Départementales 2021 en Alsace : à Mulhouse, les jeunes abstentionnistes expliquent leur choix

C’est un fait avéré, les jeunes votent peu. D'après un sondage Ifop publié le 20 juin, 87% des 18-24 ans n'ont pas fait le déplacement pour les élections régionales et départementales, contre 72% en 2015. Que faire pour donner envie à la génération Y d’accomplir ce geste citoyen ?

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En ce matin du dimanche 20 juin 2021, pour le premier tour des élections régionales et départementales, j'étais partie sonder un bureau de vote au centre-ville de Mulhouse. Il est 10 heures, je me suis dit qu’avec un peu de chance, je vais croiser un jeune.

Mais au bureau de l’hôtel de ville (sur la vue panoramique ci-dessous), seules quelques personnes âgées mettent leur bulletin dans l’urne. Alors je questionne la présidente du bureau, Emmanuelle Suarez : depuis 8h, combien de jeunes sont venus ? Réponse, cinq sur 36, c’est-à-dire moins de 5%.

Elle avance une explication : "Le scrutin des régionales et départementales ne les intéressent pas forcément. Mais aux dernières municipales, on avait l’impression de voir pas mal de jeunes pour voter en faveur de l’écologie." Peu d’intérêt pour ce scrutin précisément, c’est l’une des hypothèses. Une autre serait de savoir s’ils sont nombreux à être inscrits sur les listes électorales.  
 


Catherine, une assesseure, propose de regarder combien de jeunes de 18-25 ans sont inscrits sur ses listes. Après un méticuleux comptage, elle en trouve 64 sur 673 votants. C’est peu. Mais elle précise que le centre-ville renferme une population plutôt âgée. Elle me conseille aussi de revenir dans l’après-midi pour avoir une chance de tomber sur ma cible du jour.

En attendant, les jeunes, je décide de les chercher dans la rue. Je tombe sur deux magnifiques brunettes, Savannah et Sarah, 19 ans chacune. En tenue cosplay (pratique consistant à revêtir l'apparence d'un personnage issu des mangas, de la science-fiction et des jeux vidéo), elles se rendent à une convention au Parc Expo de Mulhouse (la convention Geek Unchained 5).

Et chemin faisant, elles n’iraient pas voter par hasard ? Ben non, car ni l’une ni l’autre ne sont inscrites sur les listes électorales. Je leur demande donc pourquoi.
 


Savannah : " Parce que j’ai beaucoup de travail, j’ai pas la tête à ça. En plus je prépare mon déménagement à Paris dans deux mois." Sarah non plus n’a pas le temps. Elle est étudiante en alternance et se présente comme influenceuse sur TikTok et Instagram.  "Dans un an, je pars en Corée, apprendre le coréen. Donc là c’est surtout objectif Corée." C’est sûr, vu sous cet angle, les élections sont loin, très loin de leurs préoccupations. A peine majeures, Sarah et Savannah se projettent d’abord professionnellement sur l’avenir.

Mais quand même, une question me taraude : A votre avis, pourquoi les jeunes ne votent pas ? D’après Savannah, "on ne nous explique pas assez, on ne sait pas ce que ça va nous apporter. Par exemple, je fais une école privée de cosmétique très chère, j’ai voulu savoir s’il y avait des aides de la région, et il n’y en a pas." Vous ne savez pas du tout ce que font les élus régionaux et départementaux ? "Non je ne sais pas du tout."

Sarah : "On n’est pas trop informé, voire pas du tout. Il faudrait programmer cela dans les livres scolaires. Nous expliquer au lycée quel impact ces élections ont sur nous. On pourrait aussi imaginer une élection en classe, pour déterminer les tendances des candidats qui nous intéressent le plus."
 

On ne sait pas ce que ces élections vont nous apporter.

Savannah, 19 ans

J’en reste coite. Voilà des propositions censées, pour comprendre la politique d’aujourd’hui, il faudrait en parler à l’école aux futurs votants. Car c’est bien beau de bachoter les enjeux de la Révolution, le parcours inédit de Napoléon. Mais aux final, si les élèves méconnaissent à ce point le rôle et le pouvoir de nos élus régionaux et départementaux, pourquoi iraient-ils voter ?

