Témoignage. Un soldat court 100 km pour parler du syndrome post-traumatique : "je n'étais plus là, je voulais mon treillis pour partir à la guerre"

Publié le Écrit par Florence Grandon

Henri Tetauvira est adjudant-chef au régiment de marche du Tchad de Meyenheim. Il souffre de stress-postraumatique et ne peut plus travailler. Il a trouvé refuge dans le sport. Le 13 juillet, il a parcouru 100 km pour relever un autre défi : parler ouvertement de sa blessure psychique, pour aider les soldats et leurs familles. Avec sa femme, il va créer une association.

L'adjudant-chef Tetauvira n'a pas touché une arme depuis longtemps. Il n'a pas mis les pieds dans son régiment de marche du Tchad (RMT) de Meyenheim (Haut-Rhin) depuis plus d'un an. Il n'a plus un seul habit vert chez lui, il ne regarde plus aucune photo de ses faits d'armes. Tout cela lui est impossible depuis qu'il a traversé un épisode dissociatif, en mars 2023. Une crise particulièrement aiguë dans une maladie psychique encore peu connue des militaires et de leurs familles : le syndrome du stress post-traumatique (SSPT).

Henri Tetauvira ne peut plus travailler, il a dû être hospitalisé. Il est en train de se reconstruire. Et désormais le sport joue un rôle très important pour lui, cette activité l'aide à se fixer des objectifs. Sa femme Anaïs a été très surprise quand il lui a annoncé en janvier 2024 qu'il courrait 100 km non-stop six mois plus tard.

Malgré des blessures et des fractures, il a tenu parole. Et vers 15h le 13 juillet, il a pu réaliser cet objectif, le sourire aux lèvres, accompagné de sa femme, de ses amis et de ses collègues du régiment. L'objectif solo s'est transformé en une opération collective, une vraie victoire après des mois de maladies, et un déni des symptômes pendant de nombreuses années.

Pour comprendre ce qu'est le SSPT, il a accepté de nous expliquer son parcours, assis sur son canapé, près de sa femme.

Des terrains de guerre nombreux et difficiles

"J'ai commencé dans l'armée en 2006. Ma première mission hors de France se passe en 2007, juste après mes classes". Un petit geste discret de sa femme, il reprend. "En 2007, en Côte d'Ivoire, j'étais un jeune soldat, la mission s'est bien passée."

"En 2008, j'ai été projeté ["envoyé en mission", dans le jargon militaire, ndlr] en Afghanistan, une mission compliquée, j'ai perdu dix de mes camarades, dont un qui était proche." S'enchaînent les missions, la Côte d'Ivoire en 2011, la République centrafricaine en 2014, des missions très dures.

"En République centrafricaine, c'était une mission très compliquée et difficile, au sein de l'opération Sangaris. En face, on avait des miliciens qui n'avaient pas peur et qui étaient près à tout. J'ai eu deux actions de feu, l'une d'elles c'était la bataille de Boguila. J'étais chef de groupe, la bataille a commencé à 15h06 et elle a fini tard dans la nuit."

"Le syndrome post-traumatique, ce n'est pas quelque chose qui m'est venu en tête à l'époque. Les symptômes étaient là mais je vivais normalement en fait. Et j'ai toujours réussi à compenser ça avec le sport. Mais en février 2023 j'ai eu une entorse de la cheville, un ligament arraché, l'autre très abîmé. C'était la première fois que j'étais en arrêt de travail de toute ma carrière, après 17 ans de service."

"Un mois et demi de convalescence, la reprise du travail a été difficile. Tout le monde était content de me revoir, parce que j'étais adjudant d'unité, c'est un peu le papa de la compagnie dans la partie commandement. C'est lui qui est au centre, je m'adressais chaque jour à 200 personnes, pour dire ce qui était bien ou pas bien, passer des messages ou remettre à leur place s’il faut. C'était ma fonction et mon grade, mais c'est aussi mon tempérament."

