Vivre sur un bateau, un choix peu rationnel ? Détrompez-vous. Pour certains, rien de plus logique. Certes un choix, mais surtout une continuité dans leur parcours de vie. Ils n'ont rien plaqué. Ils ont juste abandonné ce qui peut paraître indispensable, une maison et beaucoup d'objets. Sept marins, l'amour de la nature chevillé au corps nous racontent.
Quitter la pierre pour vivre en mer ou en rivière. Ils sont nombreux en Bretagne à tenter l'aventure pour assouvir pleinement leur passion ou trouver à un moment de leur vie le meilleur compromis d'habitat. Seuls ou en couple, retraités ou actifs, ils se lancent. Une évidence pour certains, un drôle de pari pour d'autres qui s'installent sans rien connaître à la navigation. Ils savent que cette vie n'est pas faite pour tout le monde et choisissent d'y engloutir quasiment tout leur argent. Quelques uns possèdent encore un pied à terre sur la terre ferme mais c'est sur l'eau qu'ils disent se sentir le plus heureux.
"Ce que j'aime, c'est d'abord la mer, les endroits encore préservés. J'aime ce cadre de vie où je peux toucher les bords. C'est une drôle de sensation. J'ai le sentiment que dans ce milieu que je maîtrise, j'ai ma place. C'est un cocon. J'ouvre une parenthèse. Tu te crées ton monde, il est à toi. Tu es le capitaine qui tient fièrement la barre de son destin" exprime d'un ton amusé le retraité Eric Pajon*.
D'où vient l'envie ?
Originaire d'une famille rurale, rien ne le prédestinait à vivre sur un bateau sauf peut-être "Marin" le prénom de ses grand-pères depuis cinq générations, raconte-t-il se moquant de lui. Son envie ne date pas d'hier. Elle se nourrit dès l'enfance des cours estivaux de dériveurs au Pouliguen puis adolescent, des nombreuses sorties en mer organisées entre copains à Saint-Malo. "Nous étions obsédés par la mer" confie-t-il. Un livre, " La longue route " de Bernard Moitessier, le marque. Des pages magnifiques décrivent le vivre en mer et scelle à tout jamais son amour inconditionnel à l'océan.
Le bateau, c'est une affaire de passion, ce n'est pas très rationnel. Il m'attire comme un aimant.
Éric Pajon
"Je suis toujours heureux sur mon bateau, même à quai. Ce mode de vie est fait pour moi. Souvent nous ruminons des questions existentielles, sur un bateau, tu es là, tu vis, c'est plus simple. Ca donne une énergie folle" relate t-il.
Accomplir un rêve de gosse, ce motif nous fait tous rêver. Mais d'autres circonstances de la vie conduisent aussi à vivre sur un bateau :
Jean-Michel Bleis vend sa maison pour un problème de mauvais voisinage. "Il fallait quitter la maison pour que l'on soit bien tous les deux. Ma femme a lancé l'idée du bateau, j'ai répondu Banco" se souvient-il. C'est au petit port de Kernevel à Larmor-Plage qu'ils sont installés depuis six ans.
Pour Daniel Barthélémy, c'est une rupture familiale qui l'incite à faire table rase du passé et à quitter le Jura. "Je n'avais plus de famille. J'ai vu un bateau en vente sur le port de Lorient. J'ai demandé le prix, je l'ai acheté. A l'époque je savais à peine naviguer" se remémore t-il. Il l'habite depuis vingt cinq ans.
Raphaël Caradec, lui, c'est la crise du logement qui le pousse à acheter un bateau comme résidence principale. Ce choix correspond à sa vie nomade de saisonnier et à son besoin d'habiter un centre-ville."Je déménageais constament, n'avais pas les moyens d'investir dans un appartement. Ce point de chute, un petit voilier de 10m2 a simplifié ma vie".
Comment plonger ?
Leur changement de vie ne repose pas sur un abandon ni un renoncement. Bien au contraire, il repose sur un ancrage profond.
Bertrand Lecerf a tout vendu, sa maison, son entreprise, pour investir au maximum dans un catamaran et au minimum dans un petit appartement. Un foncier pour reprendre contact avec ses proches et au besoin se soigner. "J'ai toujours très vite besoin de m'y échapper" confie cet ancien chef d'entreprise malouin.
Voir le large, voir la mer, j'aime cela.
Bertrand Lecerf
Depuis ses quatorze ans il pratique la voile. Actif, il s'accordait huit à neuf semaines de navigation par an. À l'arrêt de son activité, de grands voyages l'attendaient.
"Les gens les plus heureux que j'ai rencontré en bateau alternaient 6 à 8 mois en mer puis ils rentraient à terre voir leur famille. Je suis parti en Polynésie puis aux Antilles. Être disponible me permet d'aller plus loin, de visiter d'autres pays, mais plus je vais loin et moins je vois mes amis et ma famille. Je m'organise pour ne pas franchir une durée de voyage qui me donne le mal du pays" souligne t-il.
