"Un accident de la vie", c'est ainsi que Sandrine et Didier parlent de la maladie génétique rare de leur fille. Ni elle ni lui n'ont transmis le syndrome de Di George à Emma. Elle est née ainsi, il y a 17 ans. Le couple a vécu des années d'errance de diagnostic et témoigne pour faire connaître cette maladie aux multiples symptômes.
Dans quelques jours, Emma va réaliser l'un de ses rêves : plonger sous la glace. "Elle a repéré cela sur une brochure donc elle veut y aller, dit son père. C'est une idée fixe".
Des idées comme celle-ci, l'adolescente de 17 ans en a quelques-unes. À commencer par vivre au milieu des animaux sauvages, en particulier le lion blanc d'Afrique du Sud. "Là encore une idée fixe" soulignent ses parents, lesquels, ainsi qu'ils le précisent, ne veulent pas "casser ses envies" mais invoquent "le principe de réalité". Car Emma est atteinte d'une maladie génétique rare : le syndrome de Di George, du nom du médecin l'ayant décrit dans les années 60, qui, outre les atteintes physiologiques, comporte également un volet psychiatrique. "En fait, avec Emma, c'est tout ou rien. Elle nous dit : 'je veux faire ça' sans être en capacité de voir les difficultés pour y parvenir, d'anticiper les étapes. Il y a un décalage entre sa vision des choses et le réel".
Errance de diagnostic
Sandrine et Didier mesurent toutefois le chemin accompli par leur fille depuis la découverte de la maladie il y a 13 ans. "On fait ce que l'on peut et au mieux pour garder une vie la plus ordinaire possible, on débroussaille le parcours pour elle, confie la maman. Mais on a bien conscience que derrière un 'je veux' ou un 'je ne veux pas', le quotidien est bien plus compliqué".
Lorsque le généticien a mis des mots sur ce dont souffrait Emma, je l'ai vécu comme un grand soulagement
DidierPère d'Emma
Ce syndrome de délétion 22q11 est arrivé dans leur vie comme "une déflagration". Après des années d'errance de diagnostic.
Il a fallu une bronchite qui ne guérissait pas, quand Emma avait 4 ans, pour mettre à jour ce qui ne semblait pas flagrant jusque-là. "La bronchite s'est transformée en double pneumopathie, relate Sandrine. On a enchaîné les rendez-vous médicaux pendant 6 mois et on a même fini aux urgences car elle ne s'en sortait pas".
Une échographie cardiaque montre une malformation de l'aorte. D'autres examens révèlent qu'un de ses poumons ne s'est pas bien développé et que son système immunitaire est quasi inexistant. "Ce qui nous a conduits chez un généticien, raconte Didier. Lorsqu'il a mis des mots sur ce dont souffrait Emma, je l'ai vécu comme un grand soulagement. Enfin, on avait des réponses à nos questionnements".
"Un accident de la vie"
Les petits signes, qui, depuis la naissance de la fillette, auraient dû alerter le médecin de famille sont passés inaperçus. Emma a marché tard, était souvent malade, ne parlait pas à l'âge de 3 ans. "Avec le recul, analyse Sandrine, je pense que j'ai été dans le déni parce que j'ai une sœur fortement handicapée et que je ne voulais pas revivre cela. Didier, en revanche, a toujours eu des doutes sur l'évolution de notre fille".
Le syndrome de Di George, localisé sur le chromosome 22, est complexe à cerner, d'autant qu'il compte plus de 180 symptômes, d'une gravité variable d'un patient à l'autre. Chez Emma, les anomalies n'étaient pas suffisamment sévères pour être repérées. La maladie génétique ne lui a pas été transmise par l'un de ses parents. "C'est juste un accident de la vie in utero, explique Sandrine. Une mutation sauvage du gène quand les cellules se sont créées".
Lorsque le diagnostic tombe, en septembre 2010, Sandrine est sur le point d'accoucher d'une deuxième fille. "Dès qu'elle est née, elle a bénéficié d'un test génétique qui est revenu négatif". Cette maman a toujours du mal à accepter que le syndrome dont est atteinte Emma n'ait pas été dépisté plus tôt, "surtout, souligne-t-elle, que j'ai été hyper suivie pendant ma première grossesse, vu mes antécédents familiaux et le handicap de ma sœur".
