Dans le quartier de Maurepas à Rennes entre drogue et violence, un quotidien miné par le narcotrafic

Depuis plusieurs mois, le quartier de Maurepas à Rennes est secoué par des règlements de comptes en série, le plus dramatique d’entre eux se concluant par une fusillade et deux balles dans la tête d’un enfant de 5 ans. Comment les habitants traversent-ils ces épisodes de violence ? Le quartier est-il tombé aux mains des narco-trafiquants ?

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"La lutte contre les narco-racailles". Voilà c’est qu’était venu promettre Bruno Retailleau, ce 1er novembre au pied des tours de Maurepas, quelques jours après de la dixième fusillade liée au trafic de stupéfiants cette année dans la capitale bretonne. Face à lui, des habitants en colère. Désabusés parfois. Une fois le ministre de l’Intérieur reparti, une fois les forces de l’ordre plus discrètes, la vie a repris son cours dans ce quartier populaire du nord de Rennes. Le trafic aussi. 

Midi-minuit. C’est l’horaire d’ouverture du business. Très visibles sur les grands axes du quartier, les guetteurs occupent les lieux, la moitié de la journée. Le matin, certains passent pour une inspection du quartier. Ils connaissent par cœur les heures de passage des CRS, des cris reviennent en écho lorsqu’une patrouille emprunte l’entrée de l’allée de Maurepas. Les guetteurs disparaissent alors quelques instants, avant de reposer leurs sièges pliables sur la route, avec une enceinte et de la musique pour passer le temps entre deux clients.

"Si quelqu’un prenait une balle"

La petite place du Gros-Chêne résume à elle seule la situation complexe du quartier. Un parking condamné, voué à disparaître avec un chantier de transformation d’ampleur, un supermarché où des tirs ont éclaté il y a quelques semaines, des arcades délabrées, des commerces vacants, d’autres qui s’accrochent. Et dans cet îlot, il y a la Cohue. "Les gens peuvent venir soit juste vraiment pour se poser, boire un café, lire le journal, rencontrer du monde, soit pour des services" explique l'animatrice, Chloé, qui multiplie les activités. "On a une conseillère numérique, par exemple, qui est là pour toute l'aide aux démarches. Il y a le café associatif, on fait de la distribution alimentaire".

Ce matin-là, des bénévoles sont motivés, ils préparent un repas pour d’autres habitants. Dans quelques heures, l’association organise un défilé dans la ressourcerie. Son ouverture le mois dernier était passée inaperçue, elle coïncidait avec un énième fait divers dans le quartier. Aujourd'hui, l'association et ses bénévoles veulent marquer le coup.

"Ça me fait du bien de venir là. Sinon, je reste à la maison et ça, c’est pas bon" témoigne Brigitte, qui a trouvé une respiration au sein de la Cohue depuis 3 ans. Coupée de toute vie sociale auparavant, elle a pu passer 3 mois sans sortir de chez elle. Malgré l’ambiance pesante à l'heure actuelle, elle ne renoncerait à ces journées à la Cohue pour rien au monde.
Installée depuis 37 ans, elle a connu les soubresauts du quartier, ses difficultés aussi. "Mes enfants sont nés ici, ils travaillent aujourd’hui, ils n’ont pas eu de souci. Il faut voir aussi les enfants comment on les élève, et qui ils fréquentent aussi" estime-t-elle.

Éviter les mauvaises fréquentations, cette préoccupation ne date pas de ces 18 derniers mois émaillés de coups de feu et de coups de couteau. C’est une préoccupation de toujours. Il y a trois décennies, la "mafia albanaise" avait fait de Maurepas l’un des "sièges sociaux" dans l’Ouest. Depuis, les points de deal ont changé de mains au gré des arrestations et des luttes de territoires. La dernière en date opposant des Guyanais et des Mahorais, de manière sanglante.

Dans le local de la Cohue, Brigitte et Pascal préfèrent ignorer cette guerre. Alors qu’il s’occupe des pois chiches, Pascal s’explique, fataliste : "ce qu’il se passe à côté, on le vit au quotidien depuis un moment. Et demain, et après-demain, ce sera toujours pareil. Eux, c’est leur métier, d’une certaine façon, c’est malheureux mais il n’y a rien à faire, et on ne va pas arrêter de venir à l’association non plus. Je ne tiendrais peut-être pas le même discours si quelqu’un de l’association prenait une balle…" A leurs côtés, Chloé l'animatrice aimerait que l’on pose le regard ailleurs : "Quand on entend parler de Maurepas dans les médias, ce sont les violences, le narcotrafic, ce sont les tirs… Maurepas, c’est aussi un quartier où il y a énormément d’associations, un réseau associatif énorme, on fait plein de choses ensemble".

Une tribune et une pétition

Malgré tout, les tirs sur un enfant de 5 ans auront révélé aussi les limites des acteurs associatifs et des collectifs citoyens. D’ordinaire très actifs, ils sont nombreux à avoir ignoré nos sollicitations pour évoquer la situation du quartier. Après des semaines d’échanges, parfois par peur de représailles, certains ont décliné nos demandes d’interviews, nous adressant une tribune et une pétition en guise de réponse.

