Rund Um. Les manufactures d'orgues françaises, dont le carnet de commandes est en ce moment bien rempli, cherchent à recruter. Mais elles peinent à trouver de la relève. Les apprentis sont peu nombreux au CFA d'Eschau (Bas-Rhin), qui propose la seule formation au métier. Immersion.
Dans les ateliers du centre de formation aux apprentis d'Eschau (Bas-Rhin), les machines tournent dans tous les coins. Couper du bois, visser, faire fondre du plomb... les activités sont variées. Chaque élève a pour mission de fabriquer un orgue miniature. Histoire d'apprendre les bases du métier. Avec la restauration, la fabrication d'instruments est l'un des grands rôles du facteur d'orgues.
Les jeunes - entre 16 et 30 ans - alternent entre école (12 semaines par an) et entreprise. Ils préparent un baccalauréat professionnel option organier ou tuyautier. Certains passent même le double diplôme en cinq ans. Mais les effectifs sont clairsemés. "Il y a 20 ans, j'avais 20 élèves par niveau, aujourd'hui s'il y en 5, ça fait beaucoup", expose Michaël Walther, responsable du pôle facture d'orgues au CFA d'Eschau.
L'établissement propose pourtant la seule formation qui prépare à la profession. Sa création en Alsace en 1985 n'a rien d'un hasard, la région est historiquement liée aux orgues. Elle en abrite environ 1.200, soit quasiment 20% de tous ceux comptabilisés en France.
Le métier n'attire plus, ou en tout cas, moins. Cela s'explique en partie par la dynamique du secteur. Les manufactures d’orgues sont évidemment dépendantes des commandes, notamment effectuées par l’Etat ou les collectivités, propriétaires des instruments. Or, les dernières années ont été très calmes en la matière. Faute d’activité, les professionnels n’ont pas cherché à recruter. Cela a découragé des jeunes à se tourner vers cette voie.
Un métier-passion ou rien
Depuis quelque temps, la situation s’est inversée, les entreprises ont du travail, mais pas de main d’œuvre. Les facteurs d’orgues sont unanimes : leur métier doit être un "métier-passion", car "ce n’est pas le salaire qui va motiver. Après trois ou cinq ans de bac voire double bac, vous touchez à peine le Smic, assurent-ils. Pour des conditions de travail qui peuvent être difficiles. Parfois, vous passez des journées entières dans des églises non chauffées. On est aussi beaucoup en déplacement partout en France et même plus loin... Ce sont des contraintes qu'il faut accepter."
Philippe Zussy, facteur d'orgues depuis 35 ans chez Muhleisen, la plus ancienne manufacture alsacienne encore en activité, a à cœur de transmettre son savoir-faire. Sous peine de la voir bientôt disparaître : "Nous sommes les derniers à le maîtriser. Il ne faut pas que cela disparaisse. J'essaye de montrer aux jeunes comment faire puis je les laisse manipuler par eux-mêmes, pour qu'ils soient fiers de qu'ils ont fait et les motiver."
Son entreprise compte actuellement trois apprentis, sur lesquels elle mise pour l'avenir. "La difficulté, c'est que beaucoup choisissent cette voie parce qu'ils adorent la musique. Ils pensent qu'ils pourront jouer, mais en réalité, lorsque l’orgue est prêt à être utilisé, notre mission est terminée. Plusieurs ont ainsi décroché au bout de quelques années", précise-t-il.
Beaucoup d'apprentis en reconversion professionnelle
Lui prend encore autant de plaisir qu'à ses débuts, peut-être même encore plus, comme son collègue Michaël Meyer pour lequel ce métier est une vocation : "Aucun jour ne se ressemble, ça n'a rien à voir avec du travail dans un bureau, c'est très varié, on apprend en permanence."
Ces derniers temps un grand nombre des jeunes adultes formés par leur employeur sont en reconversion professionnelle. C'est une tendance au CFA d'Eschau. Michaël Walther, leur professeur, veut y voir un signe d'espoir : "A 30 ans, on sait ce qu'on veut faire, on a eu le temps de réfléchir, de cheminer, on espère donc que les apprentis plus âgés resteront."
Il en va de la survie de tout un pan de l'artisanat français et surtout alsacien. Une dizaine des soixante manufactures du pays toujours en vie sont situées en Alsace.