Revin : Bernard et plusieurs gilets jaunes ont rencontré la journaliste Florence Aubenas

La commune de Revin dans les Ardennes serait-elle devenue le centre du Monde ? La journaliste et écrivain du quotidien national Le Monde a rencontré des Gilets jaunes de cette ville symbole du chômage de masse.

Florence Aubenas est de passage dans les Ardennes en cette fin janvier 2022. La journaliste, grand reporter au Monde, et écrivain, fait étape à Revin et Charleville-Mézières. Son sens du récit social et son intuition journalistique sont souvent un marqueur de l'ambiance générale du pays. A la veille de l'élection présidentielle des 10 et 24 avril prochain, voir cette observatrice de la société auprès des gilets jaunes historique est un symbole. Et relancera l'intérêt pour la "France des oubliés". 

La commune de Revin est habituée aux allers-et-venues de journalistes, parisiens ou locaux. France 3 Champagne-Ardenne y passe régulièrement. Une autre Florence, Florence Morel de France 3 Champagne-Ardenne avait posé ses carnets de reportage quelques mois auparavant.

Les caméras n'ont pas toujours bonne presse, les habitants et certains élus en sont las. Récemment le JDD a envoyé l'un de ses reporters, pour un long reportage, sur l'affaire des Cycles Mercier. Et un docu-fiction sur la campagne municipale a été dévoilé en avant première, il avait été tourné sur place.

Le gilet jaune toujours là

L'actualité sociale et économique ne manque pas dans les Ardennes. Mi-janvier encore, un "plan de restructuration" a été annoncé pour l'usine Tréfimétaux : 119 postes vont être supprimés du côté de Givet. Comme une malédiction dans ce territoire de résistants. 

Bernard Delhaye, 75 ans, gilet jaune et ancien agent de maîtrise dans une usine à Revin, a été licencié en 2002 à cause d'un "patron voyou". Il fait partie du petit groupe de gilets jaunes rencontrés par la journaliste Florence Aubenas, mardi 25 janvier entre 17h et 21h. La rencontre a eu lieu chez un couple de revinois, longtemps implanté sur les ronds-points du secteur. Autour de quelques bouteilles de sodas, et bien sûr, en gilet jaune. Comme un uniforme de la lutte collective. 

Pour ce retraité ardennais, "le mouvement des gilets jaunes de Revin existe toujours, même s'il est en veille par rapport à la pandémie. Florence Aubenas est restée longtemps dans les Ardennes, elle nous a demandé si on restait mobilisés. Et oui, on est toujours soudés, mobilisés, malgré nos sensibilités politiques. On  se réunit pour voir les suites à donner au mouvement avec la hausse des prix de l’énergie, qui pèse sur nos budgets. La population attend que les gilets jaunes fassent quelque chose, croit savoir Bernard. Certains espèrent nous revoir."

Selon lui, le mouvement va reprendre d’ici peu, "je le pense. On va avoir une réunion bientôt. Florence Aubenas sera présente, à la prochaine réunion, elle nous l'a dit. Elle veut nous suivre, elle connaît bien le sujet de Revin. Elle connait son dossier, et le dossier des cycles Mercier"

Une affaire de plus dans la vallée de la Meuse. Qui a détruit ce qui restait de confiance entre les habitants et les élus, surtout ceux du niveau national. Les promesses d'emplois ont été non tenues. Des faux espoirs réguliers, pour redonner vie aux friches industrielles désertées. A Revin, 270 emplois devaient voir le jour. Il s'agissait de fabriquer des vélos. Mais le projet a été abandonné pour d'obscures raisons financières. Comme un mirage.  

"Le fait que tous les médias en parlent, ça peut être bien, estime Bernard Delhaye. Bon, pour le film, les habitants de Revin n’apprécient pas trop, car ça tourne trop en dérision. J’ai eu les échos des collègues, mais je n’irai pas". Son avis est tranché, sans avoir vu par lui-même. Mais au fond pour lui, c’est toujours bien qu’on parle de son secteur, en bien ou en mal : "ça montre qu’on existe". Et il y a urgence. "Notre objectif, c’est de redynamiser la ville qui totalise 27% de chômeurs sur place. Un taux de chômage qui inonde la vallée, sans parler du souvenir de Cevital, et désormais Tréfimétaux". 

Cevital, c'est cet autre mirage ardennaisEn novembre 2018, Issad Rebrab était aux côtés d’Emmanuel Macron lors de la visite du président de la République aux portes de Charleville-Mézières. Le PDG algérien avait annoncé la création d’une usine de fabrication de filtres pour stations de traitement de l’eau dans des locaux près du site de PSA. Le 22 avril 2019, ce puissant homme d’affaire est arrêté et placé en détention provisoire en Algérie. Soupçonné d’infractions fiscales, bancaires et douanières. Là encore, des ministres, des promesses et plus rien. Le projet Cevital fait pschitt. 

Rendre visible les invisibles

"Je ne sais pas s'il y a un problème avec Revin, mais on ne veut pas baisser la tête, on a payé un lourd tribut pendant la Résistance, et il est toujours là, cet esprit de résistance. Les gens sont soudés. Les conditions climatiques sont parfois complexes pour manifester, mais on reste mobilisé. On est un mouvement pacifique, mais qui exprime un mécontentement profond", résume Bernard.

"Florence Aubenas impressionne par son parcours et son écoute," confie le revinois. Elle a parcouru le secteur de Revin, avec une photographe. Le lendemain elle est restée sur place et s'est rendue à Charleville pour rencontrer d’autres gilets jaunes. "Elle a été otage en Irak", précise Bernard. Il ne le souligne pas, mais elle a aussi pris le temps de travailler sur un ferry près de Caen, sur le Quai de Ouistreham, pour mieux comprendre la vie des femmes de ménage. Elle a vécu la recherche difficile d'un emploi sans qualification. Elle a aussi vécu la solidarité des oubliés. L'attente à Pôle emploi et les faux espoirs. Ce monde là, elle le connaît. Elle en a fait un livre, un réalisateur vient d'en tirer un film, Ouistreham. "Pour rendre visibles les invisibles". 

Bernard lui vit toujours dans ce monde à la fois rural et industriel. "Je travaillais dans une usine, comme agent d'entretien, j'ai été licencié suite à l’action d’un patron voyou. Il a été condamné ensuite. L'usine s'appelait Artis, à Monthermé, c'était en septembre 2002, la boîte a fermé". En 2011, 9 ans après, l'ex-PDG d'Artis a écopé de cinq ans de prison avec sursis, 15 000 euros d'amende et l'interdiction de gérer une entreprise pendant dix ans. "J’ai donné le dernier tour de clé dans cette usine en temps que représentant du personnel". Une lourde porte qu'il tente de maintenir ouverte dans sa tête. L'espoir malgré tout. Pour résister à la fatalité. 

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