122 femmes sont mortes en 2021, sous les coups de leur compagnon ou ex en France, un chiffre en hausse de 20 % par rapport à l'année précédente. Dans la région Centre-Val de Loire, la question reste centrale pour la justice.
"Après l'attentat et l'alerte enlèvement, c'est ce que l'on redoute le plus", Rémi Coutin, procureur de la République de Chartres, ne mâche pas ses mots lorsqu'il évoque les féminicides. En Eure-et-Loir, le parquet en recense cinq en six ans. En août 2022, la région est endeuillée à deux reprises en quelques jours. D'abord une jeune retraitée de 64 ans, tuée par son mari à Châteaudun, puis une trentenaire à Montargis. Le mari de cette dernière est mis en examen pour "meurtre et acte de torture".
Dans le Loiret, à Orléans, on dénombre un féminicide et quatre tentatives en 2021. Le rapport national des "morts violentes au sein du couple" montre que la région Centre-Val de Loire n'est pas exemptée, mais reste en dessous de quatre faits par an, là où la Gironde, le Nord ou encore la Moselle dépassent ce chiffre.
2021 reste une année plus meurtrière que la précédente en France. 122 féminicides ont été recensés par le ministère de l'Intérieur, contre 102 l'année 2020. Sans savoir si cette baisse avait un lien avec les confinements et couvre-feu successifs.
Des chiffres stables ?
Lorsque l'on évoque avec elle la baisse observée en 2020, cette militante de l'association, Nous Tous.tes 37 commence par nuancer : "en 2018, elles étaient déjà 121, en réalité ça reste stable". En revanche, elle explique : "Pendant les confinements, les auteurs ne pouvaient pas se rendre au domicile de leur ex, ce qui a limité le passage à l'acte. On observe aussi que 27% des féminicides ont lieu pendant la séparation. Cette période ne permettait pas la réalisation d'un projet de départ du foyer" détaille la trentenaire. Les violences, elles, se sont certainement cristallisées avec l'enfermement.
Parmi les associations qui luttent contre les violences faites aux femmes, Nous Tous.tes 37 fait notamment de la prévention. C'est l'une des antennes locales de la structure nationale, qui tient un décompte des meurtres de femmes toute l'année : "Il s'agit de bénévoles qui scrutent la presse pour relever le nombre de féminicides" précise l'une de ses membres.
Avant le meurtre, les violences conjugales font l'objet de toutes les attentions selon Rémi Coutin : "il faut être réactifs et sévère" explique-t-il. A Montargis, dans le Loiret, des audiences spécifiques aux violences conjugales ont lieu tous les deux mois devant le tribunal correctionnel depuis 2019. "On voit bien que ce n’est pas un contentieux tout a fait comme les autres" expliquait le procureur de la République Loic Abrial à France 3 Centre-Val de Loire, lors de la première audience. "Il y a un phénomène global" avait-il ajouté.
"De plus en plus de gardes à vue sur des violences conjugales"
Dans les gendarmeries et les commissariats, ces violences prennent de l'ampleur : "On a l'impression de gérer de plus en plus de gardes à vue sur des violences conjugales : physiques ou morales, du harcèlement ou encore des menaces de mort" reconnait Rémi Coutin "mais aussi, j'ai particulièrement insisté auprès des services de police pour qu'elles soient presque systématiques dans ce genre de faits".
A Bourges, aucun féminicide n'est à déplorer ni en 2021, ni sur l'année en cours : "mais ça peut arriver à tout moment" précise Joël Garrigue, procureur de la République. Plusieurs femmes ont en revanche échappé de justesse à la mort. Sur les bancs du tribunal correctionnel : "il n'y a pas une audience sans qu'il y ait un, deux, trois cas de violences intra-familiales" reconnaît-il. Pour tous les deux, les victimes osent davantage porter plainte, ce qui ne signifie pas que le nombre de faits augmente.
Des dispositifs efficaces ?
Depuis deux ans, différents dispositifs se sont mis en place. Dans la région, sur la juridiction de Chartres, de 440 000 habitants, trois bracelets anti-rapprochement sont déployés. Le tribunal judiciaire d'Orléans en a prononcé dix en 2021. Il localise à la fois la victime de violences et son auteur. La justice peut condamner au port de ce bracelet, semblable à un bracelet électronique. La victime a de son côté un autre émetteur, pour être, elle aussi, localisée. Toute approche dans un périmètre défini d'un à dix kilomètres déclenche une alerte.
Autre outil : le téléphone grave danger. Lui peut être déployé avant toute condamnation, pour protéger une victime de son bourreau. En cas de menace, elle peut lancer un appel de détresse, renvoyé vers les forces de l'ordre. Là, le mis en cause n'est pas au courant du dispositif. Seize ont été attribués par la justice à Orléans. Dans l'Eure-et-Loir, six de ces téléphones sont en circulation. "On n'a encore jamais eu d'alerte sur ces équipements", indique le procureur de Chartres, qui peut ainsi difficilement en mesurer l'efficacité. Mais il reste important aux yeux de Joël Garrigue : "ce n'est pas un gadget". Lui a eu des alertes : "ça nous a permis d'agir vite". Dans tous les cas, il estime que : "c'est une sécurité pour les victimes, elles peuvent enfin s'autoriser à sortir de chez elles pour certaines".
Des dépôts de plainte à l'hôpital ?
L'association Nous Tous.tes 37 reconnaît des améliorations, mais regrette que certaines mesures ne soient pas encore mises en place : "pouvoir porter plainte directement à l'hôpital par exemple". A Tours, les hôpitaux ont à leur disposition un numéro pour pouvoir joindre directement les services de police. " Après, soit la victime veut et peut porter plainte tout de suite et on se déplace ou on la prend en charge vers le commissariat, soit on convient d'un rendez-vous" détaille le commandant Formet, référent des violences faites aux femmes.
Dans le Cher, "on y travaille" affirme le parquet. En octobre 2021, une unité médico-judiciaire s'est ouverte à Bourges. Elle permet aux victimes d'être auscultés par des médecins spécialisés, mais aussi d'être accompagnées psychologiquement.
"Le dépôt de plainte, c'est forcément une rupture dans la vie de la victime, mais aussi dans celle des enfants" note Joël Garrigue. Une période qu'il faut accompagner poursuit le magistrat du Ministère public. "Le pavillon des victimes" a ainsi pris place près du Centre hospitalier Jacques-Cœur. L'objectif, aider dans la recherche d'un avocat, un nouveau logement et tout suivi nécessaire.
Les meurtres de femmes restent cependant toujours une crainte ultime pour tous les parquetiers que nous avons contactés, cristallisant une part d'échec des dispositifs de protection ou de prévention. La mort d'une septuagénaire dans le Haut-Rhin dans la nuit du mardi 30 au mercredi 31 août 2022 signe le 86e féminicide de l'année en cours.