La chambre de l’application des peines antiterroriste se serait référée à une note émanant des services du ministère de l’Intérieur pour statuer sur les demandes de semi-liberté de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Révélé par Corse-Matin, le document aurait pesé sur les décisions de justice concernant les deux détenus condamnés pour l’assassinat du préfet Erignac.
La note a été dévoilée par nos confrères de Corse-Matin. Intitulée "Le contentieux corse. État actualisé de la menace", elle émane des services du ministère de l’Intérieur, plus précisément de la direction centrale de la police judiciaire.
Tamponné par le cachet de la sous-direction antiterroriste (Sdat) et daté du 17 janvier 2022 - soit un mois et demi avant l’assassinat d’Yvan Colonna à la centrale d’Arles -, le document composé de onze feuillets est adressé au procureur de la République antiterroriste.
Ce rapport interne, qui se présente sous la forme d’un "rappel historique de la lutte de libération nationale corse", a été versé au dossier de la demande de semi-liberté d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri. Condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Erignac, ils sont tous deux conditionnables depuis mai 2017.
Jusqu'à présent, la justice a toujours refusé toutes leurs demandes de libération conditionnelle, pointant le trouble à l'ordre public que cela pourrait engendrer. En avril dernier, ils avaient été rapprochés au centre pénitentiaire de Borgo après la levée de leur statut DPS.
Contradiction
Selon Corse-Matin, cette note aurait été initialement rédigée en novembre 2021 et mise à jour le 17 janvier 2022, 72 heures avant qu’Alain Ferrandi ne présente son projet de semi-liberté devant le tribunal d’application des peines antiterroriste (Tapat). En première instance, sa libération conditionnelle sera acceptée. Le parquet national antiterroriste (Pnat) fera immédiatement appel, suspendant de facto sa mise en application. Quatre mois plus tard, le 24 mai, la chambre d'application des peines de la cour d'appel de Paris infirmera la décision du Tapat.
Dans le document émanant des services du ministère de l’Intérieur, il est fait état des motivations invoquées par la justice pour rejeter "la requête de M. Ferrandi". Certaines d’entre elles se baseraient sur "des éléments issus d’une note de la sous-direction antiterroriste, Sdat, concernant la résurgence de mouvements nationalistes en Corse".
Pourtant, à l’audience de première instance, ces mouvements évoqués par le procureur de la République antiterroriste avaient été qualifiés de "sporadiques". Pour les magistrats du Tapat, ils "étaient sans aucun rapport avec la situation politique en Corse en 1998", au moment de l'assassinat du préfet Erignac. La juridiction avait souligné que "la libération de M. Alain Ferrandi ne la troublera pas davantage que celle des autres personnes condamnées dans cette affaire, puis libérées".
La justice se serait également appuyée sur les informations de cette note pour justifier le rejet du projet de semi-liberté de Pierre Alessandri. Le 29 septembre dernier, la cour d’appel antiterroriste avait refusé sa demande d’aménagement de peine pour la troisième fois.
Cette décision, survenue une semaine avant la visite dans l’île de Gérald Darmanin, avait suscité "l’indignation générale" de l’Assemblée de Corse et entraîné le report de la venue du ministre de l’Intérieur.
Dans la foulée, un comité stratégique s’était réuni. Les élus insulaires pointaient une décision "incompréhensible et injuste".
"Ce sont les maintiens en détention de Pierre Alessandri et d'Alain Ferrandi qui sont et peuvent être générateurs d'un trouble à l'ordre public, et non leur accès au régime de semi-liberté", avaient-ils martelé.
Dans un texte signé à la quasi-unanimité (à l'exception de Josepha Giacometti-Piredda qui siège en non-inscrite), les élus posaient les conditions d’une reprise apaisée des discussions avec Paris, à savoir "l’expression d’une parole politique au plus haut niveau de l’État".
Chef de file de Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti avait alors évoqué l'existence de cette note :
"La note du renseignement intérieur, donc du ministère de l'intérieur, sur le risque "de trouble à l'ordre public" en cas de libération de Pierre Alessandri constitue un point de rupture. Elle vise à faire échouer l'amorce d'une solution politique." L'élu indépendantiste avait ajouté : "Si tel n’est pas le cas, Gérald Darmanin, qui se prévaut d’être sincère, ouvert au dialogue et prêt à tout entendre, doit nous montrer que cela n’est pas de son fait. Il doit rétablir la situation."
La prochaine réunion entre la délégation corse et Gérald Darmanin est censée se tenir en novembre. Il y a fort à parier que cette note des services du ministère de l'Intérieur suscitera des questions de la part des élus insulaires.