Ce jeudi 15 juin 2023, pour le troisième jour du procès du tueur de DRH devant la cour d'assises de Valence, les forces de l'ordre ont la parole. D'Alsace ou de Drôme-Ardèche, ils détaillent tout au long de la journée leurs enquêtes.
Le procès de Gabriel Fortin, accusé de trois assassinats et d'une tentative d'assassinat en janvier 2021, se poursuit ce jeudi 15 juin 2023. Après deux journées où la personnalité de l'accusé s'est peu à peu dessinée, la parole est aux enquêteurs.
Alors que la séance devait commencer à 9h ce matin, Gabriel Fortin, 48 ans, est arrivé dans son box avec 20 minutes de retard. Il a pu entendre le témoignage du policier en charge de l'enquête. Il se présente comme ayant 34 années d'expérience. "Je n'ai jamais vu une affaire dans laquelle les faits se déroulent 15 ans après le dernier contact avec les victimes", fait-il remarquer.
L'homme commence ensuite à raconter les détails de l'enquête. "Gabriel Fortin n'a parlé que dix minutes lors de sa première audition pour confirmer son identité avant d'être totalement mutique. Ça arrive avec certains prévenus lorsqu'on évoque des faits, mais 'hors procédure', les policiers arrivent à communiquer avec les mis en cause. Mais pas avec Fortin."
Gabriel Fortin, "un paranoïaque"
Le policier, qui considère l'accusé comme quelqu'un de "paranoïaque", continue son récit. Il explique que Fortin a par exemple débranché la batterie de sa voiture pour brouiller les pistes, pensant que le véhicule était balisé. Autre fait intriguant découvert pendant l'enquête, l'homme notait tous les déplacements, plaques d'immatriculation et horaires d'arrivée et de départs chez ses voisins, entre autres.
Pendant 10 ans, Gabriel Fortin a vécu à Nancy (Meurthe-et-Moselle), dans un appartement qui avait appartenu à sa mère, elle qui s'est rapprochée du frère de l'accusé à Strasbourg (Bas-Rhin). "Pendant tout ce temps, il n'y a aucun contact avec ses voisins", continue l'enquêteur.
Il pense que son domicile est fouillé en son absence.
Le policier en charge de l'enquêteAu sujet de Gabriel Fortin
En s'intéressant aux SMS du "tueur de DHR", les policiers découvrent que ce dernier se sent suivi, persécuté. "Il pense que son domicile est fouillé en son absence." Une relation particulière aux femmes est également décelée. "Fortin fait des fixations sur certaines femmes et les contacte par SMS sans s'identifier." Parmi elles, une femme rencontrée dans son club de vol à voile avec qui il converse pendant dix ans "pour parler de tout et de rien".
Côté professionnel, les diverses notations et évaluations le considèrent comme quelqu'un "d'incompétent, têtu, renfermé, isolé et avec un comportement inadapté au monde de l'entreprise".
300 munitions retrouvées dans la Hyundai rouge
Le policier en charge de l'enquête livre également des détails concernant l'interpellation de Gabriel Fortin, le 28 janvier 2021, sur un pont de Valence (Drôme) au-dessus du Rhône. "Nous avons retrouvé 300 munitions, dont 185 dans des chargeurs garnis au pied du siège passager. Pour nous, c'est une quantité très importante."
L'enquêteur se demande si, lors du choc entre le véhicule de police et celui de Gabriel Fortin, toutes ces munitions ne sont pas tombées du siège. "Sans le déclenchement des airbags, l'interpellation se serait déroulée très différemment, vu l'armement de l'accusé."
Une fusillade au centre-ville de Valence évitée ?
Un des policiers qui a percuté le véhicule de Gabriel Fortin explique son choix. "On voulait éviter une interpellation dans le centre-ville, qui est tout proche et avec beaucoup de monde. On savait que l'individu était armé et très motivé. On pouvait craindre des dommages collatéraux."
