Le réchauffement climatique est une source d'inquiétude, d'angoisse et même de peur pour certaines personnes. Une grande partie d'entre elles, essentiellement jeunes, n'arrivent pas à se projeter dans l'avenir en raison du climat. Rencontre avec des éco-anxieux.
L'été 2022 aura été marqué par plusieurs vagues caniculaires, une sécheresse d'une violence rare, des incendies nombreux, des pluies absentes, et des impacts immenses sur les récoltes et les cours d'eau. Face à ce terrible constat, de nombreux jeunes sont désespérés, et certains tombent en dépression, souvent par sentiment d'impuissance.
Mélissa, 22 ans, baby sitter, se dit "angoissée depuis son enfance". Pourtant, ce n'est que récemment qu'elle a pu mettre un mot sur ce qui l'inquiète autant : "Avant, je ne comprenais pas ce que j'avais, et les psychologues qui me suivaient non plus. Aujourd'hui, je sais que je suis éco-anxieuse", explique la native de Haguenau, dans le Bas-Rhin.
Chez Mélissa, tout a commencé avec un cours à l'école : "Je me souviens que tout le monde prenait à la légère le fait que la centrale nucléaire de Fessenheim pouvait exploser. Ça m'a marquée, alors que c'est très grave. Et je retrouve ça aussi autour de moi autour de la question du réchauffement climatique. Les gens connaissent les dangers, mais ils n'agissent pas."
J'ai vu beaucoup de blagues circuler comme quoi c'était l'été le plus frais du reste de notre vie. Mais il n'y a rien de drôle là-dedans !
Mélissa, 22 ans
L'éco-anxiété touche majoritairement des jeunes. Mais dans l'entourage de Mélissa, tout le monde n'est pas aussi alerte sur la question climatique : "Même des gens de mon âge me disent 'boh, on s'en fout, on va tous crever de toute manière'. Mon père non plus ne comprend pas. Cet été, il se baignait dans le bassin d'Arcachon pendant que la forêt brûlait et il ne voyait pas le rapport quand je lui demandais de ne pas venir me voir en Alsace en avion."
Un énorme sentiment d'impuissance
Mélissa se dit impuissante face aux catastrophes écologiques de cet été, et des années précédentes : "Je voyais beaucoup de blagues circuler comme quoi c'était l'été le plus frais du reste de notre vie. Mais il n'y a rien de drôle là-dedans! On attend que le problème soit en face de nous pour enfin agir."
Léonie, 16 ans, partage ce constat : "Le fait de tout le temps devoir expliquer que la crise qu'on vit est quelque chose d'urgent, c'est épuisant. Je porte le rôle de celle qui dit 'on va tous mourir'. Ça me demande trop d'énergie."
Elle explique devoir se documenter tous les jours pour apporter des arguments lors de débats souvent interminables : "J'apprends des chiffres par cœur. Et en réponse, on me fait sentir bête, comme si je demandais quelque chose d'impossible."
Ainsi, Mélissa raconte qu'elle fuit souvent le débat, et s'enferme toute seule : "Plus on avance dans le temps, plus les choses s'accélèrent. Et pour moi, c'est de plus en plus difficile. Je fais des crises d'angoisse, j'ai des gros moments de réflexion sur ce qui est en train de se passer. C'est une réelle souffrance."
Dans vingt ans, difficile de savoir comment le monde sera. Dans un sale état, j'imagine. Je ne regarde plus devant. J’essaie de vivre au jour le jour.
Julien , étudiant
"Pendant l'été, je me suis éloignée de beaucoup de personnes pour éviter le sujet. Du coup, je dormais le plus possible pour ne pas y penser. C'était mon seul refuge, explique-t-elle. À chaque réveil, je me disais 'Oh non, je suis de nouveau dans ce monde-là'".
Julien est étudiant à Strasbourg. S'il affirme que le réchauffement climatique ne l'empêche pas de dormir, il soutient qu'il y pense "au moins une fois par jour". Devenu végétarien en 2021 en faveur de la cause animale et de l'environnement, il a passé son mois d'août chez ses parents, dans la Sarthe.
Se projeter dans l'avenir, impossible
"On a eu de gros feux de forêts, explique-t-il. Le département était complètement enfumé. Le ciel bleu s’était transformé en gigantesque nuage. Un brouillard de fumée dominait. Je me disais 'Ah oui. C’est donc ça qu’on va vivre de plus en plus régulièrement ?' C’est inquiétant de prendre conscience que ces phénomènes rentrent progressivement dans nos habitudes."
