"On ne voit pas le bout du tunnel" : A l'hôpital de Sens, des soignants à bout de souffle

En première ligne depuis le début d'épidémie, des soignants racontent leur quotidien au sein du service de réanimation au centre hospitalier de Sens (Yonne). Ce vendredi 7 mai, le niveau de tension reste toujours très élevé dans cet hôpital particulièrement touché par la 3ème vague.

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"Je suis très fatiguée. On n'a pas les repos que l'on devrait avoir, donc c'est assez compliqué". Soizic Sabau est infirmière en réanimation de l'hôpital de Sens. Arrivée en septembre dernier, juste avant la seconde vague, elle se dit aujourd'hui à bout, comme beaucoup de ses collègues. Le tunnel est long et la fin semble encore trop loin pour Soizic."Il y a un épuisement. Cela commence vraiment à être long. On a dû mal à voir le bout du tunnel." 

Un sentiment partagé par son collègue, Maxime Givord, lui aussi infirmier au sein du service de réanimation à Sens. Il est en première ligne depuis le début de l'épidémie et a connu les trois vagues successives du Covid. "Il y a un état de fatigue plus important donc forcément cela engendre pleins de choses derrière. Cela crée des tensions. L'ambiance en prend aussi un coup."

Aujourd'hui, à l'hôpital de Sens, la réanimation est pleine, les lits du service Covid aussi. Personne ne sait quand les équipes de soignants vont pouvoir souffler. Le moral des équipes est entamé. "L'équipe médicale est à bout de souffle, physiquement et psychiquement," reconnait le docteur Aline Creuwels, responsable du service de médecine Covid à l'hôpital de Sens.

Une fatigue notamment au niveau du service réanimation qui compte encore aujourd'hui sept patients. "Les soignants ressentent une fatigue physique mais également psychique importante. Le moral est en berne," témoigne Dominique Gizolme, responsable de la réanimation. "Etre à bout de souffle pour un soignant est compliqué car il reste animé non plus par sa passion pour le soin mais par son devoir de soin."

Une troisième vague plus difficile à vivre

Cela fait depuis 14 mois que les équipes sont sur le pont et de façon plus intense depuis octobre 2020 avec l'arrivée de la seconde vague. Sauf que dans l'Yonne, la troisième vague a été pire que la deuxième dans les services de réanimations. 

Sur la troisième vague, ce qui a été le plus dur, c'est la masse de travail, avec notamment des transferts en hélicoptère à tire-larigot. Dès que le patient est sorti, il faut remonter la chambre en 2 minutes parce que l’on a trois ou quatre patients qui attendent derrière. Cela a été compliqué."

Maxime Givord, infirmier en réanimation

Si le nombre de transferts en réanimation depuis l'unité Covid est en baisse, il reste encore élevé ces derniers jours, "avec un triste record jamais atteint depuis le début de la pandémie, de 4 patients transférés en réanimation pour la seule journée de lundi 2 mai" explique le docteur Aline Creuwels. "En ce sens, la pression sur le personnel hospitalier reste très forte, sans effet bénéfique pour le moment de la diminution du nombre de patients pris en charge."

Durant cette troisième vague qui s'éternise, les soignants doivent également faire face à des patients plus jeunes. Quelque chose de particulièrement difficile à vivre, sur le plan psychologique pour certains d'entre eux. "Psychologiquement, le fait que ce soit des personnes plus jeunes, cela a été plus compliqué" reconnaît Soizic. 

Dans le service de réanimation de l'hôpital de Sens, la moyenne d'âge des patients est désormais bien plus basse que lors de la première vague. Et plus basse qu'au pic de la deuxième vague. "Sur la troisième vague, on tombe sur des patients qui ont plus de mal à s’en sortir", souligne Maxime. 

Pour les médecins, il n'est pas rare de recevoir des patients qui ont entre 25 et 40 ans comme nous confirme Dominique Gizolme, chef du service. "La moyenne d’âge a au moins diminuée de 8 à 10 ans par rapport à la première vague. Ce qui prouve une agressivité supérieure du variant anglais par rapport à la souche initiale" précise le médecin. "Lors de cette troisième vague l’obésité est réellement un risque majeur de forme grave ce qui n’était pas le cas lors de la première vague où l’obésité était alors une comorbidité comme les autres".

Une tendance qui se confirme aussi au sein de l'unité Covid que gère Aline Creuwels. "De l'unité Covid, nous transférons des patients avec les mêmes co-morbidités qu'au cours des précédentes vagues. La différence, c'est que le nombre de jeunes patients ne souffrant "que" d'obésité est bien plus fréquent, avec des patients de moins de 40 ans qui ne sont plus si rares."

Un niveau de tension hospitalière très élevé dans l'Yonne 

Alors qu'au niveau national, le gouvernement estime que le pic épidémique est derrière nous, les services de réanimation sont toujours aussi chargés et les soignants n'ont pas eu de répit depuis des mois, notamment dans l'Yonne.