Henri fait une pause, il prend quelques respirations. Anaïs ne le quitte pas des yeux, elle est avec lui aussi pendant ce récit. "Il y a eu plein de signes. J'étais déjà pas bien. À ce moment-là, je m'isolais beaucoup dans mon bureau."

Le soldat s'arrête, il cache ses yeux.

"Je m'isolais, je ne supportais plus les bruits. Les cauchemars revenaient plus souvent, je parlais mal à mes enfants, à ma femme. Mais j'ai continué comme si de rien n'était, il fallait continuer."

Jusqu'au jour où tout bascule, le 30 mars 2023. "C'était un jeudi, il y avait des entraînements donc ça tirait beaucoup, je ne supportais plus, je suis rentré chez moi, j'étais content de rentrer. J'arrive à 18h15, j'entends un gros boum dans le coin, je cours vers l'école de mon fils, sans me rendre compte qu'il avait déjà fini. Il y avait une alarme qui sonnait, je ne comprenais plus, ce n'était plus cohérent. J'ai commencé à partir, c'était trop. Je ne reconnaissais plus ce qui était autour de moi. J'essayais de m'habiller en treillis, je voulais partir à la guerre".

La suite, c'est Anaïs qui la raconte.

Il est face à moi et il me demande son drapeau français pour prévenir l'ennemi de notre présence. Et là je ne sais pas quoi faire. On nous avait parlé du stress post-traumatique mais pas des méthodes qui pouvaient aider à ce moment-là

Anaïs Tetauvira

"Il y avait des dates anniversaires auxquelles il n'allait pas bien, mais je me disais, il a vécu des choses horribles à ces dates-là, donc c'est normal. Mais finalement, j'ai compris plus tard que ça n'était pas normal."

"Et cette hypervigilance tout le temps, il a formaté les enfants aussi, c'est devenu assez oppressant pour nous. On va au restaurant, il faut faire attention à l'endroit où on se place, on va au cinéma on se met prêt d'une sortie de secours. Moi je me disais c'est une déformation professionnelle, mais ça non plus ce n'était pas normal."

Elle essaie de lui en parler, de l'envoyer voir un psychologue ou un psychiatre.

"Ce soir du 30 mars, je me trouve avec mon mari, et là c'est la descente aux enfers. Il est face à moi et il me demande son drapeau français pour prévenir l'ennemi de notre présence. Et là je ne sais pas quoi faire. J'ai un temps de réaction où je ne comprends pas ce qui se passe. On nous avait parlé du stress post-traumatique mais pas des méthodes qui pouvaient aider à ce moment-là."

"Je ne comprends pas ce qui se passe et ce qui pourrait se passer derrière. Parce que là, il n'est plus là. Il est assis sur le lit, il me dit qu'il va mettre son treillis pour partir faire la guerre. Et il a mis un t-shirt à l'envers. Mon mari a toujours été très cohérent, là il ne l'est plus du tout."

"À ce moment-là je prends la décision d'appeler son commandant d'unité, c'est ce qui m'est venu. Parce que si j'appelais les pompiers, ce sont des hommes en uniforme qui vont rentrer chez nous, je ne sais pas comment il pourrait réagir, il pourrait le vivre comme une agression. Et c'est trois heures d'incohérence totale. Il sursaute au bout de trois heures quand il voit son commandant. Mais en fait, ça fait trois heures qu'on le touche, qu'on essaie de le réancrer. C'était des termes que je ne connaissais même pas à ce moment-là."

Un épisode dissociatif

"On a vu un médecin militaire après qui nous a dit que c'était un stress post-traumatique et qu'il a fait un épisode dissociatif. Les jours qui suivent, c'est un zombie. Quand il ferme les yeux, il voit des cadavres. Il les sent dans la maison. Une porte qui claque, c'est le maniement de son arme. Un sac qu'on pose par terre, ça lui rappelle les sacs mortuaires qu'on pose par terre. Moi je le vois, et il est vide, ce n'est plus lui. Et moi je pleure tout le temps. Je vais travailler, je m'occupe des enfants, mais ce n'est plus possible de tout mener de front."