Comme toutes les personnes qui ont témoigné, Julien n'arrive pas à se projeter dans l'avenir : "Dans vingt ans, difficile de savoir comment le monde sera. Dans un sale état, j'imagine. Je ne regarde plus devant. J’essaie de vivre au jour le jour. Il faudra de toute façon s’adapter, mais le futur ne me fait pas rêver."
Est-ce que ça sert encore à quelque chose d'aller à la fac si on sait que dans dix ans, on n'aura plus de planète habitable?
Suzie, 18 ans
Même chose pour Suzie, 18 ans : "Pour moi, il est impossible de se projeter dans les dix ou vingt prochaines années. C'est un énorme flou. Je remets beaucoup de choses en question. Est-ce que ça sert encore à quelque chose d'aller à la fac si on sait que dans dix ans, on n'aura plus de planète habitable? Quand je regarde les infos, j'ai des montées d'angoisse."
Joséphine est encore au lycée, à Strasbourg, mais elle anticipe déjà les années futures : "Ça fait plusieurs étés qu'on dit que c'est le plus chaud. Alors la suite, ça sera quoi ? Ça fait vraiment peur, et ça m'inquiète..."
Presque impensable d'avoir des enfants
Une question centrale revient de la bouche des étudiants et étudiantes, celle d'avoir des enfants dans plusieurs années. Et la même réponse revient : "Je ne peux pas me permettre d'en avoir, se désole Mélissa. J'aimerais beaucoup, et ça me rend triste, mais je ne peux pas. On est déjà beaucoup trop nombreux, et quand bien même j'en avais, dans quel monde ils vivraient? Ce qui est inconcevable, c'est que les gens se disent qu'ils peuvent en avoir."
"J'aime me fixer des objectifs pour me permettre d'avancer dans la vie, continue Julien. Mais le réchauffement climatique brouille les cartes. J'aimerais avoir des enfants, mais je remets ça en question très sérieusement."
Être conscient, c'est bien, mais ça ne va rien changer. Il faut faire bouger les choses.
Joséphine, 17 ans
Pour ne pas broyer du noir, certains et certaines tentent d'agir : "Mon inquiétude, c'est un moteur et une source de motivation pour faire changer les choses. J'essaie de la voir de façon positive, explique Joséphine. J'en parle beaucoup avec mes amis, on essaie de faire des petits gestes. Être conscient, c'est bien, mais ça ne va rien changer. Il faut faire bouger les choses."
Ce à quoi Léonie répond : "Au final, c'est un peu toujours la même chose. Beaucoup de gens se répètent. On en a marre d'entendre qu'on doit venir au lycée à vélo et qu'il faut éteindre la lumière en quittant une pièce. Ce qu'on veut, c'est un vrai changement des discours politiques et des mesures radicales."
J'ai envie d'entendre des gens qui viennent me dire qu'ils prennent conscience des choses.
Mélissa, 22 ans
Un des autres marqueurs de l'éco-anxiété, c'est un sentiment de culpabilité qui traverse ces jeunes. Mélissa explique qu'elle se prive de beaucoup de choses, comme cette fois où elle a préféré ne pas manger du tout alors qu'elle faisait du baby-sitting : "Je n'avais pas eu le temps de manger avant. Je suis végane, et il n'y avait rien de végan là où j'étais. Alors je n'ai tout simplement rien mangé. Pourtant, j'ai fait ma part avec mon régime alimentaire. Aussi, je ne prends pas l'avion depuis six ans."
L'éco-anxiété est un mal qui n'est médiatisé que depuis peu de temps. De quoi rassurer Mélissa : "J'ai envie d'entendre des gens qui viennent me dire qu'ils prennent conscience des choses." Suzie ajoute : "Je ne suis pas la seule à ressentir ça, et ça a un côté rassurant. On se demande à plusieurs ce qu'on pourrait faire pour améliorer les choses."
Un mal qui touche la moitié des jeunes
Comme l'expliquait il y a quelques mois la psychologue auprès des étudiants Laurentine Veron à nos confrères de France 3 Lorraine, "l’intensité du stress peut varier selon l’engagement du patient pour la cause environnementale. Pour certains c’est du stress sur du court ou du long terme, pour d’autres on emploie parfois le terme de 'burn out activiste'. Certains sombrent même dans la dépression, cela peut aller très loin"
En septembre 2021, une étude de The Lancet avançait que plus de la moitié des 16-25 ans interrogés se sentaient "tristes, anxieux, en colère, impuissants, désespérés ou coupable" vis-à-vis du changement climatique. Plus de 45% d'entre eux affirment que leurs sentiments au sujet du climat affectaient négativement leur vie quotidienne. Beaucoup font état d'un nombre élevé de "pensées négatives" sur le réchauffement de la planète.