L'inhumation et la crémation sont les deux seules options légales en France, mais elles restent très polluantes. Des associations militent pour des alternatives plus écologiques. La terramation ou humusation, c'est transformer le corps humain en terreau, et elle intéresse de plus en plus de gens.
Selon un sondage effectué en 2022, 73% des Français sont pour une mort écologique, et 46% sont prêts à recourir à la terramation. Un mot nouveau pour une nouvelle façon d'envisager le devenir de son corps après la mort.
Séverine est assise au café Grognon à Strasbourg, lieu choisi par l'association Maintenant l'après pour faire un apéro mortel. L'idée, c'est de boire un verre en parlant de la mort, et aujourd'hui le thème, c'est donc la terramation, dans un décor d'Halloween. Ce qui a poussé cette jeune femme à venir, c'est une réflexion personnelle sur une mort écologique.
"J'aime beaucoup les arbres, et en ce moment, je tâtonne pour changer d'orientation professionnelle, je cherche des choses qui me parlent, en lien avec la nature, les arbres. J'ai la chance d'habiter Strasbourg, il y a beaucoup d'associations. Plutôt que de lire des choses sur ce sujet, je préfère rencontrer des gens, et c'est pour ça que je suis venue."
Une idée, une image lui viennent en tête, et c'est celle de cette capsule funéraire enterrée avec un jeune arbre, pour transformer les corps des défunts en une belle forêt. Et d'images en mots, elle est arrivée à la terramation.
Jean-Yves Brocker est maître-composteur et membre de l'association Humo Sapiens. Il anime la soirée et propose de décrire toutes les solutions qui existent à l'heure actuelle, et pourquoi il milite pour la terramation. Il a apporté un avocatier qui a poussé sur l'un de ses composts, le but ultime de la décomposition du vivant : le compost retourne à la terre et la nourrit pour qu'elle donne de nouvelles plantes. Le cycle de la vie.
Humusation ou terramation
Une association belge a lancé le concept d'humusation, de transformation du corps en compost humain en déposant le défunt enveloppé d'un simple linceul sur un lit de feuilles et en le couvrant de feuilles et de copeaux de bois. Une vidéo explique le processus.
Ce processus est complètement écologique, mais il dure un an. En cours d'année, les os sont récupérés et broyés puis remis avec le reste. Après ce délai, les proches pourraient récupérer 1,5 m³ de compost très fertile, à utiliser pour leurs plantations.
L'humusation n'est pas encore autorisée en Europe, seuls quelques États américains comme la Californie la permettent, mais dans une autre version : le défunt est placé dans un cercueil métallique réutilisable avec des plantes et des copeaux de bois, aéré pour que la décomposition soit efficace et homogène. Au bout d'un certain temps, les os aussi sont broyés, et au bout de trois mois, le compost est récupéré et remis en terre, et là, on parle de terramation.
André Bernhard écoute attentivement les explications de Jean-Yves Brocker. "Je suis venu avec ma femme pour comprendre le processus et aussi parce que nous aimerions le choisir pour nous-mêmes. J'espère que dans dix ans, les choses auront évolué. Je me sens concerné par toute cette réflexion, en attendant que la législation évolue !"
La différence avec la crémation et l'inhumation
D'emblée, Jean-Yves Brocker cite deux chiffres : 833 kg de CO2 se dégagent lors d'une inhumation, contre 233 kg de CO2 lors d'une crémation. Et cette pollution, les participants de l'apéro mortel n'en veulent plus.
Lors d'une inhumation, les médicaments présents dans le corps, les amalgames dentaires, et les soins post-mortem très polluants (comme l'injection de formol pour conserver le corps quelques jours après la mort), tout ça reste dans le cercueil sans être détruit : l'air présent dans le cercueil et la grande profondeur à laquelle il est enterré empêchent la décomposition du corps. Donc les polluants vont progressivement se déposer dans le sol, au fur et à mesure que le cercueil sera de moins en moins étanche.
Dans le cas de l'humusation ou de la terramation, l'action des bactéries et des enzymes va augmenter la température du corps et détruire chimiquement et thermiquement les polluants en grande partie. Donc sans action énergivore, le terreau sera ainsi beaucoup plus sain que le sol des cimetières.
Cimetière ou forêt du souvenir
À part l'écologie, il y a aussi le problème de place que posent les cimetières, toujours plus saturés. Certaines procédures de terramation permettent de planter un arbre sur la tombe d'une personne mise en pleine terre, ce qui ne résout pas ce problème.
D'autres envisagent de répandre le compost ainsi créé dans des zones forestières, sans nom ni tombe, ce qui correspond à cette vision, la moins polluante et plus économe en place également.
En France, des solutions existent déjà, pour enterrer les urnes après la crémation dans des forêts sanctuaires. C'est le cas à Muttersholz et maintenant à Schiltigheim, dans une partie du cimetière.
La loi
Pour l'instant, seules la crémation et l'inhumation dans un cercueil en bois sont autorisées en France. Et les urnes qui contiennent les cendres doivent être en pierre ou en métal si elles sont à leur tour enterrées dans le sol.
Séverine est très étonnée d'apprendre que la législation est si stricte : "finalement, pour l'instant, rien n'est possible. Mais c'était intéressant de voir toutes les pistes de réflexion, ça ouvre l'esprit, on peut réfléchir à ce qu'on aimerait, en attendant que la loi change."
Elodie Jacquier-Laforge vice-présidente MoDem de l’Assemblée nationale, a déposé un projet de loi d'expérimentation visant à développer l'humusation, le 31 janvier 2023. La terramation va donc logiquement être discutée à l'Assemblée prochainement.