La décision de le percuter est une décision compliquée, qu'on a dû prendre en un quart de seconde.
Commandant Joël ThineyPolicier présent dans le véhicule qui a percuté celui de Gabriel Fortin
Lors d'une suspension de séance, le commandant Joël Thiney, affecté à l'état-major au moment des faits, raconte cette matinée du 28 janvier 2021. "J'étais avec deux équipiers dans un véhicule. On a su que monsieur Fortin, au volant de sa voiture, empruntait le pont entre Ardèche et Drôme (aussi appelé pont Frédéric Mistral, ndlr.). La décision de le percuter est une décision compliquée, qu'on a dû prendre en un quart de seconde."
Le commandant continue : "Dès que le véhicule s'est présenté devant nous, mon équipier qui conduisait a fait le bon choix. On a percuté son véhicule, ce qui a permis l'interpellation de monsieur Fortin sans coup de feu. On aurait pu envisager une fusillade étant donné qu'il était très déterminé."
Lors du choc, les policiers à bord de la voiture ont été légèrement blessés au niveau de la tête et des cervicales. "Des lésions articulaires, des plaies et des bosses", précise le commandant Thiney. Fortin, lui, s'est laissé interpeller "sans difficulté".
"Je ne regrette pas du tout cette décision. Je pense que, par cette action, on a peut-être pu sauver d'autres vies", explique le commandant, plus de deux ans après cette spectaculaire interpellation. Suite au choc, la voiture de police est partie directement à la casse, irréparable.
Je trouve que l'enquête est à charge.
Gabriel Fortin
L'audience a repris à 14h à Valence. Le président de la cour d'assises Yves De Franca invite Gabriel Fortin à réagir sur sa personnalité après les témoignages qui se succèdent depuis deux jours et demi. "Je trouve que l'enquête est à charge, je ne comprends pas pourquoi on a cherché des témoins du club de vol à voile de Nancy alors que j'en ai aussi fait ici à Valence et plus récemment. Ils me présentent comme quelqu'un d'obtus, de paranoïaque..." , répond l'accusé, sous-entendant qu'il n'est ni l'un, ni l'autre.
Ce sera la seule réponse de l'accusé au sujet de sa personnalité. Le président lui demande s'il veut rajouter quelque chose. "Non merci", répond Fortin. Les avocats des parties civiles tentent également e faire parler le quadragénaire, mais il reste mutique.
Les doutes de Fortin envers la justice française
L'avocat général parvient ensuite à obtenir de Gabriel Fortin qu'il précise sa pensée. Ce dernier lui explique pourquoi il trouve l'enquête à charge. "Les fichiers informatiques ont été remis à la juge." Là encore, il faut lire entre les lignes. Fortin veut signifier par là que ces fichiers n'ont pas été mis sous scellés et sont donc potentiellement corrompus ou modifiés.
Dans la matinée, l'accusé avait pris de nombreuses notes sur un petit carnet. En ce début d'après-midi, il revient sur des cotes précises du dossier. Gabriel Fortin se montre très précis sur les dates, les personnes et les lieux. Pendant un quart d'heure, l'avocat général tente de nouer un dialogue avec lui, avec plus ou moins de succès.
Je sature avec les questions.
Gabriel Fortin
C'est ensuite à Romaric Chateau, l'avocat de l'accusé, de l'interroger. Il évoque avec son client les dix plaintes qu'il a déposées au cours de sa vie : "Combien avez-vous eu de réponses ?". Gabriel Fortin lui répond : "Une seule, sur une plainte concernant le vol de mon vélo. Un classement sans suite." "Des réponses sur les autres plaintes ?"
"Rien rien rien !", répond son client avant de déclarer qu'il "sature avec les questions". Romaric Chateau lui demande ensuite s'il a confiance en la justice : "Non, non, non ! Pas après toutes ces années sans réponse."
