Une alerte sécheresse qui dure, des vagues qui brisent vitrines et digues, les premiers effets du réchauffement climatique se font sentir, mais quelles menaces pèsent sur les habitations du Nord Pas-de-Calais ?
Dunkerque, Calais, Saint-Omer ou encore quelques zones du littoral risquent-elles vraiment de disparaître sous les eaux ?
Tout dépend du calcul coût/conséquences. "Les risques de submersion marine et d'élévation du niveau de la mer sont les principales vulnérabilités de la région." selon Dominique Poissonnier, prévisionniste pour Météo France Lille.
La zone triangulaire qui relie Dunkerque, Calais et Saint-Omer est la principale concernée. Cette surface artificielle appelée "polder", a été gagnée sur l'eau grâce à un système de wateringues, des canaux chargés de pomper l'eau.
De fait, son niveau est inférieur à celui de la mer, ce qui la rend d'autant plus vulnérable face à la submersion marine. Selon la DREAL, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, près de 400 000 personnes vivent sous le niveau de la mer dans le Nord Pas-de-Calais.
Alors peut-être êtes-vous déjà tombés sur les cartes de l'institut américain Climate Central qui montrent qu'une partie importante du Nord Pas-de-Calais serait immergée. Une échelle permet de réguler les perspectives selon l'augmentation du niveau de la mer. Elle va d'un à huit mètres.
A huit mètres d'élévation du niveau des mers, la perspective est plutôt catastrophiste :
Mais selon le rapport du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le niveau de la mer devrait continuer à augmenter de 30 à 60 centimètres d'ici 2100 si le réchauffement climatique est limité à 2 degrés et de 60 à 110 centimètres si les émissions de gaz à effet de serre continuent d'augmenter fortement.
La perspective d'augmentation du niveau de la mer à un mètre est donc celle qui pourrait se révéler la plus probable, même si elle reste une hypothèse haute. La submersion marine, si elle reste bien présente, est alors quand même plus limitée.
Si on se concentre sur les deux zones concernées plus en détail, on voit qu'une bonne partie devrait se retrouver sous les eaux.
Du côté du polder reliant Dunkerque, Calais et Saint-Omer, la situation serait assez similaire avec celle de la Baie d'Authie. Une importante partie du territoire serait sous les eaux, et notamment des zones habitées.
Mais ces cartes sont à prendre avec réserve. Elles ne prennent pas en compte les aménagements réalisés par les hommes pour endiguer le phénomène. Car, dans ce cas, même sans augmentation du niveau de la mer, la zone comprenant Dunkerque, Calais et Saint-Omer serait d'ores et déjà sous les eaux.
"Quand on voit ces cartes, on ne peut que se dire que c'est une approche très grossière du problème. Le polder [entre Calais, Dunkerque et Saint-Omer] en dehors du changement climatique est en dessous du niveau des hautes mer. D'ores et déjà, pendant la marée haute, si on enlève les digues et les ports, il y a de l'eau sur la terre. Ça fait 1 000 ans que l'on protège le territoire contre les invasions marines et les inondations.", se justifie Philippe Parent.
Le directeur de l'Institution interdépartementale des wateringues dont le rôle depuis 1976 est d'évacuer les flux d'eau vers la mer grâce à des pompes (les wateringues) et des portes qui vont s'ouvrir et se fermer selon les besoins. Une vidéo d'explication du principe des wateringues est disponible ci-dessous.
Il se veut rassurant : "Aujourd'hui, il n'y a pas du tout d'inquiétudes particulières, ça ne veut pas dire qu'on sous-estime les situations à venir mais on marche sur la Lune, donc des solutions, il y en aura toujours".
Le seul écueil, finalement, ce seraient les coûts : "Actuellement, on a un budget de 3 millions d'euros de fonctionnement et 2 millions d'euros d'investissement. Le coût est toujours la balance pour savoir si les investissements que l'on réalise valent le coup par rapport aux dégâts que l'on évite. Pour l'instant le coût de revient par habitant n'est pas si conséquent que ça par rapport à d'autres services comme le ramassage des déchets".
Mais le directeur de l'Institutions des wateringues considère qu'un autre critère est à prendre en compte : "Il ne suffit pas de dire qu'on va faire une digue de tant de mètres pour protéger les habitants. Il n'y a pas que l'aspect financier des choses, il y a aussi l'aspect acceptable : on imagine mal faire un mur de dix mètres face à la mer."
Alors pas question de déplacer les habitants à l'intérieur des terres ? Non, selon Olivier Caillaud, chef de service commun de défense contre la mer du Pôle métropolitain de la Côte d'Opale (PMCO) : "S'il y a un risque dans les zones inondables, ce serait suite à un gros événement climatique. Peut-être que dans certains secteurs, dans les années à venir, on devra revoir les choses, mais on ne va pas non plus déplacer Dunkerque à l'intérieur des terres".
