En poste depuis 2012, la directrice des greffes du tribunal de Sens, dans l’Yonne, aurait espionné ses collègues grâce aux caméras de surveillance du palais, des caméras directement reliées à l’ordinateur de son bureau. Le système a été débranché il y a quelques jours après les alertes répétées de ses collègues.
Leurs moindres faits et gestes scrutés depuis plusieurs années par leur supérieure. A Sens, dans l’Yonne, la directrice des greffes en poste depuis 2012 aurait contrôlée les déplacements de ses collègues, leurs pauses, leurs conversations grâce aux caméras de vidéosurveillance du palais – installées à l’origine pour sécuriser les entrées et sorties et les lieux de passage.
Une surveillance constante
Cette surveillance n’est qu’un des éléments. A mes yeux c’est du harcèlement au travail qui existe depuis des années.
Maître Lichère-LemonnierAvocate
Un règne de la terreur par les personnels du service des greffes, soutenus aujourd’hui par plusieurs avocats dont Maitre Laure Lichère-Lemonnier. « La directrice surveillait leurs faits et gestes et leurs allées venues. Mais cette surveillance n’est qu’un des éléments. A mes yeux c’est du harcèlement au travail qui existe depuis des années. Le harcèlement se traduit aussi dans la façon dont vous parlez au gens, dont vous les rabaissez, dont vous les changez de poste...Et ça se traduit par une souffrance physique et morale : des gens qui viennent la boule au ventre au travail, des greffières parties plus tôt à la retraite car l’ambiance était insupportable, des arrêts maladies … Les réactions ont été très violentes ».
Que l’on place des caméras au tribunal, c’est normal, c’est une question de sécurité. Qu’une responsable en détourne l’usage et qu’elle s’en serve pour fliquer ses collègues, ce n’est pas normal
Stéphane Bouchetco-secrétaire national du syndicat Solidarités-Justice
Pour Stéphane Bouchet, co-secrétaire national du syndicat Solidaires-Justice, la directrice du service s’était tout simplement autoproclamée « cheffe de sécurité du tribunal : elle avait trois écrans sur son bureau et elle enregistrait ce qui se passait dans les locaux. Que l’on place des caméras au tribunal, c’est normal, c’est une question de sécurité. Qu’une responsable en détourne l’usage et qu’elle s’en serve pour fliquer ses collègues, ce n’est pas normal ».
La peur des représailles
En novembre 2017, des agents du tribunal saisissent une première fois la cellule de prévention des risques psychosociaux de la cour d’appel de Paris. Quelques agents seulement détaille Stéphane Bouchet : « ils étaient peu à bien vouloir témoigner, par peur des représailles ». Magistrats et fonctionnaires sont entendus, mais les documents de restitution qu’ont pu consulter nos confrères du journal Libération ne mentionnent que de simples « maladresses managériales » et des « tensions avec l’encadrement ». Pour Maitre Lichère-Lemonnier, « il n’y a pas eu à ce moment-là de plainte déposée de façon formelle même s’il y avait des échos des greffiers auprès des magistrats. Je pense que ça n’a pas vraiment été entendu par la hiérarchie, on n’a pas mesuré la gravité de la souffrance des agents. La volonté d’y remédier date de l’arrivée de nos derniers chefs de juridiction ».
Quatre ans plus tard, en novembre 2021, Stéphane Bouchet prend connaissance de ce système de surveillance lors d’une visite dans la juridiction. Alerté par les témoignages recueillis, un signalement est envoyé par Solidaires-Justice à la cour d’appel de Paris et provoque le retour de la cellule de prévention et de nouvelles auditions. « La cour d’appel de Paris savait et rien n’a été fait, c’est grave », déplore le syndicaliste. Depuis, les caméras ont été débranchées. La directrice du service, elle, est en arrêt maladie depuis le 8 décembre.
Enquête en cours
Dans un courrier envoyé à Solidaires-Justice le 22 janvier dernier, le président du tribunal judiciaire de Sens et le procureur de la République informent que la présidente du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail départemental (CHSCT-D) a été contactée « en vue d’envisager des mesures appropriées ». Une réunion – initialement prévue le 13 janvier dernier mais déplacée « faute de quorum » – est prévue le 22 mars prochain.
A l’avenir, il faudra changer les méthodes de gestion du service. Les agents ne pourront plus travailler dans la peur comme avant
Stéphane Bouchetco-secrétaire du syndicat national Solidarités-Justice
« Il devrait y avoir des suites », espère Maître Lichère-Lemonnier, « mais il faut attendre la fin de l’enquête interne qui a débuté en décembre dernier. On espère que ça va donner des résultats après ces nombreuses années de souffrance ». Pour Stéphane Bouchet, « la responsable des greffes n’a pas été cadrée par le président du tribunal ou par la cour d’appel de Paris et ça, ce n’est plus possible. A l’avenir, il faudra changer les méthodes de gestion du service. Les agents ne pourront plus travailler dans la peur comme avant ».
La direction des services judiciaires a été saisie « afin que des décisions adaptées puissent être prises à bref délai » selon la cour d’appel de Paris.