EXCLU FRANCE 3 - Entretien avec Monseigneur Ravel, deux mois après sa démission : "Poser des actes d'autorité devient très compliqué aujourd'hui"

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Mgr Luc Ravel s'exprime deux mois après sa démission de l'archevêché de Strasbourg. ©France Télévisions.

L'ancien archevêque de Strasbourg Monseigneur Luc Ravel revient, deux mois après sa démission, sur son mode de gouvernance très critiqué et les raisons de son départ, le dossier des agressions sexuelles dans l'Eglise, ou celui du Mont Sainte-Odile.

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C'est un homme souriant, visiblement apaisé, que rencontre l'équipe de France 3 Alsace ce vendredi 16 juin 2023. A 66 ans, l'ancien archevêque de Strasbourg, Monseigneur Luc Ravel, qui ne s'était pas exprimé depuis sa démission en avril 2023, sort de son silence pour évoquer son départ et sa dernière année passée à officier, particulièrement tumultueuse.

En juin 2022, une visite apostolique, une sorte d'audit interne à l'Eglise, est décidée à Strasbourg pour la gouvernance de Mgr Ravel jugée autoritaire. De cet audit, le pape François souhaite sa démission, en février 2023, ce qui n'est fait que deux mois plus tard.

Pourquoi avoir attendu avant de vous exprimer ?

Je préférais laisser du temps passer de telle sorte que mon cœur soit calme. Donc je prends un peu le contre-pied d'une immédiateté que souvent les médias exigent et que les auditeurs réclament.

La visite apostolique a commencé il y a un an, donc 12 mois d'incertitude, un peu de chaos. Je mesure combien l'incertitude, plus que des mauvaises nouvelles, est quelque chose qui pèse. Il s'est passé beaucoup d'événements touchant de près ou de loin des questions d'abus sexuels. Cela a beaucoup perturbé mon cœur et mon psychisme et aujourd'hui je retrouve un petit peu de ce calme qui permet la parole posée.

Le pape a demandé votre démission en février mais vous avez attendu deux mois pour le faire. Pourquoi ?

La démission est un acte libre, ce n'est pas un renvoi. Et donc j'ai estimé qu'il me fallait encore aller jusqu'au bout d'un certain nombre d'affaires. J'ai estimé en conscience qu'il fallait aller jusqu'au bout des affaires qui étaient entreprises et à partir du moment où ces affaires étaient suffisamment engagées, j'ai estimé qu'effectivement, il fallait maintenant quitter le navire.

On vous accuse d'avoir eu une gouvernance autoritaire, d'avoir fait régner un climat de peur. Est-ce que vous le comprenez aujourd'hui ?

C'est peut-être ma conformation qui a déplu ou mon style de gouvernance qui déplaît. C'est une chose qu'il faut que j'accepte comme un lieu de conversion personnelle.

J'aime bien faire la distinction entre poser des actes d'autorité et être autoritaire. Poser des actes d'autorité devient très compliqué aujourd'hui, quelle que soit la gouvernance. Nous l'avons vu avec des débats sur les lois retraites ou autres. Ça devient très compliqué et néanmoins c'est la responsabilité souvent très personnelle du chef.

Vous avez été un fer de lance de lutte contre les abus sexuels, bien avant la commission Sauvé, c'est quelque chose qui vous a beaucoup occupé qui vous a même peut-être envahi un peu trop ?

A tous les niveaux, je crois que là je le reconnais. C'était peut-être le moment de s'emparer, avec sérieux, de toutes les poussières qui avaient pu être mises sous le tapis. Ça a démarré avec la lettre que le pape François en 2018, et puis cette rencontre avec les victimes ; j'en suis à plusieurs dizaines et même presque 200 dossiers et donc je n'ai pas réalisé tout de suite combien cette rencontre avec les victimes me transformait intérieurement. C'était corrosif, et livrer à mon propre regard quelque chose de mon cœur que je ne soupçonnais pas a été déstabilisant.

Juste avant votre démission, il y a eu du ménage parmi vos proches. L'éviction de Mgr Christian Kratz ou de l'aumônier général en charge des finances. Avez-vous compris que ça puisse choquer, alors que votre lutte contre les violences sexuelles est saluée ?

