Les producteurs réclament de meilleurs prix, mais les consommateurs seraient-ils prêts à dépenser davantage, quand l'inflation est déjà douloureuse pour beaucoup ? Entre clients et marchands sur un marché, tous sont d'accord pour un juste prix. Aux caisses du supermarché, la question divise.
Maurepas, quartier populaire de Rennes. Le traditionnel marché du mardi attire les habitués, ceux qui privilégient les étals des petits producteurs locaux plutôt que les rayons du supermarché voisin, loin des impressionnants blocages sur les routes.
Erwan, jeune habitant du quartier, est de ceux-là. Avec son amie, il tire son caddie dans les allées du marché, avec un œil sur les étiquettes. "En raison du prix, qui a beaucoup augmenté, je n'achète presque plus de poisson" déplore-t-il. Mais s'il se dit prêt à payer un peu plus sur le marché, c'est moins vrai en grande surface : "Je pense que la grande distribution se fait beaucoup de marges sur ce qu'elle achète aux producteurs, donc je préfère payer directement le producteur et des produits qui me paraissent de meilleure qualité sur un marché." assure le Rennais.
"La qualité, c'est important, je serais prête à mettre un peu plus !"
Le ton est le même chez Hervine, jeune femme au béret rouge, en train de choisir ses légumes chez un maraîcher bio du département : "Je trouve essentiel que tout le monde participe à ce qu'on ait de la qualité ! Pour moi, c'est un facteur très important, la qualité de ce qu'on mange. Donc, je serais prête à mettre un peu plus" affirme-t-elle dans un sourire. "On est content de trouver des producteurs locaux qui nous proposent des choses extraordinaires, poursuit-elle, donc il faut qu'ils puissent vivre, pour qu'on puisse avoir ça le plus longtemps possible."
Avec la grande distribution, "vous n'êtes jamais sûrs d'avoir un revenu"
Dans les cagettes devant lui, les acheteurs découvrent des pommes de terre, des salades, courges, choux et des poireaux... Jacques Crosnier est maraîcher bio, installé dans le secteur de La Guerche-de-Bretagne, à la limite sud-est de l'Ille-et-Vilaine. Pour lui, le marché, représente la relation aux clients, très importante, mais aussi et surtout de la valeur ajoutée apportée à ses produits : "Dans le circuit long, explique-t-il, si les résultats techniques sont un peu moyens, on ne gagne pas d'argent. Quand on travaille bien, on peut, ne pas en gagner non plus, parce qu'on est très dépendant des souhaits de la grande distribution, qui va vous imposer des contraintes sur les légumes. Donc au final, vous n'êtes jamais sûrs d'avoir un revenu."
Rien à voir avec la vente sur un marché, où le producteur à l'entière maîtrise des prix.
"Moi, c'est très simple, pour la façon dont je fixe mon prix. J'ai un coût de production, après, j'ai des besoins, et je dois dégager un revenu pour moi-même. J'établis mon prix par rapport à ça. Là, j'ai mon destin en main. Quand vous travaillez en circuit long, vous n'avez pas votre destin en main."
Jacques Crosnier, maraîcher bio en Ille-et-Vilaine
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"Aujourd'hui les gens regardent les étiquettes"
Un petit peu plus loin, Jean-Luc Jary vend une grande variété de pommes, produites dans l'exploitation familiale à Domagné, en Ille-et-Vilaine. Il se soucie du prix de vente pour les acheteurs, "Le but n'est pas de faire une grosse marge, on préfère faire un prix correct, qui convienne à tout le monde, au producteur comme aux consommateurs, mais sans brader la qualité", fait-il valoir. "Aujourd'hui les gens regardent les étiquettes, observe le marchand, ils regardent les prix et ils font en fonction. Moi, je sers toutes les clientèles, avec ou sans moyens. J'ai un prix pour toutes les catégories de bourses."
D'ailleurs, entre les étals, ils sont nombreux à confirmer que l'inflation les fait consommer différemment. "Même si je suis attentive à la qualité, je regarde les prix, car tout a augmenté un peu", confirme Denise, devant la charcuterie de Christelle. Comme Asma, qui vient d'acheter des pommes, et qui dit "comparer les prix, entre les magasins, pour voir où c'est le moins cher".
"Je suis d'accord avec eux, mais ça n'est pas aux consommateurs de payer !"
D'ailleurs, à la sortie du supermarché, sur la place du marché, les clients confient facilement avoir un budget serré à respecter. Arnaud choisit ainsi plutôt les marques les plus avantageuses et les produits en promotion. "Mais pour soutenir l'agriculture, je pourrais payer un peu plus cher !" avance quand même l'homme du bout des lèvres.
Henri et Marie, eux aussi, disent faire attention à ce qu'ils mettent dans leur panier et aux prix, mais "il n'y a pas de raison de ne pas payer plus cher, à condition d'être sûrs que ce soient les agriculteurs qui produisent", affirment-ils. Quand Assan se met d'emblée à la place des manifestants, "Il faut qu'on soit mieux rémunérés, nous aussi, il faut que ça suive. Les agriculteurs veulent gagner plus, nous aussi, c'est pareil. Payer plus cher pour eux, ça ne me dérange pas, c'est normal, en fait, c'est une chaîne !" s'exclame-t-il.
À l'inverse, il n'en est pas question pour Josiane, qui sort du magasin, son sac de courses à la main, "Je suis d'accord avec eux, il n'y a pas de problème, mais ça n'est pas à nous de payer, ça n'est pas aux consommateurs de payer !" proteste-t-elle.
Pour payer un peu plus les produits agricoles, les avis divergent, même si la colère des agriculteurs semble perçue plutôt positivement par les consommateurs.