Au procès de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg, un des policiers qui a neutralisé le terroriste Chérif Chekatt a témoigné. Il est revenu sur le moment où lui et deux collègues ont mis fin à la cavale de Chérif Chekatt, le 13 décembre 2018, à 21h.
Le fonctionnaire de police témoigne anonymement depuis Strasbourg. On ne connaîtra ni son visage, ni son âge, encore moins son nom. Sur l'écran de la salle d'audience, une silhouette à peine visible raconte ce qu'elle a vécu du 11 au 13 décembre 2018.
Le soir de l'attentat, il était en service. Le lendemain aussi. Le surlendemain aussi. De ces trois jours, le policier se souvient du froid de la capitale alsacienne, vidée de tous ses touristes qui garnissent d'ordinaire les rues du centre-ville pendant le marché de Noël.
La ville était dans le brouillard, sans le brouillard
Le policier
Le périple meurtrier de Chérif Chekatt le 11 décembre au soir aura tétanisé la ville, soucieuse de savoir où le terroriste se terre, lui qui a été vu pour la dernière fois au niveau de la rue d'Epinal après avoir pris un chauffeur de taxi en otage. "La ville était dans le brouillard, sans le brouillard", image le policier.
48 heures après le massacre, Chérif Chekatt est toujours introuvable, malgré l'énorme dispositif de sécurité mis en place dans le quartier du Neudorf. Il est 21h quand un Citroën Berlingo de la police s'arrête au feu rouge au niveau du pont sous la gare "Krimmeri-Meinau". À son bord, trois hommes.
"On a aperçu une personne qui semblait vouloir rentrer au 74, rue du Lazaret. Mon collègue me fait remarquer qu'il avait la même veste que Chérif Chekatt sur une image de caméra de surveillance plus tôt dans la journée. Mais à aucun moment, on ne pensait que c'était ça", se souvient le policier.
Ce policier de la sécurité publique n'est pas habitué à faire face à un terroriste et a du mal à croire que Chérif Chekatt est sous ses yeux. "D'ordinaire, les terroristes se font loger et c'est au Raid ou à la BRI d'intervenir. C'était un schéma inhabituel pour nous. On l'a vu avec Mohamed Merah. Impossible que ce soit lui."
Un regard d'une seconde, puis les tirs
La voiture de police s'avance tout de même vers l'homme. À environ 3 mètres 50 de lui, le policier entame une discussion. "Bonjour Monsieur, c'est la police. D'habitude, les gens disent quelque chose, sont interloqués, surtout dans ce contexte d'attentat. Mais là, il n'a rien dit. Il a juste retourné la tête par-dessus l'épaule et m'a vu à l'arrière de la voiture. J'avais ouvert la porte."
"Il m'a regardé pendant moins d'une seconde. J'ai à peine eu le temps de lui dire de sortir les mains de ses poches qu'il a tendu le bras vers moi et j'ai vu des flammes sortir du canon", continue le policier, qui réplique.
À ce moment, on n'est plus du tout maître de son corps
Le policier
"J'ai levé mon pistolet-mitrailleur et j'ai commencé à tirer sur lui plusieurs fois. À ce moment, on n'est plus du tout maître de son corps. Ces gestes deviennent des réflexes de Pavlov à force de les avoir faits et refaits à l'entraînement. On tire sans réfléchir", se souvient-il.
Au bout de six ou huit cartouches, Chérif Chekatt chancelle et tombe. "Une fois qu'il était au sol, j'étais toujours comme absent. J'ai continué à tirer et j'ai vu des impacts se former sur son visage pendant que j'appuyais sur la détente. Ce n'est qu'à ce moment que j'ai repris possession de moi, alors que jusqu'ici, j'étais à côté de tout ça."
La scène aura duré moins de dix secondes. "Un combat à mort" pendant lequel deux policiers ont déchargé leurs munitions sur Chérif Chekatt. Près de 30 impacts seront retrouvés sur le corps du terroriste. "En sortant de la voiture, j'ai passé un message radio pour annoncer où on était. Puis les gens aux fenêtres ont commencé à sortir leurs téléphones, comme s'ils n'avaient honte de rien."
De cet épisode, le fonctionnaire de police en garde un souvenir amer. "Ce n'est pas parce qu'on est policier qu'on ne ressent rien. J'ai parfois l'impression que personne ne nous comprend, nous les victimes", affirme celui qui s'est porté partie civile.
"Pas une fierté" d'avoir tué Chekatt
"On me demande souvent si je suis fier de l'avoir tué, ce que ça fait. Mais non, ce n'est pas une fierté ! Ce n'est jamais satisfaisant, je ne m'en félicite pas. C'était une contrainte, il m'a obligé à le faire en me tirant dessus. C'était lui ou moi", fait-il savoir.
Depuis, le policier a dû changer deux fois de service, subir les railleries de certains collègues et les remarques de ceux qui ne veulent pas travailler avec lui. "Ils disent qu'avec ce que j'ai fait, je dois être la cible d'une filière djihadiste."
Puis le même cauchemar. "Je rêve que je tire sur quelqu'un à qui ça ne fait rien, comme si c'était des balles en mousse. Je fais encore ce cauchemar aujourd'hui", conclut cet homme, celui qui, avec ses collègues, aura mis fin à 48 heures d'angoisse pour toutes celles et ceux qui se trouvaient à Strasbourg à ce moment-là.