"On décide ensemble qu'il doit être hospitalisé, il finit par accepter."

Après un séjour en hôpital psychiatrique, des traitements médicamenteux, Henri va mieux. Il est en convalescence mais ne peut plus imaginer remettre un pied dans son régiment ni voir un treillis. Toutes les photos militaires et les habits de l'adjudant-chef ont disparu de la maison. Commence alors un long parcours de guérison de la blessure psychique.

Ce stress post-traumatique existe, je le savais, mais ça ne pouvait pas lui arriver à lui. Eh bien si, en fait. Ça peut arriver à tout le monde.

Anaïs Tetauvira, femme de l'adjudant-chef

"Il a fallu se battre ensemble contre l'image du super-héros. Oui, ce stress post-traumatique existe, je le savais, mais ça ne pouvait pas lui arriver à lui. Eh bien si, en fait. Ça peut arriver à tout le monde", conclut Anaïs.

Des méthodes permettent d'aider les personnes atteintes de stress-postraumatique. Henri fait du yoga thérapeutique, toute la famille fait une thérapie familiale et il participe à des séances d'EMDR avec une psychologue. "C'est une méthode oculaire très prometteuse qui permet de transformer un traumatisme en souvenir."

"J'ai assisté à une séance, c'était horrible. Il découvrait un cadavre et il a tout raconté, avec tellement de détails que j'ai pu le visualiser aussi. À un moment il a failli vomir, et il nous a expliqué après que c'était à cause de l'odeur du cadavre. Mais à la fin de la séance, il a pu dire : "je vois quelque chose dans l'herbe", c'est incroyable, parce que ce traumatisme il ne l'a plus, il ne le visualise plus."

Une association pour les proches des soldats

Anaïs et Henri vont bientôt poser les statuts de leur nouvelle association, leur objectif c'est d'aider les familles des soldats confrontés au SSPT. Informer en amont, parler de leur expérience et des lieux où trouver de l'aide en cas de suspicion de SSPT.

Anaïs voudrait que les conjoints des militaires puissent être mieux informés, et que les soldats eux-mêmes sachent que ça peut leur arriver à tous. "Tout ce qu'on a mis en place, on aurait aimé le savoir avant, pour comprendre et agir tout de suite. J'aurais pu le forcer au diagnostic plus tôt, pour l'aider avec tout ça."

Le 27 mars, date presque anniversaire de son premier épisode dissociatif, il a refait une nouvelle crise du même genre, mais plus courte : "elle n'a duré qu'un jour, alors que l'an dernier ça a duré des semaines, on avance, ce qu'on met en place marche, c'est vraiment positif !".

"Et il faut que toute la famille soit prise en charge pour aider les blessés et dissocier l'homme de sa pathologie, ça a été très important pour moi de bien comprendre la pathologie et tous les symptômes, j'ai pu dire à mes enfants, que telle attitude était un symptôme de la maladie et pas une pensée de leur père."

Anaïs sait aussi que d'autres soldats ont moins de chance, notamment ceux qui vivent seuls. "Certains soldats se suicident, tombent dans les addictions et/ou la violence envers leurs proches. Un collègue de mon mari est mort récemment, personne ne sait de quoi, c'était à son domicile. Et puis il s'est souvenu qu'il était aussi dans une opération difficile, c'est peut-être un suicide, on ne saura jamais si la famille ne dit rien."

Anaïs encourage chaque soldat, chaque famille qui a des doutes à contacter le service de santé des armées. "Beaucoup hésitent parce qu'ils ont peur de ne plus travailler. Mais le secret médical existe. Et surtout, c'est là qu'on trouve l'aide adéquate. Le bureau environnement humain nous a suivi et a aussi été d'une grande aide, notamment sur le plan administratif."

La guérison est lente mais prometteuse pour Henri Tetauvira : lors de sa course de 100 km, le 13 juillet 2024, il a réussi à rentrer dans son régiment à Meyenheim, il y a été accueilli chaleureusement par ses collègues. Une première victoire qui sera suivie d'autres défis, s'est promis l'adjudant-chef.

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