Après la censure d'une partie du projet de loi immigration par le Conseil constitutionnel, le président de la Cimade Grand Est, qui accompagne les personnes exilées, est soulagé. "Les étrangers ont été présentés de manière binaire", regrette-t-il.
"Une satisfaction, un soulagement." Voici les premiers mots du président de la Cimade Grand Est. L'association, qui défend et aide les migrants et les personnes exilées, se réjouit de la censure de plus d'un tiers de la loi immigration par le Conseil constitutionnel jeudi 25 janvier.
Les Sages ont estimé qu'un certain nombre d'articles n'avait pas de lien avec l'objet du texte, il s'agit de "cavaliers législatifs". Ils ont donc été rejetés pour des raisons de forme. Parmi eux, l'accès différencié aux prestations sociales pour les étrangers, le durcissement des conditions d'accès au regroupement familial et la "caution retour" exigée aux étudiants étrangers ont été censurés. Le Conseil constitutionnel a également retoqué la fin de l'automaticité du droit du sol pour les enfants d'étrangers nés en France et le délit de séjour irrégulier.
L'article qui concernait l'instauration de quotas migratoires a lui été censuré sur le fond. Pour Pierre Greib, coprésident de la Cimade Grand Est, c'est la preuve que "le gouvernement est allé trop loin dans l'acceptation d'un certain nombre de choses".
Quelle est votre réaction, après la censure par le Conseil constitutionnel de nombreux articles de la loi immigration ?
"Les articles les plus inadmissibles ont été retoqués. C'est une satisfaction, un soulagement, ça veut dire qu'il y a encore de la vigilance. Un pas important est fait, car ce qui avait été dicté par Les Républicains et applaudi par le Rassemblement National a été retoqué.
Nous restons vigilants, mais pour l'instant, ça m'étonnerait que les mesures soient reprises. Le gouvernement constate qu'il était allé trop loin dans l'acceptation d'un certain nombre de choses."
Mais ces articles ont été rejetés majoritairement sur la forme, et non sur le fond...
"Ils ont été retoqués a priori sur la forme, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne pourraient pas être rejetés après sur le fond."
Eric Ciotti ou Marine Le Pen ont dénoncé un coup de force et ont appelé à une réforme constitutionnelle, que pensez-vous des critiques formulées à l'égard de la décision de Conseil constitutionnel ?
"J'ai entendu des déclarations des LR et RN disant qu'il fallait changer la Constitution, c'est grave. On est dans un État de droit, garanti par le Conseil constitutionnel, et vouloir comme ça modifier la Constitution, c'est très dangereux parce que c'est la base de nos institutions démocratiques. On ne peut pas la changer simplement pour des questions politiciennes. L'égalité des droits, le respect de la dignité de toutes les personnes, c'est fondamental dans notre État de droit."
Comment cette loi a-t-elle été perçue par les associations qui accompagnent les personnes exilées ?
"Pour les associations, c'était une grande inquiétude. La façon dont les étrangers sont traités aujourd'hui est déjà difficile. Bien souvent, il faut des mois et des mois juste pour avoir un rendez-vous pour renouveler des papiers. Alors qu'on est en situation régulière, c'est déjà une maltraitance. Quand on voit les traitements dans les centres de rétention administrative, les difficultés qui existent pour les couples binationaux et pour le regroupement familial... Il y a déjà des restrictions et des obstacles très grands, ça aurait été encore plus grave.
De plus, la loi immigration risquait d'amener les personnes stigmatisées par le discours xénophobe et précarisées par les restrictions sur les prestations sociales vers des solidarités communautaires. L'entrée dans le repli communautaire, c'est pourtant ce que la loi sur le séparatisme, votée sous la première législature, prétendait éviter."
Vous estimez qu'il y a eu des discours xénophobes ?
"On a présenté les étrangers de manière binaire en disant "il y a les bons et les méchants'' : c'est un peu primaire comme élément parce que personne n'est jamais 100% gentil ou méchant. Il y a eu des affirmations disant que la loi était un bouclier contre l'arrivée des étrangers. L'étranger constitue a priori un danger voir un ennemi. Après, il y a le sénateur d'extrême droite Stéphane Ravier qui a comparé les immigrés à des animaux... Il faut absolument changer le regard sur l'étranger."
Y a-t-il une droitisation du débat public ?
"Oui. C'est après l'attentat d'Arras, qui est une horreur absolue, que Darmanin décide d'accélérer le processus pour faire adopter la loi immigration. Quand un étranger est coupable d'un crime, on vous dit que tous les étrangers sont des délinquants ou des criminels.
De la même façon, il y a eu une instrumentalisation du meurtre de Thomas à Crépol dans la Drome. Ça a concouru à rendre ce débat malsain. L'utilisation d'un fait divers entraine un climat de xénophobie extrêmement dangereux."
Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui expliquent que les mesures de la loi étaient plébiscitées par les Français ?
"Si on fait un sondage qui dit 'est-ce que vous êtes d'accord avec la proposition qu'il y a trop d'étrangers ?', beaucoup vont répondre 'oui'. Mais chaque année, des organismes comme la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'homme) font des enquêtes sérieuses dans le cadre d'entretiens approfondis et qui montrent que les étrangers sont beaucoup mieux acceptés dans la société française que ce que disent les sondages organisés à la demande de journaux qui appartiennent à Bolloré (entre autres).
Les réalités de l'immigration sont étudiées par des experts, mais la classe politique n'a pas recours à leurs travaux. Quand il s'agit de l'immigration, c'est toujours un discours politique ou idéologique qui ne s'appuie pas sur des données sérieuses."
Que proposent ces experts ?
"Ils proposeraient de considérer l'immigration comme un fait logique, normal, et dont on a besoin. Regardez en Italie, Madame Meloni, la cheffe du gouvernement, a été élue sur un programme xénophobe de fermeture des frontières. Aujourd'hui, pour des raisons de main d'œuvre, elle va régulariser 300 000 personnes parce que la réalité de la société italienne fait qu'on a intérêt à accueillir."