Le Président du Territoire de Belfort a accablé une journaliste de propos sexistes en la tutoyant lors d'une conférence de presse. Eva Chibane n'a pas laissé passer, publiant le 6 décembre 2024 un édito dans son média Le Trois. Florian Bouquet a présenté ses excuses.
Ce genre de configuration, Eva Chibane en a l'habitude. Une conférence de presse donnée par un élu masculin d'un certain âge - en l'occurrence le président du conseil départemental du Territoire de Belfort, Florian Bouquet. De l'autre côté de la table et autour d'elle, trois autres hommes : ses confrères de la presse locale belfortaine.
► « Parce que les femmes, elles aiment l’argent », Edito du média Le Trois
Journaliste de 24 ans pour le média indépendant Le Trois, elle est aussi rompue au sexisme ordinaire. "Des petites blagues limites" qu'elle a toujours plus ou moins laissées filer. Jusqu'à celle-ci, peut-être trop choquante pour être ignorée.
Sidération
Dans la pièce, Florian Bouquet s'exprime sur le dossier sensible du foyer Epona, fermé sous sa présidence en octobre 2024. Après avoir évoqué le chiffre de 900 000 €, soit la somme allouée à la structure chaque année pour la prise en charge de cinq enfants, l'élu prend la journaliste à partie en la tutoyant. « Je suis sûr que, toi – t’es la seule dame autour de la table – et je suis sûr que tu as retenu le chiffre de 900 000 euros par an pour cinq enfants ! »
La jeune femme demande « pourquoi ? » « Parce que les femmes, elles aiment l’argent », répond-il alors que les dictaphones tournent encore. La réaction de la journaliste, c'est d'abord la plus commune chez les femmes victimes d'humiliation publique. "Un rire gêné" qui lui vaudra la double peine de la culpabilité.
Je n'ai même pas remarqué qu'il m'avait tutoyée, j'étais sidérée. Je m'en suis voulue de ne pas avoir réussi à le replacer sur le moment.
Eva Chibane, journaliste
Réaction éditoriale
De retour à la rédaction, la journaliste retombe sur ses pattes. Le mouvement Meetoo est passé par là. Ses collègues la soutiennent. Et l'enregistrement dans son téléphone lui rappelle ce qu'elle aurait pu, sinon, minimiser. Dans un édito publié le 6 décembre 2024, elle raconte et se questionne ("Faut-il en informer les lecteurs ?"), son équipe derrière elle. "Après en avoir beaucoup discuté au sein de notre rédaction, une limite est atteinte pour nous et ça, nous vous le faisons savoir".
Florian Bouquet lui écrit trois heures après : "Si je vous ai blessée je vous prie d’accepter mes excuses les plus plates." Regrets qu'il réitère auprès de France 3, ce dimanche.
Ce n'est pas la phrase la plus intelligente que j'ai dite. Ce n'était pas mon intention de blesser ou de rabaisser. J'en suis le premier malheureux.
Florian Bouquet, président du conseil département du Territoire de Belfort
Un "raccourci bête"
Sa remarque sur la vénalité des femmes ? "Un raccourci bête qui n'avait aucune valeur ajoutée pour l'entretien" selon lui. Après la publication de quatre articles à ce sujet, Florian Bouquet est "triste de la tournure des évènements". Concernant le recours au tutoiement, il répond : "j'avais l'impression d'avoir ma fille en face de moi".
Eva Chibane ne cherche ni la vengeance, ni la réparation personnelle. "Le problème n'est pas que j'aie été blessée", rebondit la journaliste, qui espère plutôt remettre en question le rapport des personnalités publiques à toutes les femmes. Elle a voulu raconter cet évènement "comme un fait journalistique", pour les autres et la suite. De nos jours, "un élu ne peut plus dire ça".