Retour sur les faits alsaciens
Le capitaine Louis Frottier, chef de la section des atteintes aux personnes de la section de recherches de Strasbourg au moment des faits, vient témoigner. Il revient sur ce qu'il s'est passé le 26 janvier 2021 à Wolfgantzen, là où la DRH de l'entreprise Knauf, Estelle Luce, a été tuée par Gabriel Fortin. Les parents de la mère de famille sont installés au premier rang de la salle d'audience, très émus.
Louis Frottier répète ce qu'ont dit les enquêteurs dans la matinée. "Pendant la garde à vue, lorsque monsieur Fortin était interrogé sur les faits alsaciens, il est resté mutique et enfermé dans sa bulle. Il n'a eu aucune réaction, même lorsque les enquêteurs l'ont informé de son droit à garder le silence."
Ce tel mutisme, c'est du jamais vu.
Louis FrottierChef de la section des atteintes aux personnes de la section de recherches de Strasbourg au moment des faits
Et de continuer : "Il n'aura que deux réactions lors de sa garde à vue avec la section de recherches. Il accroche le regard des enquêteurs lorsqu'un d'eux se trompe et l'appel Meichel (le nom de cet ancien DRH chez qui Gabriel Fortin s'est rendu avant de tenter de lui tirer dessus, nldr.) après plusieurs heures d'interrogatoire et lorsqu'un autre enquêteur lui fait remarquer que sur les quatre victimes, le seul survivant est un homme. De mémoire de la section de recherches de Strasbourg, ce tel mutisme, c'est du jamais vu."
Lorsque le commandant Frottier évoque la soirée du 26 janvier 2021, il n'hésite pas à comparer la tentative d'assassinat contre Bertrand Meichel à "un thriller". Il prend pour exemple le fait que Gabriel Fortin, grimé en livreur de pizza, a demandé à sa victime quel était son nom avant de tenter de lui tirer dessus.
L'avocat de Fortin s'exprime
Alors qu'il ne s'exprimait pas devant les médias depuis le début de l'affaire, l'avocat de l'accusé Romaric Chateau s'est confié au micro de France 3 au sujet de son échange avec son client pendant l'audience. "C'était la première fois qu'on était autorisé à lui poser des questions dans le cadre du procès. C'était un instant offert pour qu'il puisse expliquer ses vérités et son ressenti."
Les témoins requis par le parquet sont plutôt à charge.
Romaric ChateauAvocat de Gabriel Fortin
Interrogé sur les nombreux témoignages qui décrivent Gabriel Fortin comme quelqu'un de paranoïaque, son conseil répond : "Il y a un certain nombre d'aspects de sa personnalité qui questionnent." Au sujet d'une enquête de personnalité que son client juge "à charge", Romaric Chateau appuie : " Les témoins requis par le parquet sont plutôt à charge puisque ce sont des témoins qui ont travaillé avec lui dans les entreprises dans lesquelles il y a eu de grandes difficultés. On a appris pendant les débats que mon client a travaillé dans des entreprises qui lui ont donné entière satisfaction. On imagine que si ses employeurs avaient pu être interrogés, ils auraient décrit un ingénieur de qualité."
Le procès doit encore durer plus de deux semaines. Reste à savoir comment Gabriel Fortin se comportera avec le président et les avocats. Très vigilant lors des deux premiers jours, il s'est dit "saturé" dans la journée par toutes les questions et est apparu tête baissé dans le box des accusés.
"Il n'a pas spécialement envie de s'exprimer. Il estime qu'il a fait beaucoup de mains tendues, beaucoup de gestes envers la justice et que pendant treize années, il a été totalement incompris. Il a fait des demandes auxquelles il n'a pas eu de réponse. Donc aujourd'hui, il n'est pas spécialement désireux de parler. Il estime que ses écrits parlent pour lui", conclut Romaric Chateau.
L'audience de ce jeudi 15 juin a pris fin à 17h30. Le procès reprendra le lendemain à 9h.