« Chaque jour, nous sommes aussi les récepteur·rice·s de la parole et du ressenti des habitant·e·s. Et en ce moment, ils et elles nous racontent leur peur, leurs troubles du sommeil, leur hypervigilance, leur désespoir, leur colère, la suspicion entre voisin·e·s, leur auto-confinement, leur sentiment d'abandon, d’injustice, de déshumanisation... »

Tribune associative de Maurepas

Tentatives de rackets, insultes, menaces, incitations à changer de chemin pour ne pas déranger le business, les conséquences d'un point de deal à domicile sont lourdes. Impossible de traverser les quelques allées qui composent cette cité sans balayer du regard les alentours. La présence des dealers est telle qu'il est impossible de circuler sans passer devant l'un des points de vente. Les habitants sont donc contraints de presser le pas, et souvent de baisser la tête.

Un constat critique qui amène aussi une réponse ferme, selon ce collectif d'acteurs du quartier. Là où la première réponse de l'Etat a été de déployer la CRS 82 dans un temps court et de contrôler la circulation aux abords, ces associations demandent plutôt une prise en charge psychologique des "personnes qui vivent et travaillent dans ce climat anxiogène", et le renforcement de moyens pour soutenir les associations qui y œuvrent. Une pétition a même été lancée pour appuyer cette demande.

Des guetteurs de 14 ans

Œuvrer en dépit de tout, c’est le credo de Camille Huet, responsable de la Cohue. Plus que jamais, les actions et la présence de l’association se sont avérées précieuses et sans failles. "Nous, notre parti pris, c'est d'occuper le terrain, de proposer des temps de rencontre, d'échanges pour créer des moments joyeux, que les gens se parlent, qu'on n'ait pas peur les uns des autres et d'être sur l'espace public au maximum" explique-t-elle.

Occuper le terrain, organiser des évènements là où la vie pourrait s'arrêter. Tout en voulant comprendre pourquoi le quartier a pu dériver aussi vite et aussi fort ces dernières années : "il faut voir pourquoi on en est arrivé là, quelles sont les causes ? Pourquoi on en arrive à avoir des jeunes de quatorze ans qui font les guetteurs et pourquoi il n'y a pas plus d'animateurs de rue, de présence dans la rue ?"

Cette question de l’occupation de la rue existe depuis que Maurepas est Maurepas. En 1970, les tours sont sorties de terre depuis une dizaine d’années seulement. Et déjà, les acteurs de terrain s’interrogent sur les lacunes de cette cité rennaise, au moment de créer une maison de quartier. À l’époque déjà, le quartier est densément peuplé, la jeunesse nombreuse, désœuvrée.

 Un demi-siècle plus tard, rien n’a changé. Sauf la rue, devenue plus violente, avec la tentation de l’argent facile. D’où l’urgence d’offrir un autre horizon à la jeunesse du quartier.

C’était l’idée de Baptiste Julien Blandet en créant "Brèves de quartier". Ce journaliste encadre des ateliers d’écriture avec des adultes atteints de handicaps psychiques, ou avec des jeunes. Ce mercredi après-midi, ils seront cinq âgés de 7 et 8 ans, à réaliser un reportage sur la ressourcerie de la Cohue.
Sur Brèves de quartier, il n’est pas question de misère ou de trafic de drogues "C'est leur quotidien, donc ils sont déjà totalement immergés par cette ambiance" constate Julien Blandet, "donc c'est pour ça que c'est important de leur montrer autre chose".

Dans ce quartier, une famille sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté. Un foyer sur deux est une famille mono-parentale. Les tours de Maurepas ont longtemps été les logements les moins chers de Bretagne. Les deux allées qui cernent le quartier ont ainsi concentré et exacerbé toutes les difficultés sociales du pays. Aller de l'avant sans stigmatiser, c'est aussi le but des intervenants du secteur. 

Alors que les petits s’emparent des micros, ou de l’appareil photo, Baptiste Julien Blandet est prévenant avec "la relève". En reportage au bout de la rue, ces enfants passent plusieurs fois devant ceux qu’ils appellent "les trafiquants". Ils sont en CP, et connaissent déjà tout de cet univers. "Malheureusement, il y aura une partie d’entre eux qui aura cette tentation d'aller vers l'illégal, pour eux, ce sera plus intéressant que de s’insérer dans une vie normale" constate Baptiste Julien Blandet. "Ils peuvent trouver de l’argent facilement là où la société les rejette, quand on n'a pas d'argent, et qu’il n’y a pas de missions, pas de travail intéressant, et qui leur permettent de vivre et d’avoir une famille… C'est ça le sujet en fait" conclue le journaliste.

Retrouvez Enquêtes de Région - Bretagne sur France 3 Bretagne mercredi 3 décembre à 23h15 

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