Procès de l'attentat de Strasbourg : "j'ai besoin d'être entendue, qu'on me croit", derrière les morts et les blessés, des milliers de victimes invisibles

Le 11 décembre 2018, Chérif Chekatt a ôté la vie à cinq personnes et en a blessé onze dans les rues du centre-ville de Strasbourg. Au procès de l'attentat du marché de Noël, des dizaines de victimes, qui n'ont pas été touchées physiquement, racontent comment la tuerie les a marquées.

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Derrière les quinze victimes directes de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg, toute une ville a été marquée de l'intérieur ce 11 décembre 2018 au soir. Au procès, qui se tient à Paris, celles et ceux qui ont vécu l'horreur dans les rues de la capitale alsacienne se souviennent.

Kamal, Antonio, Piotr, Pascal et Anupong ont perdu la vie à Strasbourg, tués par Chérif Chekatt en plein marché de Noël. Jeanne, Damien, Fabrice, Martine et sept autres personnes ont également été blessés par le terroriste. Ces victimes et leurs proches ont témoigné pendant quatre jours devant la cour d'assises spéciale.

Mais elles ne sont pas seules. Celles que le planning des auditions des parties civiles appelle "victimes par implication" ont elles aussi fait part de leur vécu à la barre. C'est le cas de Clarisse, responsable de la sécurité du magasin Auchan de la place Kléber, d'Audrey, qui a vu son ami se prendre une balle en plein visage ou encore de François, qui voulait se dégourdir les jambes ce soir du 11 décembre, lui qui lutte contre la maladie. Tous ont vécu le drame de l'intérieur et sont encore aujourd'hui très marqués.

Cinq ans d'abandon

"Il y a des milliers de victimes", affirmait devant la cour d'assises spéciale Moktar Naghchband, dont le frère Kamal a été tué d'une balle dans la tête. Un autre témoin avait parlé de Strasbourg comme d'un "petit village où tout le monde se connaît", et où le marché de Noël n'a plus la même saveur depuis cinq ans.

Cinq ans. C'est le temps pendant lequel Caroline s'est sentie "abandonnée psychologiquement et juridiquement", elle qui se trouvait place Broglie le soir de l'attentat. Pas sur le parcours direct de Chérif Chekatt, mais au milieu de la foule qui fuit, comprenant qu'un attentat est en train de se jouer à quelques dizaines de mètres de là.

Chaque bruit m'effraie, je dois comprendre d'où il vient avant de me rassurer

Caroline

Saine et sauve, Caroline n'en reste pas moins traumatisée par ce qu'elle a vu et entendu. "Des hélicoptères ont volé toute la nuit pour retrouver le terroriste. Leur bruit m'est aujourd'hui insupportable. Chaque bruit m'effraie, je dois comprendre d'où il vient avant de me rassurer", souffle-t-elle en pleurs.

Plus possible pour elle de se rendre sereinement dans une salle de cinéma ou à un concert. "Je passe plus de temps à avoir peur que de profiter de l'événement. C'est très compliqué de prendre les transports en commun ou même de faire les courses", continue-t-elle. Plus tôt à l'audience, une témoin de l'attentat expliquait ne les faire que par internet, par peur de la foule.

Des pensées suicidaires

Shauna était serveuse aux Savons d'Hélène, le bar devant lequel le terroriste a échangé des tirs avec des militaires de l'opération Sentinelle. Après cet épisode, la jeune maman a dû quitter son emploi, trop traumatisée. "À partir d'avril, j'ai eu des excès de violences, des absences où je retournais tout mon appartement, presque à me blesser physiquement."

Shauna a commencé à boire, a pensé à mettre fin à ses jours. "Puis le Covid a été une aubaine. Je n'avais plus à sortir de chez moi, à voir des gens", ajoute-t-elle. L'hypervigilance, les sautes d'humeur, la sensation de culpabilité... Autant de symptômes qui touchent ces victimes invisibles. Avec cela, les médicaments, psychotropes pour dormir ou antidépresseurs. "Avant, j'aimais sortir, je bougeais beaucoup. Mais ma vie a changé depuis cette époque. Je ne suis plus la même", glisse d'une voix fluette une témoin de la mort de Pascal Verdenne devant le restaurant "La Stub".

Je ne me déplace plus sans mon arme de service, même quand je suis en famille

Un policier qui a échangé des coups de feu avec Chérif Chekatt

La plupart de ces victimes expliquent chercher une issue de sortie dès qu'elles entrent dans un endroit. "Dans un restaurant, je me place toujours en face de la porte. Elle ne doit jamais être dans mon dos. Je ne me déplace plus sans mon arme de service, même quand je suis en famille. Parce que je me dis que ça peut recommencer n'importe où", souffle un policier qui avait échangé des tirs avec le terroriste pendant sa traque. L'attentat a également brisé des relations, comme celle entre Santa et sa fille, qui ne lui parle plus depuis qu'elles ont vécu l'horreur ensemble.

Qui doit être considérée comme une victime ? Vaste question qui a occupé le premier jour de ce procès. Plus de 200 personnes ont demandé à se constituer partie civile. Reste à savoir lesquelles seront acceptées, les avocats généraux émettant des "réserves" sur celles qui n'étaient pas sur le parcours direct de Chérif Chekatt. "J'ai dû me battre pour que mon fils soit reconnu comme victime", s'énerve Vanina, dont le mari a pris une balle dans le visage. Ce soir-là, leur fils était à l'internat.

Aussi grande soit la douleur des victimes, elle n'enlève pas la mienne

Caroline

"J'ai conscience que des gens ont été beaucoup plus exposés au danger que moi, je ne veux pas prendre leur place. Mais j'ai eu peur de mourir ! Aussi grande soit la douleur des victimes, elle n'enlève pas la mienne. J'ai besoin d'être entendue, qu'on me comprenne, qu'on me croit. J'ai la sensation d'avoir vécu ça toute seule pendant cinq ans. C'est très important qu'on me considère comme victime car c'est ce que je ressens", abonde Caroline, qui a appris en décembre 2023 "par hasard" que le procès approchait, choquée que personne ne la prévienne.

Ces cinq semaines d'audience sont pour beaucoup de victimes le moyen de comprendre, de tourner la page. Mais bien souvent, cela ne suffit pas et d'autres défis attendent certaines d'entre elles. Comme pour Shauna, qui vient de donner naissance à des jumeaux. "Il faudra qu'un jour, je leur explique pourquoi je ne veux pas aller au marché de Noël ou aux feux d’artifice avec eux."

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