Le niveau de tension reste très élevé."

Eve Robert, déléguée départementale de l'ARS

Selon Eve Robert, déléguée départementale de l'agence régionale de santé dans l'Yonne, "si la tendance est encourageante, elle reste sous surveillance." A ce jour, 22 patients sont en soins critiques réanimations et 207 patients sont toujours hospitalisés dans l'Yonne. "Cela reste compliqué pour tous les patients qui n’ont pas le covid. On prend en charge, on ne fait pas de tri de patients mais le niveau de tension reste très élevé," estime Eve Robert. 

La bonne nouvelle concerne le taux d'incidence et donc la circulation du virus dans le département. Il est actuellement de 212 pour 100.000 habitants contre 302 il y a encore quelques jours alors même que le nombre de tests n'a pas diminué.

Les effets du confinement difficilement visibles

Si l"épidémie de Covid-19 semble faiblir sur le territoire, le nombre de malades du Covid-19 dans les services de réanimation continue de reculer lentement. Mais dans l'Yonne, cette décrue a dû mal à se faire sentir comme en témoigne Soizic. "A Sens, je ne vois pas la décrue de cette troisième vague."

La décrue n’a pas commencée au sein du service de réanimation néanmoins les demandes d’admission sont plus faibles. On ne peut pas considérer que la pression sur le service ait diminuée pour l’instant. On peut espérer les premiers effets positifs de la décroissance épidémique d’ici quelques jours

Dominique Gizolme, chef du service de réanimation à l'hôpital de Sens.

En effet, selon l'ARS, il ne faut pas s'attendre à une amélioration avant l'Ascension. "Quand le taux d’incidence baisse, cela se traduit sous un délai de 15 jours sur la baisse des hospitalisations" explique Eve Robert, déléguée de l'ARS. "Pour que cela se traduise, on va devoir attendre jusqu’à l’Ascension."

Des effets du confinements qui se font donc attendre dans le service de réanimation. Beaucoup de soignants estiment que le déconfinement est survenu trop tôt. "Je ne comprends pas" déclare Soizic. "J’ai l’impression que c’est politique avec les élections qui apparochent bientôt."

Un avis partagé par le docteur Gizolme pour qui "contrairement à la première vague où l’avis des scientifiques était prédominant sur les décisions politiques depuis quelques mois, l’avis des scientifiques est probablement minoré. Si on s’en réfère seulement au sanitaire, il est probable que le confinement aurait dû être maintenu jusqu’à une diminution significative des patients hospitalisés."

La vaccination, seule porte de sortie

Pour les soignants, la vaccination reste donc la solution pour éviter une nouvelle vague. "On est juste dans l’espoir que cela diminue, que cela devienne des vagues moins impotantes et que la vaccination ait un effet positif" espère Maxime Givord, infirmier en rénimation. "Cela pourait réelement permettre de ralentir l'épidémie, et à nous de souffler un petit peu de notre coté."

Dans l'Yonne, la vaccination progresse selon l'ARS et la préfecture. Sur le front de la vaccination, 25% des habitants de l'Yonne ont reçu au moins une dose de vaccin. Près de 12,5% des adultes icaunais sont désormais complètement vaccinés. 

D'ici la fin du mois de mai, l'agence régionale de Santé estime que 34% des icaunais auront reçu au moins une dose.

Des soignants dégoûtés par leur métier

Pour expliquer ces difficultés, Maxime, infirmier en réanimation, pointe notamment le manque de personnel en raison de nombreux départs non remplacés. "La première vague, tout le monde a tenu bon mais il y a eu au fil du temps de plus en plus de départs de personnes qui en ont eu marre des conditions de travail. Conséquence, on se retrouve avec autant de travail et moins de personnel."

De son côté, Soizic Sabau a aussi envisagé à un certain moment de tout arrêter. "Je ne vous cache pas que j’y pense régulièrement mais après pour aller où ? Dans dans quel service ?" s'interroge la jeune soignante. "Je pense que si je devais changer de service je changerais de métier."

Une tendance inquiétante confirmée par le docteur Dominique Gizolme. "Ce qui est inquiétant, c’est le nombre de personnels paramédicaux qui modifient leur trajet professionnel et qui quittent l’hôpital public avec pour corollaire l’impossibilité de recrutement" alerte le responsable de la réanimation. "En ce qui concerne les personnels en place, l’apprentissage de la résilience est la règle."

Mobilisés sur le front de la pandémie depuis plus d'un an, les soignants multiplient les signaux de détresse. Selon une étude datant du mois de novembre 2020, un soignant sur quatre envisagerait de changer de métier

"Certaines personnes sont dégoûtées de leur métier" témoigne Soizic. "Il y a beaucoup de départs et énormément de remises en question". L'infirmière pointe le manque de reconnaissance pour expliquer en partie ces départs. "Par rapport au métier que l’on fait, par rapport aux responsabilités que l’on a, on n’est pas beaucoup payé, pas très reconnus."

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