Ce mardi 2 avril 2024, le parquet antiterroriste a requis 30 ans de réclusion criminelle à l'encontre d'Audrey Mondjehi au procès de l'attentat du marché de Noël de Strasbourg. Pour les avocats généraux, il a assisté Chérif Chekatt dans la préparation de l'attentat et ne pouvait ignorer la radicalisation de Chérif Chekatt ni son projet terroriste.
À deux jours du verdict du procès de l'attentat de Strasbourg, le parquet a requis 30 ans de prison à l'encontre d'Audrey Mondjehi, le seul des quatre accusés à faire face à des charges terroristes. Pour le ministère public, le rappeur strasbourgeois a assisté Chérif Chekatt dans la préparation de son projet.
Pendant plusieurs heures, les deux avocats généraux ont démontré pourquoi Audrey Mondjehi devait être condamné à cette peine. Accusé d'association de malfaiteurs et de complicité d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, "il apparaît à tous les stades de la préparation et de l'exécution du projet", avance l'avocat général.
Plus tôt, sa collègue avait évoqué "la matrice djihadiste et criminelle" de Chérif Chekatt, celui qui a tué cinq personnes, en a blessé onze physiquement et en a traumatisé des milliers le soir du 11 décembre 2018. Chérif Chekatt préparait cette attaque depuis des semaines, période pendant laquelle il était en lien constant avec Mondjehi.
La radicalisation de Chérif Chekatt n'est pas une simple adhésion, elle est violente et ostentatoire
L'avocat général
Cette attaque est aussi l'aboutissement d'une radicalité qui a émergé dès 2008 en détention avant de basculer en 2015, quand Chekatt est enrôlé dans la propagande de l'Etat islamique. "Sa radicalisation n'est pas une simple adhésion. Elle est violente et ostentatoire", affirme l'avocat général qui cite les témoignages de proches de Chérif Chekatt pendant l'instruction.
Chekatt portait la barbe, affichait une marque de piété sur le front, rappelait à son frère de ne pas manger de porc à la cantine à travers la grille du collège, a été contrôlé en tenue talibane à Strasbourg après les attentats contre le Bataclan. "En 2018, Chekatt est un drapeau noir. Celui de l'Etat islamique qu'il porte haut comme un étendard."
Chekatt et Mondjehi, des "amis"
À partir de là, Audrey Mondjehi ne pouvait pas ignorer, contrairement à ce qu'il a martelé à l'audience, la radicalité de Chekatt, que l'avocat général décrit comme "un ami" de l'Ivoirien de 42 ans. "Pendant ce procès, Audrey Mondjehi a tenté de se distancier de Chérif Chekatt. Mais leurs relations étaient anciennes, intenses, utilitaires et équilibrées."
Une fois sa vidéo d'allégeance tournée, "toutes les actions de Chérif Chekatt sont guidées par ce but final qu'est l'action terroriste", soutient le ministère public. C'est alors qu'il recherche des armes. D'abord dans les quartiers de Strasbourg. Mais au vu de sa radicalité affiché, ses proches prennent de la distance avec lui. "Il est possible de le déconseiller de se procurer des armes", glisse l'avocat général en ciblant le principal accusé dans ce procès.
Son rôle apparaît considérable dans la fourniture d'une arme de guerre à Chekatt
L'avocat généralAu sujet d'Audrey Mondjehi
C'est là qu'apparaît Audrey Mondjehi. "Il va assister Chérif Chekatt dans la préparation de son projet. Son rôle apparaît considérable dans la fourniture d'une arme de guerre à Chekatt." C'est lui qui l'accompagne à Haguenau rencontrer Christian Hoffmann pour la fourniture d'une kalachnikov, lui qui se va retrouver Chekatt dans la seconde le 11 au matin, lui qui donne l'argent à Albert Bodein, qui essaie l'arme, lui qui le dépose au Auchan d'Illkirch quelques heures avant l'attentat.
Entre les premières armes fournies en septembre, la visite chez les Bodein le 5 décembre et la fourniture de l'arme de l'attentat le 11 décembre, Audrey Mondjehi est partout. "Il est dans le cercle immédiat de Chérif Chekatt. Chekatt n'a pas n'autre fournisseur. Quand l'arme fournie par Christian Hoffmann se révèle défaillante, il change uniquement de réseau mais pas d'intermédiaire. Il garde Audrey Mondjehi."
Les "œillères" d'Audrey Mondjehi
"Personne ressource", "pivot", "lien". Autant de termes qu'utilise l'avocat général pour parler de ce qu'était Mondjehi pour Chekatt dans les semaines qui précèdent le passage à l'acte. D'autant que d'après le ministère public, il savait à quoi serviraient ces armes. "Vous connaissiez la réputation de Chekatt en tant que braqueur. Mais, alors que tout Strasbourg est au courant de sa radicalité, vous mettez des œillères", lance-t-il à l'accusé qui maintient sa tête sur sa main.
L'avocat général décèle chez Mondjehi "une absence totale de valeur morale qui lui a permis d'aider en toute conscience quelqu'un dont il connaissait les projets terroristes". "Il est le seul et le dernier à pouvoir empêcher Chekatt d'agir. Il nous l'a dit, il n'a parfois pas de conscience morale. Alors le 11 décembre dans l'après-midi, il ne va rien faire si ce n'est faire des courses à Ikea."
De quoi demander à la cour d'assises spéciale de reconnaître Audrey Mondjehi comme coupable d'association de malfaiteur et de complicité de terrorisme en le condamnant à 30 ans de prison. "C'est par sa faute pleine, directe et volontaire que la mort a été jetée dans les rues de Strasbourg", lance l'avocate générale. Une peine assortie d'une période de sûreté des deux tiers et d'une interdiction définitive du territoire français à l'issue de sa peine.
Le parquet a également donné ses réquisitions pour les trois autres accusés, chez qui la connaissance du projet terroriste de Chekatt n'a pas été établie pendant l'instruction. Concernant Christian Hoffmann, qui a fourni deux armes à Audrey Mondejhi à Hagenau en septembre, le parquet a requis cinq ans de prison avec mandat de dépôt.
Pour Stéphane Bodein, qui n'était pas présent dans sa cour le 5 décembre quand Audrey Mondjehi cherchait à le voir pour obtenir une arme, l'avocate générale a requis l'acquittement. Enfin, le parquet a requis cinq ans de détention à domicile avec un bracelet électronique à l'encontre de son frère Frédéric qui avait donné le numéro d'Albert Bodein à Audrey Mondjehi. "Il a choisi d'être le lien entre l'acheteur et le vendeur", a affirmé l'avocate générale avant les plaidoiries de la défense le mercredi 3 avril. Une peine qui prendra en compte son année et demie de détention provisoire entre 2019 et 2020.