Législatives 2024. Les enseignants du Territoire de Belfort interdits de manifester ? On vous explique

Mercredi 12 juin 2024, les enseignants du Territoire de Belfort ont reçu un mail de leur direction académique. Dans celui-ci, on leur demande de "s'abstenir" de participer aux manifestations pendant une "période de réserve électorale" du 11 juin au 7 juillet. Un courrier qui a fait très vite polémique. On vous explique.

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"Vous voudrez bien vous abstenir de participer à toute manifestation ou cérémonie publique susceptible de présenter un caractère pré-électoral". Une phrase qui a mis le feu aux poudres au sein du corps enseignant, dans le Territoire de Belfort. Mercredi 12 juin, les directeurs d'école du département recevaient un mail de leur inspection académique, comprenant la consigne évoquée ci-dessus.

Dans ce courrier électronique, la directrice académique invoque une "période de réserve électorale" du 11 juin au "7 juillet en vue des élections législatives", justifiant la demande de non-participation aux manifestations. Pour rappel, celles-ci se multiplient ces dernières semaines, notamment contre l'extrême droite. Très vite, ce mail a été largement diffusé et a provoqué un tollé dans le corps enseignant. 

En 20 ans de carrière, on n'a jamais connu ce genre de mail avant des élections. On ressent cela comme un coup de pression et comme une entrave à nos libertés d'opinion, d'expression, et de manifestation.

Salim Aouadi,

co-secrétaire départemental CGT Educ-action 90

Les professeurs terrifortains seraient-ils interdits de manifestation ? Pour rappel, le droit de manifester est un droit fondamental dans notre pays, constitutionnellement garanti en France par la Vᵉ République. France 3 Franche-Comté a alors contacté l'académie de Besançon pour en savoir plus.

L'académie indique avoir fait "une erreur"

"En fait, il y a eu une erreur" a déclaré Guillaume Rivoire, directeur de cabinet adjoint de la rectrice. "Nous avons oublié de rajouter que cette consigne concernait les enseignants "dans l'exercice de leur fonction". Bien sûr qu'ils ont le droit de manifester en tant que citoyen, tout en veillant à respecter leur devoir de réserve".

Devoir de réserve, période de réserve électorale... Difficile d'y voir clair. À quoi les enseignants sont-ils réellement tenus ? Selon service-public.fr, le droit de réserve, qui concerne l'ensemble des agents publics, "désigne l'obligation [...] de faire preuve de réserve et de retenue dans l'expression écrite et orale de ses opinions personnelles" et "n'est pas conçue comme une interdiction d'exercer les droits élémentaires du citoyen : liberté d'opinion et liberté d'expression".

Le devoir de réserve ne concerne pas le contenu de vos opinions, mais leur mode d'expression. L'obligation de réserve s'applique pendant et en dehors du temps de travail.

service-public.fr

Cette obligation de "droit de réserve" ne figure néanmoins pas dans la loi française et fait plus figure de principe républicain, jugé au cas par cas par les tribunaux, selon la position hiérarchique du fonctionnaire.

"Dans le cas des manifestations contre l'extrême droite, les enseignants ont le droit d'aller manifester, mais sans leur étiquette professionnelle" précise Maître Alexandre Tronche, avocat en droit de la fonction publique. "En manifestation, l'enseignant qui n'a pas de fonction syndicale ne doit pas faire référence à son métier s'il tient des propos virulents, sans retenue. Mais on ne peut pas lui interdire d'y aller. Ce serait méconnaître la loi française".

"Un cruel manque de confiance et d'estime de notre hiérarchie"

La période de réserve électorale, elle aussi, n'est pas inscrite dans la loi française. Il s'agit d'une période fixée par le gouvernement, relayée aux préfectures. "Mais nous l'avoir rappelée, comme ça, c'est du n'importe quoi" peste Benoît Guyon, professeur de Sciences économiques et sociales au lycée Courbet, à Belfort, et représentant syndical SNES-FSU. "Nous avons tout au long de l'année un devoir de neutralité à respecter en classe. Et nous le respectons. Nous sommes conscients d'être en face de jeunes en construction".

On ne fait pas de la propagande politique en cours. En nous renvoyant ce mail, même avec le rectificatif, on voit cela comme un cruel manque de confiance et d'estime de notre hiérarchie.

Benoît Guyon,

professeur de Sciences économiques et sociales au lycée Courbet, à Belfort, et représentant syndical SNES-FSU

Salim Aouadi, lui, assure ne pas avoir reçu le mail rectificatif de l'académie, au contraire de Benoît Guyon. Et ne décolère pas. "J'ai demandé à mon inspectrice sur quel article de loi se basait-elle pour avoir envoyé ce mail" explique le co-secrétaire de CGT Educ-Action 90. "Je n'ai encore aucune réponse. Ce courrier, c'est une restriction de notre liberté en tant que citoyen. Et il entretient une ambiguïté : il n'est jamais question des syndicats, cela englobe tous les fonctionnaires".

Le référent syndical l'assure : "la majorité des collègues ont été complètement choqués" par cet acte. "En plus, cela arrive au milieu d'une période où les enjeux électoraux sont fondamentaux, avec un contexte politique tendu comme jamais" assure Salim Aouadi. "Et puis je ne crois pas à cette histoire d'erreur, de termes manquants, car plusieurs régions ont reçu un courriel identique. On prend ça comme une mesure d'intimidation, avec certaines académies qui ont quelques dérives autoritaires".

Le même courrier dans plusieurs académies françaises

Alors, rétropédalage forcé ou erreur maladroite ? Dans tous les cas, un email similaire a été envoyé en Bretagne, dans le Rhône, l'Essonne ou le Vaucluse. La polémique a ainsi pris une portée nationale. "Cette période de réserve ne concerne pas les directeurs et professeurs, comme ils n’ont pas de position hiérarchique", a réagi Guislaine David, la secrétaire générale du FSU-SNUipp, au journal Le Monde

Eric Nicollet, secrétaire général du syndicat des inspecteurs SUI-FSU, a lui protesté le 14 juin sur le réseau social X contre "les abus de pouvoir et tentatives d’intimidation des recteurs et Dasen [qui] se multiplient. Les inspecteurs ne sont pas des sous-citoyens. En dehors de l’exercice de nos fonctions, nous sommes libres de participer à des manifestations publiques et de nous y exprimer".

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Contacté par Le Monde, le ministère de l'Éducation a précisé que les consignes de "s’abstenir de participer à toute manifestation ou cérémonie publique susceptible de présenter un caractère préélectoral" ne concernaient que "la haute fonction publique". 

Concernant le devoir de réserve, le ministère précise qu'il "ne fait pas obstacle à ce que les personnels, inspecteurs ou personnels de direction compris, participent à une manifestation politique". Tout en précisant tout de même qu'ils doivent "mesurer leur expression" et "ne pas se prévaloir de leur statut dans une expression personnelle". Qu'entend-on derrière cette expression "mesurée" ? Quelles sont les limites ? Là encore, un flou persiste, dénoncent les organisations syndicales. 

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