C'est une première, des pavés de la mémoire posés pour deux frères "Malgré-nous", dont le résistant Jacques Knecht

Pour la première fois, des pavés de la mémoire ont été posés pour deux "Malgré-nous". Jacques et René Knecht avaient déjà une rue à leur nom à la Robertsau à Strasbourg. Jacques a déserté l'armée allemande et s'est engagé dans la Résistance, c'est son courage et ses faits de résistance qui ont été honorés avant tout.

C'est une première en France, deux stolpersteine (ou pavés de la mémoire) ont été posés pour deux "Malgré-nous" à Strasbourg le lundi 17 juin 2024.

Gunter Demnig, l'artiste allemand à l'origine de ces "pierres d'achoppement" au sens littéral, a accepté la demande de la famille et de l'association strasbourgeoise Stolpersteine 67 d'honorer les actes de résistance et le courage de Jacques Knecht, sans le séparer de son jeune frère René.

Tous deux enrôlés de force dans l'armée allemande, Jacques est ensuite devenu informateur pour la résistance et il a déserté la Wehrmacht pour s'engager dans les Francs-tireurs et partisans (FTP), puis il a combattu avec les Forces françaises de l'intérieur (FFI). Son jeune frère René, enrôlé de force à 17 ans, est mort sur le front Est, en Hongrie. 

Ne pas séparer les deux frères

Richard Aboaf, président de Stolpersteine 67, a lui-même parlé à Gunther Demnig en avril dernier, lors de sa venue en avril, lors des poses de stolpersteine à Schiltigheim et Bischheim, "nous en avons parlé et il a trouvé important de ne pas séparer les deux frères", explique-t-il. Et le président rappelle qu'"en général, et lorsqu’il n’y a pas de fait de résistance avéré et authentifié, la fondation berlinoise des stolpersteine refuse de poser des Stolpersteine pour les personnes ayant porté l’uniforme allemand, quelles que soient leurs catégories. De nombreux allemands eux-mêmes ont été incorporés de force et ne sont pas partis la fleur au fusil, notamment vers la fin de la guerre. Le projet Stolpersteine ne couvre pas et ne peut pas couvrir l’ensemble des incorporés de force, pas seulement en Alsace-Moselle, mais dans toute l’Europe occupée aussi."

Les pavés en laiton à la mémoire des frères Knecht ont été posés dans le sol, devant leur dernière habitation, avant leur enrôlement dans la Wehrmacht. Ils habitaient à l'époque encore la maison familiale, rue de l'Ill, à la Robertsau à Strasbourg.

C'était aussi là qu'habitait Jacqueline Knecht-Mosser, la petite sœur de Jacques et René. "Je suis née en 1940 en Dordogne, où ma famille s'était réfugiée [avant l'annexion de l'Alsace et de la Moselle au Reich allemand le 18 octobre 1940], nous sommes revenus en 1941. Mes deux frères ont été incorporés de force en 1943."

Jacky, fusillé le 21 février 1945

Jacques est né le 11 novembre 1924. Il est enrôlé de force dans la Wehrmacht à l'âge de 18 ans, en août 1943. Il est affecté sur le front Est, comme de nombreux malgré-nous. Blessé, il est ensuite muté comme traducteur à la kommandantur de Tournon-sur-Rhône (Ardèche). Il commence alors à renseigner la Résistance, avant de déserter l'armée allemande le 1ᵉʳ avril 1944.

Il rejoint les Francs-tireurs et partisans et prend le nom de code "Jacky". Puis, il participe à des combats au sein des FFI dans l'Ardèche. Blessé, il est capturé et emprisonné en Allemagne. Le Lieutenant Perrin dit "Basile" dit de lui : "Soldat d’un courage allant jusqu’à l’héroïsme, a participé à de nombreuses expéditions et combattu dans la vallée du Rhône. Après avoir combattu toute une journée côte à côte avec son lieutenant lors d’une attaque allemande au Cheylard, a été encerclé par l’ennemi."

Il est fusillé par les Allemands dans un vieux fort qui fait office de prison, à Ingolstadt Manching le 21 février 1945, le prêtre qui assiste Jacques Knecht dans ses derniers moments écrit : "Jacques reçut les saints sacrements avec une grande dévotion et s’achemina vers la mort dans l’esprit d’être le martyr d’une idée folle. Il s’est soumis à la sentence avec courage et calme".

Jacqueline ne comprend toujours pas cette sauvagerie envers son frère. "En février 1945, ils savaient que tout était fini, et ils tuaient encore des jeunes de 20 ans ! Et puis cet horrible fort, où il est mort, a été détruit pas les Américains."

Il a été décoré de la Croix de Guerre avec palmes et de la médaille de la Résistance à titre posthume.

René est né le 25 octobre 1925, il est enrôlé de force en 1943. Leur frère aîné Charles travaille à la SNCF et habite à Lyon. Et le plus jeune frère, Raymond, âgé de 14 ans, a été envoyé par les Allemands pour travailler dans une ferme non loin du lac de Constance.

A la maison, le sentiment anti-allemand était très fort

Jacqueline Knecht-Mosser

Sa sœur se souvient encore très bien de cette période, et notamment du Noël 1944, rue de l'Ill. "J'avais 4 ans, et aucun de mes quatre frères n'étaient là. Alors qu'en Alsace, le jour de Noël, c'est un jour important en famille. Nous étions six enfants, et il n'y avait que ma sœur et moi. Ma mère m'avait cousu une poupée avec des chiffons et du tissu, elle n'avait pas les moyens de faire autre chose, nous n'avions pas grand-chose."

René meurt sur le champ de bataille en Hongrie le 8 octobre 1944, quelques jours avant ses 19 ans, mais pour sa famille, il est porté disparu. "Longtemps, ma mère se précipitait à la gare ou au pont de Kehl quand des "Malgré-nous" revenaient de Tambov pour voir si René était parmi eux."

Dans la famille, le sentiment anti-allemand était très fort. "Et aujourd'hui encore, c'est plus fort que moi, je ne traverse pas le Rhin", raconte Jacqueline. "Je ne peux pas oublier tout ce que ma mère a subi. Je l'entends encore hurler en 1945 quand un militaire est venu lui annoncer que Jacky avait été fusillé. Elle venait après me chercher à la maternelle en pleurs et habillée de noir."

La pose de ces pavés de la mémoire fut un moment important pour elle. Le corps de Jacques a pu être rapatrié après la guerre. Il repose dans le cimetière de la Robertsau avec sa famille. Celui de René n'a jamais été retrouvé.

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