Face à ce ton rassurant, les agents immobiliers en profitent. Que le bien immobilier soit en zone submersible ou pas, peu importe : " Personne ne nous pose la question. Les gens sont informés au moment du compromis de vente où ils reçoivent l'état des risques naturels et technologiques, mais je n'ai jamais eu d'annulation d'achat lié à ça" explique Stéphane Baes, gérant de l'agence T.L.I transactions immobilières.
Joffrey Janssoone, directeur de l'agence Orpi Horizon, à Dunkerque, appuie : "On vend surtout à des passionnés. Les clients veulent acheter la carte postale. Ils veulent la vue sur la mer tout en sachant très bien qu'en étant face à l'eau, il y a des dangers."
Une situation problématique selon Olivier Caillaud, chef de service commun de défense contre la mer du Pôle métropolitain de la Côte d'Opale (PMCO) : "Ce n'est pas une fois sur place pour signer le compromis de vente devant le notaire qu'on va dire qu'on ne signe pas. Il y a une information qui est obligatoire et qui doit être fournie par l'agence immobilière".
Pour le président de la FNAIM Nord, le syndicat des professionnels de l'immobilier, il ne faut pas multiplier les informations au risque de "tuer l'information exacte, parce qu'on peut aussi parler des éléments de servitude, du droit d'urbanisme du sol, ..."
"Mais quand on achète une maison, c'est une chose que l'on fait une fois voire deux fois dans sa vie. C'est pour ça que la réglementation prévoit beaucoup de choses. On se doit de donner de l'information et j'ai dû mal à concevoir qu'un confrère viendrait à cacher des risques avérés, ce serait commettre une faute" défend-il.
Ce sont justement des informations qui manquent à ces zones pour prévoir au mieux les aménagements à venir. Cette incertitude laisse autant de place au catastrophisme qu'au déni d'un phénomène bien présent mais dont l'ampleur reste donc à déterminer.
La montée des eaux risque-t-elle d'accentuer l'érosion qui a déjà condamné plusieurs maisons ?
Si la montée des eaux est un facteur qui peut accentuer l'érosion, elle n'est en rien un critère prépondérant. Le littoral de la Côte d'Opale est grignoté par la mer depuis de nombreuses années, menaçant les habitations qui se trouvent à proximité.
C'est le cas à Wissant où le réensablement est remis en question, à Equihen-Plage où des habitations ont été abattues pour sécuriser la falaise la plus touchée par l'érosion en 2015 selon la Voix du Nord, la Baie d'Authie où le bois de Sapins s'effondre,...
Ci-dessous, une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux par l'association SOS Baie d'Authie le 29 septembre dernier. On peut y voir des arbres tombés quelques mètres plus bas, le sol sur lequel ils s'appuyaient s'étant dérobé sous les assauts de la mer.
Le sentiment que le phénomène s'accentue ces dernières années domine, mais est-ce qu'il y a un lien à faire avec le changement climatique qui suit la même tendance ?
"Derrière l'érosion dunaire, il y a tout un système qui comprend les dunes, la plage et les petits fonds qui descendent quand même jusqu'à vingt mètres. Ces différentes parties du système côtier sont absolument indissociables. Une érosion des petits fonds entraîne une érosion de la plage puis celle des dunes", explique Olivier Cohen, maître de conférence à l'Ulco, géographe et spécialiste de la géomorphologie littorale.
Autres critères à prendre en compte en plus de celui des petits courants marins, "le régime des houles et des vagues", ainsi que "les aménagements implantés par les hommes sur le rivage. Par exemple, une digue va freiner voire stopper les mouvements de sable le long du rivage, ce qui peut entraîner de l'érosion d'un côté de la digue et de l'autre des avancées".
Mais un autre aspect fait son apparition dans l'étude de l'érosion dunaire et de ses mouvements : "le réchauffement climatique d'origine humaine. Globalement le niveau de la mer monte et de plus en plus vite. Sur la côte du sud de la mer du Nord, l'eau montait de 1,5 à 1,8 mm par an jusqu'au début des années 2000. Depuis le début de la décennie 2010, elle augmente de 3,4 cm par an".
Pourtant, pour l'instant, aucun lien ne peut être établi entre les deux phénomènes : "On fait nos études que depuis quelques années, c'est un délai trop court. Mais de ce que l'on a récolté, on ne peut pas dire que l'augmentation de l'érosion est liée à l'augmentation du niveau de la mer. C'est un petit facteur, mais il y a des facteurs plus prépondérants".
Alors que faire face à ce phénomène ? "Pour endiguer l'érosion, il faudrait connaître exactement la cause sauf que pour l'instant, on a que des hypothèses. Alors on se contente de traiter le problème en posant un pansement".
Exemple de "pansement", la digue de Wissant: "On pose des enrochements mais ça ne va pas solutionner l'érosion, pire ce n'a fait que l'aggraver. Il faut que les solutions apportées soient adaptées à ce qu'il y a à protéger." Des propos que contredit Olivier Caillaud du service commun de défense contre la mer. "Ce n'est pas un pansement mais une reconstruction complète car l'ouvrage était en ruine suite aux tempêtes de 2007. Par ailleurs, la nouvelle digue est en perré en enrochements, ce qui casse beaucoup mieux les vagues et réduit l'érosion en pied d'ouvrage".