Scolarité adaptée
Didier et Sandrine évoquent, sans tabou, la lourde charge mentale induite par la maladie génétique rare de leur fille aînée pour laquelle il n'existe aucun traitement. Ils partagent leur expérience de parents aidants au sein de groupes de parole et s'appuient également sur le travail de Rares Breizh, la plateforme d'expertise maladies rares de Bretagne.
Ils se sont beaucoup documentés pour comprendre le syndrome de délétion 22q11, grâce notamment à Génération 22, une association de soutien aux familles. Alors quand, dans leur entourage, on leur dit qu'ils en font peut-être un peu trop et que leur fille n'est pas si gravement handicapée, que ce n'est qu'un "grain de sable", le couple serre les dents. "Au premier abord, rien ne distingue Emma des autres, note Sandrine, elle a peut-être le nez un peu plus ourlé, les oreilles décollées, mais rien dans son physique n'est marqué. Si on ne sait pas qu'elle a ce syndrome, on ne le sait pas. Sauf que nous, on sait et surtout, on le vit".
Elle est capable d'y arriver mais au prix de beaucoup d'anxiété
SandrineMère d'Emma
Sur le plan cognitif, "les apprentissages ont été difficiles". Emma suit une scolarité en milieu ordinaire de la maternelle à la primaire. "Les enseignants et l'auxiliaire de vie scolaire l'ont beaucoup aidée, la classe l'a aussi tirée vers le haut mais il lui manquait les bases en lecture et écriture" explique Didier.
A l'entrée au collège, l'adolescente est orientée vers une SEGPA (section d'enseignement général et professionnel adapté) et obtient son brevet. "Elle est capable d'y arriver mais au prix de beaucoup d'anxiété, observe Sandrine. Lorsqu'elle a passé son CAP, elle a perdu ses cheveux, par exemple. Ce qu'elle ne peut pas exprimer par la parole, c'est son corps qui le dit". Le trouble anxieux est l'une des manifestations du syndrome de Di George. "Mais en grandissant, et notamment à l'adolescence, des troubles psychiques plus importants peuvent survenir, ajoute Didier. Comme la schizophrénie".
"Entre les deux"
Emma est suivie par un psychiatre. De même effectue-t-elle un bilan psychomoteur, orthophonique et neuropsychiatrique à chaque étape charnière de sa vie. "Ce qui nous permet de savoir comment elle est à l'instant T, toujours dans le but d'avancer et de lui offrir un environnement où elle se sent bien".
La jeune fille a décidé de continuer ses études après le CAP, en changeant de filière. De la restauration, elle est passée à la gestion des milieux naturels et de la faune dans un lycée agricole près de Rennes. Elle prépare son bac pro. "Une sacrée marche pour elle, salue sa mère. Du milieu adapté de la SEGPA, elle est revenue à un milieu ordinaire. Elle est épaulée par une AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap, NDLR). Même si elle ne nous dit pas grand-chose, nous savons qu'elle est heureuse. Elle est même interne. Elle se plaît là-bas et cela nous fait chaud au cœur car c'est un grand pas vers l'autonomie".
Emma n'est pas dans l'ordinaire et elle n'est pas non plus dans le handicap total. Elle est à côté, entre les deux
SandrineMère d'Emma
Le couple sait que la route est encore longue et semée d'écueils. Les interrogations sur l'évolution psychiatrique de la maladie demeurent. "On est attentifs, confie-t-il. Socialement, Emma se développe doucement. Elle a des copines, elle fait du tennis, de la musique et elle s'est mise au BMX".
Sandrine se demande quel sera l'avenir professionnel de sa fille qui se fatigue vite, "même si elle est volontaire", et qui se sent en sécurité dans "sa bulle enfantine". "Emma, elle n'est pas dans l'ordinaire et elle n'est pas non plus dans le handicap total. Elle est à côté, entre les deux. Mais le syndrome, lui, est bien là".
Reste cette "idée fixe" du lion blanc avec laquelle les deux parents doivent composer. "Cela dure depuis 5 ans, soupire Didier. Et elle n'en démord pas".