.
(avec AFP)