Je ne peux pas toujours donner les raisons des décisions que je prends. Quand on écarte quelqu'un, ça veut pas dire forcément qu'il est condamné, il y aura donc justice en cours. Ça veut dire que j'ai des éléments en ma possession qui me permettent de dire qu'il faut agir. Je savais que ces décisions étaient très lourdes puisqu'elles touchaient des personnes très en vue dans le diocèse et il fallait en conscience que je les prenne.

Pour l'instant c'est l'évêque de Metz qui assure un intérim. Que sait-on de votre successeur ?

C'est une question à poser directement au pape ! Il est clair que Monseigneur Philippe Ballot est évêque de Metz et le restera. Il faudra certainement plusieurs mois, ne serait-ce que parce qu'il est rare de nommer un archevêque de Strasbourg en premier rang très souvent, c'est quelqu'un qui est déjà évêque par ailleurs et donc il devra laisser un diocèse pour Strasbourg.

Après, faut-il quelqu'un qui vient de l'extérieur et qui puisse avoir aussi des idées nouvelles, des regards nouveaux parce qu'il a travaillé autrement et ailleurs, ou faut-il quelqu'un du terrain alsacien qui aura l'avantage de connaître l'Alsace ? C'est le pape qui devra choisir.


En 2021, il y a eu une fuite à l'époque dans la presse qui disait que l'archevêché pouvait céder le Mont Sainte-Odile afin d'éponger une petite partie des dettes. Vous vous étiez mis en colère...

J'ai porté une plainte contre X pour diffusion volontaire d'un document confidentiel concernant le Mont Sainte-Odile. Je rappelle que, dans l'Eglise, on ne fait pas n'importe quoi. Il y a bien sûr le secret de la confession mais aussi toutes les confidences et la façon de travailler interne qui s'appelle du secret professionnel, c'est reconnu par la loi.

Concernant le fond, c'est un projet tout à fait excellent que certains ont voulu torpiller, l'idée est de travailler en partenariat. L'intention a toujours été de trouver des grands partenaires par exemple la Collectivité européenne d'Alsace ou la région Grand Est qui peuvent eux avoir une surface financière telle que j'assure la pérennité de l'ensemble de ce site sur 25 ou 30 ans. Voilà l'idée, ça ne s'est pas réalisé, c'est même au point mort parce que le président de la région Grand Est avec qui j'avais travaillé [Jean Rottner, ndlr] a démissionné en décembre [2022]. Et étant moi-même sur un siège éjectable, je n'ai pas souhaité faire avancer le dossier.

Qu'allez-vous devenir une fois que vous aurez quitté Strasbourg ? Vous ne serez plus nommé évêque dans un diocèse...

On devient alors "émérite". Si vous voulez : archevêque à la retraite. Et c'est pour moi l'occasion de me retrouver devant une page blanche et de m'apercevoir que tout m'a été un peu dicté finalement par les événements ou par l'obéissance. Je ne suis jamais senti aussi catholique qu'aujourd'hui. D'une certaine façon, je n'ai jamais choisi d'être curé dans tel ou telle paroisse, je n'ai jamais choisi d'être évêque aux armées. Je n'ai jamais choisi pour être évêque de Strasbourg et d'un seul coup maintenant, je me retrouve à 66 ans devant une page blanche ou rien ne s'impose à moi. Donc c'est une liberté retrouvée et qui peut être encombrante aussi parce que, parfois, trop de liberté nous embarrasse.

Mon point de chute sera à Paris. Je souhaite vraiment que l'Alsace profite de d'être aux marches de la France et au cœur de l'Europe. C'est mon souhait le plus vigoureux.

J'ai déjà commencé un livre sur la peur et le courage. Je trouve que ce sont des thèmes importants. Souvent, on parle de stress. Je préfère parler des peurs parce que nos peurs sont différentes. Autre thème qui me passionne c'est le temps, ce processus du temps, ces âges de la vie, l'histoire du monde... Mais au fond, vers où va-t-on, une fois qu'on nous aura dit qu'on a tel PIB tel déficit et autres ? Va-t-on vers le gouffre ou vers un avenir radieux, c'est la question du temps et ceci me passionne.

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