Sécheresse. Pourquoi faut-il utiliser davantage nos eaux usées

En déplacement dans les Hautes-Alpes, Emmanuel Macron a voulu préparer la France aux sécheresses causées par le réchauffement climatique et annoncé jeudi un "plan de sobriété" sur l'eau. Le président a annoncé un objectif de 10% de réutilisation des eaux usées d'ici 2030, alors que la France est très en retard sur ce sujet. Une annonce qui était très attendue par l'industrie agro-alimentaire bretonne.

En déplacement jeudi 30 mars, Emmanuel Macron a annoncé un "plan de sobriété" sur l'eau pour tous les secteurs économiques mais aussi pour les particuliers qui pourraient payer plus cher s'ils en consomment trop, lors d'un déplacement dans les Hautes-Alpes où il a estimé que la crise des retraites ne signifie pas que "tout doit s'arrêter".

Le président a notamment annoncé la mise en place d'un objectif de 10% de réutilisation des eaux usées d'ici 2030, alors que la France est très en retard sur ce sujet. E n France, seulement 0,3 % des eaux potables sont retraitées, ce qui la classe loin derrière l’Italie et l’Espagne qui utilisent entre 8 et 14 % de leurs eaux usées traitées et très loin derrière Israël avec 80 %, selon le Centre d'information sur l'eau (CIEAU).

Redoutant "des situations de grand stress l'été prochain" sur cette ressource menacée par le réchauffement climatique, un décret officiel va donc venir autoriser et encadrer cette pratique d’économie circulaire de l’eau . " Pour cela, nous avons décidé de lancer 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l’eau. N ous voulons réutiliser in fine 300 millions de mètres cubes, soit 3 piscines olympiques par commune (…) ou 3 500 bouteilles d’eau par Français et par an" , a déclaré Emmanuel Macron, promettant que "les freins réglementaires à la valorisation des eaux non conventionnelles seront levés."

En quoi consiste la réutilisation des eaux usées traitées ?

Aussi appelé "Réut", ce dispositif consiste à récupérer les eaux traitées dans les stations d’épuration pour les réutiliser sans les rejeter dans les milieux naturels (rivières, fleuves, littoraux), comme c’est habituellement le cas. Ces eaux subissent des traitements supplémentaires selon les usages que l’on souhaite en faire. La réutilisation des eaux usées traitées: une solution pour lutter contre la sécheresse ?

Lire : La réutilisation des eaux usées traitées: une solution pour lutter contre la sécheresse ?

Plutôt que de la rejeter dans les cours d’eau ou la mer, cette technologie, d’une capacité de traitement allant jusqu’à 75 m3/h, permet de rendre l’eau suffisamment propre pour être utilisée dans l'irrigation agricole , le nettoyage urbain, l’arrosage des espaces verts, des stades ou des golfs.

Le gouvernement veut lever des freins réglementaires qui limitaient son usage sur tout le territoire pour faciliter son extension dans l'industrie, notamment dans l'industrie agro-alimentaire. 

" Cela veut dire qu'il va y a voir une facilitation à l'instruction des dossiers", précise Luc Guymare, chef de projet à la CCI du Morbihan." A la CCI, dans le cadre du dispositif Ecod'o, on veut faciliter le dépôt et l'instruction de ces dossiers ."

Du côté de l'association bretonne de l'industrie agro-alimentaire, " on attend que le contenu du décret qu'on puisse aujourd'hui faire la même chose que dans les autres pays européens comme la Belgique, c'est-à-dire pouvoir repotabiliser des eaux usées traitées", précise Clothilde d'Argentré, ch effe de projets Filières et Environnement à l'ABEA. 

Une source potentielle importante d'économies pour l'agro-alimentaire

Selon une étude menée par l'association bretonne de l'industrie agro-alimentaire (ABEA) auprès de 28 sites industriels, à l'échelle de la Bretagne, la levée des freins réglementaires pourrait permettre d'économiser plus de 2,5 millions de m3 d'eau potable chaque année, soit l'équivalent de 1000 piscines olympiques pour les 28 sites concernés par l'étude. 

" La publication de ce décret joue un rôle déterminant pour améliorer la résilience de nos territoires face au changement climatique. C’est une décision pleine de bon sens, qui était très attendue par les entreprises alimentaires. Ce levier d’économie d’eau, pragmatique et responsable, contribuera à rendre notre chaîne alimentaire plus résiliente. C’est une avancée majeure pour les entreprises et pour l’environnement   », a réagi dans un communiqué Olivier Clanchin, président de l’ABEA et de l’entreprise Olga, située en Ille-et-Vilaine.