Dans la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte de 2012, quatre types de postures pour lutter contre l'érosion côtière étaient proposées : "La première serait de défendre à tout prix le trait de côte pour protéger une zone urbanisée ou d'activité avec une digue par exemple." selon le maître de conférence de l'ULCO.
Deuxième possibilité : "le rechargement en sable qui permet de reconstituer des dunes". Mais c'est une solution qui coûte chère. Le projet de réensablement des dunes de Wissant a notamment été abandonné par les élus du fait de son coût trop élevé, estimé à 30 millions d'euros. Dans ce cas, "on peut décider de laisser l'érosion faire mais c'est souvent mal accepté par les citoyens".
Enfin, quand l'érosion est telle qu'on ne peut pas la maîtriser ou que cela coûtera extrêmement cher, il faut relocaliser. "Cela a notamment été le cas à Ault, au sud de la Baie de Somme. La ville a pris le parti de ne plus bâtir en mer mais sur les hauteurs. Les gens ont été expropriés".
"En France, c'est une situation possible car le territoire est grand, mais les Pays-Bas savent qu'ils sont condamnés à lutter contre l'érosion coûte que coûte, car leur territoire est immersible au 2/3".
Phénomène très visible et qui inquiète beaucoup, l'érosion est pourtant très peu liée au réchauffement climatique. A contrario, les fissures qui se développent sur les murs des maisons du territoire sont elles, bien liées au changement climatique et à une de ses conséquences : la sécheresse.
Dans les terres, un risque est déjà bien présent et installé : la sécheresse. Mais quel impact sur l'immobilier ?
La sécheresse est à l'origine de nombreuses fissures dans les maisons qui poussent déjà des propriétaires à abandonner leur maison et des communes à déposer des arrêtés de "catastrophe naturelle". "Le changement climatique est en cours, tout le monde l'a constaté. Il est bien dû à l'accumulation dans l'atmosphère des gaz à effet de serre émis par des combustibles fossiles. Les effets de ce changement sont le plus souvent négatifs", explique Dominique Poissonnier.
"Parmi les conséquences déjà observées, il y a celle de l'augmentation des températures. On bat régulièrement des records et les périodes de canicule sont plus fréquentes et plus intenses", ajoute-t-il.
Pour appuyer son propos, il revient sur l'épisode caniculaire de cet été : "Au mois de juillet, au niveau national, on a battu de 4°C voire plus les records précédents. C'est la marque d'un climat qui change non seulement avec des températures qui sont plus fortes mais aussi avec une plus grande variabilité des températures et des épisodes de canicule plus intenses et plus fréquents".
Conséquence, dans le Nord, l'alerte sécheresse a été étendue à l'ensemble des communes du Nord et devrait durer au moins jusqu'au 30 novembre. Tandis que dans le Pas-de-Calais, l'alerte est toujours en cours et fait de nombreux dégâts.
Premier exemple, celui d'un couple et de leur enfant de onze ans, contraints de quitter leur maison à Leforest (Pas-de-Calais) pour "péril imminent".
"Nous sommes révoltés", confie Dorine Croci, propriétaire depuis 2013 de cette maison où sont apparues de multiples fissures sur les murs et les sols. "En deux ans, la maison s'est dégradée à une vitesse folle".
La maison a été construite en 1990 sur un sol très argileux. En fin d'hiver, ces sols gonflent avec l'humidité puis se rétractent à partir du printemps sous l'augmentation de la chaleur et de la sécheresse. Les fondations des maisons bougent et des fissures apparaissent.
Afin de faire jouer les assurances, la municipalité a adressé en 2018 à l'Etat une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, qui a été rejetée : "On n'a aucune explication, c'est la loterie", a-t-elle déploré.
A Givenchy-en-Gohelle, Jean-Marc Fruchart a constaté lui aussi dès 2017 des fissures sur certains des carrelages de sa maison qu'il a payée durant vingt ans. En 2018, la situation s'est aggravée jusqu'à atteindre les murs de son salon et de sa salle-à-manger.
"C'est une situation angoissante. Les procédures sont longues et on ne sait pas à quel coût s'attendre", explique le retraité. Comme à Leforest, l'état de catastrophe naturelle à Givenchy-en-Gohelle n'a pas été reconnu. "Avec ma femme, nous sommes en retraite. Selon les coûts, on se dit qu'il faut qu'on gagne au loto ou encore à l'Euromillions car on n'est pas sûrs que les banques acceptent de nous prêter de l'argent" soupire-t-il.
Autre exemple mais cette fois-ci dans le Nord. Matthieu Pattez est allé à la rencontre de deux habitants de Bailleul. Des fissures sont apparues sur les murs de leur maison qu'ils occupent depuis vingt ans et le séjour a dû être condamné.
Au contraire de l'augmentation du niveau des mers, la sécheresse fait déjà ses premières victimes et rend encore plus concrète la menace quotidienne du réchauffement climatique.