Jean-Michel Le Bleis s'était dit que si en couple ils passaient le premier hiver sur le bateau sans problème, ça serait gagné. Il se souvient de la difficulté de se séparer d'une immensité de choses à la vente de leur maison.
Finalement nous nous sommes allégés d'un poids sur nos épaules et n'avons jamais été aussi heureux qu'aujourd'hui.
Jean-Michel Le Bleis
Trouver dans leur budget la longère de leur rêve aux portes de Rennes était un défi impossible pour Florent Le Saout et son épouse. Lors d'un week-end à Lyon, ils ont un coup de foudre pour les péniches aux superbes terrasses installées le long du Rhône. A leur retour, ils réorientent leur recherche vers l'achat d'un bateau. La quête s'avère plus difficile qu'ils pensaient jusqu'à la visite d'une péniche, salon de coiffure. Ils contactent le chantier naval. "La construction était complexe et a duré deux ans. Notre souhait était de retrouver un lien fort à la nature et d'être proche de nos lieux de travail. Mes opportunités professionnelles sont plutôt dans des villes à rivière, Rennes, Nantes, Angers. J'ai vécu à Amsterdam, à Bruxelles. Si demain, je travaillais dans une ville portuaire le voilier deviendrait un choix" argumente-t-il.
Combien ça coûte ?
70m2 habitables. Florent Le Saout estime le prix au m2 de sa péniche équivalent au prix du m2 d'un logement neuf en dur à Rennes."C'est un bateau qui coûte assez cher car nous avons privlégié des matériaux biosourcés. Le bateau est BBC (Bâtiment Basse Consommation)" explique-t-il.
Mais un bateau s'use comme une voiture. C'est du consommable. Il ne prend pas de valeur, ne dure qu'environ 45 ans et son entretien ne peut pas attendre.
Le coût annuel d'un bateau est estimé entre 15 à 20% de sa valeur d'achat. Mais il y a un grand écart entre les gens. Certains se débrouillent très bien avec peu de moyen.
"J'ai fait le choix de perdre de l'argent pour aller au bout de mes rêves" déclare joyeusement Cyrille.
A 35 ans, celui qu'on surnomme Capitaine Bouclette, achète un voilier de 14m pour réaliser son rêve, traverser l'Atlantique. Douze ans plus tard, il y vit toujours.
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Raphaël a patienté six mois pour avoir une place à l'année. Elle lui coûte 2200€. "A ces frais, j'ajoute le coût annuel du carénage, soit 500€ le prix de deux pots de peintures. J'échoue, je béquille et repeind moi-même le voilier. Mais au moindre imprévu je suis fragile. Lorsque mon moteur m'a lâché, j'ai mis du temps à le réparer tant la facture était salée" témoigne-t-il.
"Le monde de la plaisance a beaucoup changé. C'est devenu très cher et très compliqué de trouver un mouillage. Les bouées sont de plus en plus nombreuses et payantes. Le plaisancier est devenu une vache à lait. A l'île de Moréa, nous ne sommes plus les bienvenus. Dans cette magnifique baie, vous voyez maintenant d'énormes bateaux de croisières américains. Ils ont de l'argent donc tous les droits" s'indigne Bertrand Lecerf.
C'est devenu un monde de riche, on voit qu'il y a de l'argent, chefs d'entreprises, héritiers, agents immobiliers.
Bertrand Lecerf
Difficile de résister même avec un petit bateau à des tentations de confort qui engendrent des frais supplémentaires. Un plus gros moteur pour mieux manœuvrer, un groupe électrogène pour éviter les pannes d'électricité, des bouteilles de plongé pour profiter du décor sous-marin...
Quels prérequis pour ce style de vie ?
Tous s'accordent à dire qu'il vaut mieux être polyvalent, aimer apprendre et avoir un état d'esprit bricoleur.
"Je n'étais pas bricoleur. Avec les tutos, j'ai appris d'abord en électricité, puis en couture, j'ai refait mes selleries puis mes rideaux" expose enthousiaste Raphaël Caradec.
Il faut être souple, s'adapter, avoir envie d'apprendre et de comprendre beaucoup de choses.
Florent Le Saout
"Si vous n'êtes ni curieux, ni manuel ou technique, ce style de vie et d'habitat vous décevra. Votre achat pourrait vous coûter plus cher qu'une maison".
Faut-il savoir naviguer ?
Tous ceux qui nous ont témoigné se disent autodidactes. Ils ont appris par eux-mêmes et avec l'aide des autres.
"La voile, c'est un peu comme quand vous apprenez à nager. Au début vous êtes prêt du bord, puis peu à peu vous vous écartez" révèle Cyrille. A peine initié, il s'est acheté son premier voilier. Aujourd'hui sa joie est d'apprendre aux autres à naviguer grâce au site Vogavecmoi. Un clic suffit pour s'inscrire comme équipier le temps d'une croisière.