Luc Guymare, chef de projet régional eau à la Chambre de commerce et d'industrie, tient cependant à préciser que " la réutilisation des eaux usées n'est pas une solution miracle. C'est un nouveau levier intéressant mais c'est à mettre en œuvre une fois que l'on réduit tout ce que l'on pouvait réduire en termes de consommation d'eau dans les entreprises."

À lire : Le programme expérimental "Ecod'o" permet aux entreprises de mieux gérer leur ressource en eau

Quels usages en Bretagne ?

L'utilisation des eaux usées traitées était jusqu'en 2022 strictement encadrée par la loi. En mars 2022,   un décret du gouvernement   autorisait de nouveaux usages des eaux usées traitées, auparavant interdits, notamment pour les usages urbains comme le lavage de voirie, l’hydrocurage des réseaux, mais aussi pour la recharge de nappe.

En Bretagne, ce dispositif est notamment employé pour l’irrigation agricole et l’arrosage de certains practices de golf comme le Blue Green-SAUR entretenu sur la Presqu’île de Rhuys. Elle peut également servir pour le nettoyage extérieur de voirie ou de véhicules. 

Et depuis quelques années, le secteur de l'agroalimentaire expérimente également la "réut" dans la limite du possible, en fonction de la réglementation en vigueur. À Lamballe, la Cooperl a expérimenté le nettoyage de ses camions avec les eaux usées traitées. L'entreprise estime ainsi avoir économisé 350 000 m 3    d'eau potable par an.

Il y a également l'exemple de la Conserverie morbihannaise qui a élaboré un circuit de réutilisation des eaux usées traitées. Implantée sur la rivière Inam, la conserverie, créée en 1942 sur la commune de Lanvenegen, prélève entre 350 000 et 420 000  m3 d'eau chaque année. 

Depuis l'installation en 2020 d'une station de traitement des eaux usées en interne, un tiers de ce volume d'eau est réutilisé au sein des process de l'entreprise pour nettoyer et transformer les légumes en produits appertisés, soit environ 100 000 m3 de prélèvement d'eau économisés

La brasserie Lancelot basée dans le Morbihan a également lancé une expérimentation qui s'est révélée concluante et envisage une installation du dispositif d'ici la fin de l'année de façon pérenne.

Une solution à la sécheresse ? 

La France connaît actuellement une sécheresse inédite qui s’est étirée jusqu’à cet hiver avec un record de 32 jours sans pluie, ce qui a rendu impossible la reconstitution des nappes phréatiques, pour 80 % en dessous des normales au 1er mars. La Bretagne n'est pas épargnée et a connu également un été 2022 particulièrement compliqué

On peut voir sur cette carte la comparaison entre les niveaux de mars 2023 des nappes phréatiques, et la moyenne du mois de mars depuis 2018.

 

La succession de sécheresses estivales pose plusieurs interrogations. La réutilisation des eaux usées peut être également perçue donc comme une bonne solution notamment en ce qui concerne l'irrigation des sols dans l'agriculture et faire face aux restrictions en périodes de sécheresse à condition de prendre en compte le contexte hydrologique.

"Ce n'est pas une solution miracle"

Pour les entreprises de l'industrie agro-alimentaires, " ce serait une vraie avancée," déclare Clothilde d'Argentré. " Cela va leur permettre de continuer l’activité pendant les périodes de sécheresse. On ne le fera pas partout sur le territoire mais dans les zones tendues au niveau de la ressource, cela aura du sens." 

Cependant, pour Nicolas Forray, ingénieur agronome et hydrologue, " la question de la "réut" n'est pas une mauvaise question mais ce n'est pas une solution miracle. Elle est faisable s'il n'y a pas d'impact sur les milieux ou le débit des rivières." 

Ce membre de l'association Eaux et rivières de Bretagne insiste aussi sur les investissements à prévoir. " Nous estimons que ce n'est pas au consommateur d'eau de payer."

Un arrêté ministériel en vigueur dès cet été ? 

Selon Clothilde d'Argentré, le décret pourrait sortir courant du mois d'avril et l'arrêté ministériel pourrait rentrer en vigueur au mois de juin. Ce serait " un signal politique fort" pour la cheffe de projet à l’association bretonne des entreprises agro-alimentaires.

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