Fabienne Lamart, qui conduit un enfant en situation de handicap à l'école le matin et le ramène le soir, n'a pas été payée depuis deux mois. Expotrans, la société qui l'emploie, est injoignable. Démunie, cette salariée ne sait pas combien de temps elle pourra continuer cette activité.
Quelques sonneries, et le message du répondeur. Depuis quinze jours, chaque fois que Fabienne Lamart tente d'appeler son employeur, c'est la même chose.
La société Expotrans l'emploie pour amener un enfant handicapé à l'école et venir le chercher le soir. Un trajet de trente kilomètres essentiel, puisqu'il permet à ce petit garçon de suivre une scolarité normale. Un revenu complémentaire pour elle, mais aussi un plaisir. "Il est trop gentil, c'est un bon petit bonhomme ! C'est un petit garçon qui aime bien discuter de ce qu'il fait", explique-t-elle en souriant, émue.
Plus aucune réponse de l'entreprise
Mais depuis le mois de mars, Fabienne travaille sans toucher de salaire. "On a voulu contacter la boîte, mais il n'y a plus personne qui répond. On a eu qu'un seul message pour nous dire qu'il y avait un souci, qu'ils essayaient de faire au mieux pour le régler. C'était à peu près le 15 avril, et depuis, il n'y a plus de dialogue, personne au bout du fil, personne qui répond aux mails", relate-t-elle.
Fabienne Lamart est loin d'être la seule dans cette situation. Elle ne connaît aucun de ses collègues, mais plusieurs chauffeurs ont contacté le Département de l'Aisne, qui mandate Expotrans pour réaliser ces courses.
"Nous avons été alertés la semaine dernière par des familles et des salariés qui étaient inquiets. On a essayé de joindre cette entreprise, mais évidemment, on n'a aucune nouvelle", déplore Anne Maricot, vice-présidente du conseil départemental en charge du handicap.
Sur les 772 enfants axonais en situation de handicap qui bénéficient d'un service de transport, Expotrans en a 23 à sa charge. "Mais il y a parmi ces enfants des situations qui sont difficiles, avec des relais difficilement applicables, parce qu'il y a des fauteuils et des situations très particulières", précise l'élue.
Et la situation dépasse largement les frontières de l'Aisne. La société a également décroché des marchés publics dans le Jura, les Ardennes, en Mayenne, et ailleurs encore. Partout, les salariés vivent la même chose : les salaires ne sont plus versés depuis le mois de mars.
Une urgence pour les enfants
Pour le moment, Fabienne n'a pas cessé le travail, craignant que ce soit considéré comme un abandon de poste. Dans d'autres départements, les chauffeurs ont invoqué leur droit de retrait pour cesser leur activité.
"Je ne sais pas vraiment ce que je peux faire ou ne pas faire, déplore-t-elle. Pour ne pas être dans l'illégalité, il faut savoir les démarches qu'on doit faire exactement !" Elle a donc contacté le tribunal des prud'hommes et attend d'en savoir plus. Pour le moment, elle a quelques jours de répit : en période de vacances scolaires, elle ne travaille de toute façon pas. Mais dans l'Aisne, les cours reprennent le 6 mai.
Le Département assure avoir trouvé des solutions pour transporter les enfants la semaine de la rentrée, et dit en chercher activement pour la suite. Car un autre problème risque de venir compliquer encore un peu plus la situation. Fabienne craint que la carte fournie par Expotrans pour payer le carburant ne fonctionne bientôt plus.
"Tant que je peux continuer la prestation, je le ferai, mais si la carte ne fonctionne plus, je ne pourrai plus faire les allers-retours. Ce n'est pas à moi de mettre de l'essence dans la voiture..., regrette-t-elle. Il n'y a pas que nous dans l'histoire, il y a les enfants qu’on transporte. Si c'est compliqué pour nous, c'est encore plus compliqué pour eux. C'est quand même un moyen de locomotion qu'on va leur supprimer du jour au lendemain."
Il va falloir faire des restrictions sur beaucoup de choses. On en faisait déjà pas mal, mais avec un salaire en moins, il en faudra encore.
Fabienne Lamart, salariée d'Expotrans
Sans réponse de son employeur, Fabienne se sent impuissante. "Il va falloir trouver une solution. Je ne peux pas postuler sur autre chose. Il faut qu'on arrive à régulariser, parce que ça bloque dans tous les sens ! Même si ce n'est pas mon salaire principal, ça reste un revenu qui m'aidait pour les fins de mois. Ça va être compliqué. On creuse sur les économies."
De son côté, le conseil départemental assure lui aussi être impuissant face à la situation des salariés. "Le département est très attentif, on comprend les gens qui sont en difficulté, assure Anne Maricot. Mais c'est compliqué dans la mesure où ce sont des entreprises qui répondent à un marché public. On a bien évidemment essayé de verrouiller au préalable, mais une fois que le marché est attribué, il est difficile de faire quelque chose. Et on ne peut pas intervenir sur la gestion de l'entreprise."
Dans le Jura, l'union locale de la CGT a alerté l'inspection du travail. La société Expotrans, basée dans le Val-d'Oise, n'a pas répondu à nos sollicitations.
Avec Rémi Vivenot / FTV