Pendant plus de vingt ans, Ludovic Maugé a utilisé du glyphosate pour désherber les jardins. Atteint d'un lymphome foudroyant en 2020, cet ancien paysagiste est aujourd'hui en rémission. Son cancer du sang a été reconnu comme maladie professionnelle. Sa bataille : alerter pour que cela n'arrive plus.
Tout a commencé par des pertes d'équilibre, des pertes de conscience. Ludovic Maugé ne comprend pas ce qui lui arrive. Il a alors 48 ans, il n'a plus aucune force.
Après plusieurs mois d'errance médicale, le diagnostic tombe : il est atteint d'un lymphome rare. Le service Santé au Travail et pathologie professionnelle du CHU de Rennes établit un lien avec les herbicides qu'il a manipulés pendant deux décennies. Le paysagiste souffre d'une maladie professionnelle due à l'exposition au glyphosate. Il témoigne aujourd'hui pour sensibiliser aux dangers de ces produits.
Comment aviez-vous l'habitude de travailler ?
Comme paysagiste, je travaillais avec un pulvérisateur rempli de Roundup. Pour nettoyer les allées, pour qu'il n'y ait pas de mauvaises herbes, que tout soit toujours propre. Les gens aiment ça la propreté.
Il n'y avait pas de masques, pas de gants. On faisait ça sans rien, sans aucune protection.
Je ressentais parfois des brûlures, des démangeaisons sur le visage, j'avais la peau irritée. Il m'arrivait de perdre l'odorat pendant plusieurs jours.
La seule mise en garde, c'était une tête de mort sur le bidon. Je n'avais pas du tout conscience des risques.
Quel a été votre parcours depuis l'apparition de la maladie ?
J'ai d'abord subi quantité d'examens avant que les médecins n'établissent un diagnostic. Ils pensaient à une hernie, à la maladie de Lyme... Finalement, ils ont diagnostiqué un lymphome rare.
J'ai subi douze chimiothérapies au total. Je suis resté hospitalisé pendant plus d'un an. Aujourd'hui, j'essaye de reprendre des forces. Avec les séances de rééducation, je réapprends à marcher, histoire de pouvoir être debout, d'être un peu plus indépendant.
Je sais que je ne remarcherais plus comme avant, j'aurai toujours besoin de mon fauteuil. Mais ça fait du bien d'être entouré, les soignants ont toujours un mot gentil.
C'est un cancer reconnu comme maladie professionnelle ?
Ce sont les médecins du service hématologie qui ont fait le rapprochement avec le glyphosate. Le professeur Christophe Paris a reconnu la maladie professionnelle. Le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides me verse 330 euros par mois d'indemnisation.
J’ai justifié tous les achats de mes produits depuis le début de mon entreprise. J’avais toutes les factures avec les marques qu’on connaît : Roundup, Gallup, des insecticides et un tas d’autres produits anti-mousse pour les pelouses. J'ai bien la preuve que je les ai utilisés pendant vingt ans.
Pourquoi êtes-vous devenu lanceur d'alerte ?
Aujourd’hui je veux témoigner pour que cela n’arrive plus. À personne. C’est important d’en parler pour la jeunesse, pour tout le monde. Il faut qu’ils sachent que ces produits autorisés ne sont pas anodins.
À 48 ans, ma vie a été détruite. Quand vous avez trois jours consécutifs de chimiothérapie nuit et jour, des transfusions de sang, de plaquettes, et que la maladie ne vous lâche pas, ça détruit tout, toute une famille.
J’ai été même jusqu’à avoir perdu la mémoire. À ne plus reconnaître ma famille, ne plus reconnaître ma femme, mes enfants… À ce moment-là, on a même parlé de me placer.
Et tout ça à cause de quoi ? À cause du travail et de ces pesticides.
Ma bataille aujourd’hui c’est de provoquer une prise de conscience générale. Avec mon "association Phytovictimes", je me bats pour ça.
Tout le monde sait que ces produits sont toxiques. On empoisonne les gens, on le sait, pourquoi continuer ? C’est le profit, l’argent... C’est bien triste.
J’en ai pris conscience. Mais trop tard.
Ludovic Maugé espère une interdiction définitive du glyphosate. À ce jour, l'herbicide produit et commercialisé par la multinationale Bayer-Monsanto est toujours autorisé à la vente. La commission européenne vient même de prolonger cette autorisation jusqu'en décembre 2023. Afin de "poursuivre l'évaluation du produit en toute sécurité juridique", un produit sur le marché depuis 1975.