Je demande aux cosplayeuses ce qu’il faudrait d’autre pour les intéresser à ces scrutins ? " Qu’on nous intègre plus, et qu’on ne nous parle plus comme des enfant. Si on nous en parlait avec nos mots, on comprendrait mieux." Et moi benoitement de proposer : vous souhaiteriez une émission télévisée consacrée à ça ? Savannah : " Ben nous on n'en regarde plus des émissions, on est sur les réseaux sociaux, s’il y avait des rubriques là-dessus, ce serait bien."

Et là sur les réseaux sociaux, il n’y a rien sur les élections ? "Je ne vois rien de particulier, et pourtant je suis beaucoup sur les réseaux." Et Sarah l’influenceuse de renchérir : "Sur les réseaux, il en ressort surtout du négatif, et c’est plutôt quand l’élection a eu lieu, par exemple quand un candidat a été élu et se fait critiquer ensuite. Moi je dis stop au buzz des petites phrases. On n’apprend rien avec ça."
 

Je dis stop au buzz des petites phrases. On n’apprend rien avec ça.

Sarah, 19 ans

Le message est clair, il faut sensibiliser en amont, avec des mots simples et des informations concrètes, concernantes comme on dit, pour que les jeunes sachent pourquoi c’est important pour eux aussi, pour leur avenir, d’aller voter. Mais quand même, irez-vous voter un jour ? Savannah :"Oui bien sûr, quand je serai sortie des études j’y penserai, mais là j’ai d’abord besoin de penser à moi." Sarah, elle, ira voter surtout pour les présidentielles.

Et vous iriez voter pour qui ? Une tendance ? Sarah, sans hésiter, "pour le parti de Marine le Pen, le FN" - je rectifie, le RN - elle poursuit, enthousiaste : " Je connais pleins de jeunes autour de moi qui voterais pour le RN, même mes amis turcs. Car quand on voit l’état de la France, on se dit que le RN ne ferait pas pire. Il faudrait essayer pour voir."

La messe est dite. Je laisse ces belles demoiselles rejoindre leur convention de Cosplay, et pars à la recherche d’un jeune votant. Devant le bureau de vote de la mairie arrive Claudia, 18 ans. Elle est en terminale et vient voter pour la première fois, accompagnée de sa maman. Je jubile, formidable, une primo-votante, qui vient représenter fièrement les deux jeunes sur dix qui font l’effort d’aller aux urnes cette année.
 


Et pourquoi elle vote Claudia ? "Vu que c’est un droit à 18 ans, c’est important car c’est un devoir de citoyen." Et comment s’est-elle renseignée sur les candidats, pour faire son choix ? "J’ai lu leurs professions de foi reçues dans ma boîte aux lettres." Et autour d'elle, ses camarades votent aussi ? "Je ne sais pas, on en parle jamais."

Dommage, je me dis. Et au lycée, ils en parlent en cours ? Elle m’indique qu’elle est en spécialité SES (sciences économiques et sociale) et sciences politiques. Je la fixe alors, pleine d’espoir : on vous a parlé des enjeux pour ces élections ? Réponse…"Ah ben non, on nous parle surtout des présidentielles."

On nous parle surtout des présidentielles à l'école.

Claudia, 18 ans

Dommage... Et là je me dis quand même qu’il y aurait des solutions simples à mettre en œuvre pour reconquérir cet électorat. Comme le proposait Sarah, il faudrait reconnecter les jeunes aux enjeux de la citoyenneté sur les réseaux sociaux, car c'est ce qu'ils consultent le plus. Il faudrait donc créer des contenus spécifiques pour expliquer ce que font les élus régionaux et départementaux pour les jeunes. Il s’agirait ensuite tour à tour aux candidats, à l’école, et aux médias de s’adresser à eux spécifiquement, de les sensibiliser sur ce que leur vote implique dans leur quotidien.

Bien-sûr, les parents aussi ont un rôle à jouer. Mais quand on observe les taux de participation du premier tour de ces élections ce dimanche 20 juin, je me dis qu’à eux aussi, il faut leur demander comment les remobiliser pour qu’ils acceptent de donner leurs voix. Cela fait beaucoup de solutions à trouver d’ici le second tour. Et si vous en avez d'autres, n'hésitez pas à nous en faire part. 

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