Raphaël Caradec, lui, ne savait absolument pas naviguer. Il s'instruit en voguant avec ses voisins. Au fil du temps ils partent à deux bateaux jusqu'à Camaret en week-end. Aujourd'hui il aimerait acheter un voilier plus rapide pour aller plus loin.
La base c'est la météo.
Bertrand Leclerc
Bien prévoir la météo minimise les risques. "C'est comme en montagne, si vous vous aventurez alors que la pente est raide, qu'il neige, qu'il y a du brouillard, qu'il fait -10°C, c'est compliqué. En bateau par beau temps, même si vous n'êtes pas très compétent, les petits problèmes seront faciles à résoudre" explique-t-il.
Sur 3 à 4 jours vous pouvez suivre des formations clés pour apprendre à vous débrouiller. Formation météo, médecine, survie, moteur....
Change-t-on sa façon d'être ?
Tous s'accordent pour reconnaitre que vivre sur un bateau modifie sa façon d'être.
Se débarasser du surperfu, revenir à l'essentiel, à des choses simples et de base. Jean-Michel Bleis a opté pour ce style de vie. En moins d'une heure il est prêt à partir. "Lorque l'on va mouiller à Groix, nous avons l'impression d'être parti en vacances quinze jours. Le temps s'étire. Je suis bien à bord. Le paysage n'est jamais le même, le vent, le bruit du ressac sur le sable, le clapotis, je m'émerveille et chéris ces moments" signifie le retraité.
Je me contente de ce qu'il y a, ce n'est pas péjoratif. C'est une façon de vivre tournée vers le bonheur.
Jean-Michel Bleis
"En vacances, je remarque les gens de passage. Certains font n'importe quoi. Ils vident leur assiette à l'arrière des bateaux, c'est sale et interdit. Pour bien vivre ensemble, protéger la nature et préserver notre cadre vie, au port et en mer notre communauté de marins respecte les consignes de la capitainerie. Cette éthique créée un cercle vertueux" émet Daniel Barthélémy.
Se sent-t-on plus isolé des autres ?
Bertrand Lecerf explique que le premier intéret d'avoir un bateau est de pouvoir inviter du monde, d'avoir du temps avec les autres pour échanger.
"Mes meilleurs amis c'est en bateau que je les ai rencontrés. Sur du long terme, la vie à bord s'organise, quarts, préparation des repas, pêche, lecture, on ne s'ennuie jamais. Ensemble du matin au soir, impossible de tricher. On est soi-même. Ces moments sont une belle leçon de vie. Ils apprennent à faire attention à l'autre, à tolérer. Naviguer transforme la vision de la vie de certains".
Daniel Berthélémy dépeint le ponton comme un petit village solidaire de gens passionnés. "Dès que j'ai besoin d'un petit coup de main, tout le monde arrive pour aider".
C'est simple et fraternel"
Daniel Barthélémy
Quelles sont les contraintes ?
La pluie, le vent, la houle, la force des éléments. L'hiver est une saison redoutable. Se mettre à l'abri, surveiller sans relâche le bâteau, avoir peur que l'ancre ne tienne pas au mouillage, espérer n'avoir rien oublier pour que le bâteau tienne le coup lors des tempêtes n'est pas de tout repos.
"Il faut entrainer sa compagne, sa famille dans cette vie là. Ce n'est pas toujours facile" déclare Eric Pajon. Toujours en mouvement, la vie sur un bateau est plus physique qu'à terre.
Bouger, repousser les limites de son confort requiert du courage. "Je me force toujours à repartir. C'est difficile de quitter les copains et d'aller vers l'inconnu" témoigne Bertrand Lecerf.
Quelles sensations éprouve-t-on ?
Naviguer apprend aussi la résilience et le lâcher prise, apprend à remercier la beauté qui sans cesse se renouvelle sous nos yeux au lieu de se plaindre de ce que l'on n'a pas.
Savoir s'émerveiller de l'instant présent est une façon de se tenir, une fierté, un devoir.
Eric Pajon
Jean-Michel Le Bleis pensent que des stages de vie sur un bateau pour les jeunes de 15, 20 ans devraient être obligatoires, qu'ils leur apprendraient à ne compter que sur eux-même, à devenir responsables et humbles. "Sur l'eau, on se rend compte à quel point on est petit quand on voit la taille de certaines vagues" commente-t-il.
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"C'est plus de liberté. J'éprouve un sentiment d'accomplissement et de dépassement de moi lorsque j'arrive à bon port. Les voyages offrent l'impression délicieuse d'une expériennce unique, d'avoir réalisé quelque chose que tout le monde n'a pas fait. J'en ressors toujours plus fort". conclut Bertand Lecerf.
Le grand Dehors impose le respect et nourrit de beauté. La ligne d'horizon n'en finira jamais de fasciner. C'est l'aventure, l'inconnu, de nouvelles émotions. Tous souhaitent encore aujourd'hui continuer à vivre sur leur bateau. Et vous, seriez-vous prêts à vous jetter à l'eau ?