Affaire Buitoni : le scandale des pizzas contaminées était-il prévisible ?

Selon les autorités sanitaires, les pizzas Fraîch-up de la marque Buitoni sont à l'origine de la recrudescence des contaminations à la bactérie Escherichia coli chez des enfants. L'usine de fabrication de Caudry, dans le Nord, présente-t-elle des problèmes d'hygiène ?

Les normes d'hygiène ont-elles été respectées à l'usine Buitoni de Caudry, dans le Nord ? Ces derniers jours, les accusations se multiplient à l'encontre de la marque du groupe Nestlé. Des photos prises il y a plusieurs mois sur le site de fabrication montrent des lignes de production insalubres. Une ancienne haute dirigeante de la multinationale dénonce des "négligences" sanitaires à l'échelle du groupe. Ce qui amène à poser la question suivante : l'affaire des pizzas contaminées à l'Escherichia coli (E.coli) était-elle inévitable ?

Mercredi 30 mars, la Direction générale de la santé a confirmé le lien entre les pizzas surgelées de la gamme Fraîch’Up et la recrudescence des cas de syndromes hémolytiques et urémiques (SHU) chez des enfants, liés à la bactérie E.coli. En France, deux enfants sont morts des suites de l'infection et 75 cas ont été détectés dans 12 régions. A l'échelle locale, dix enfants malades sont hospitalisés au service pédiatrique du CHU de Lille. Nous avions récemment recueilli le témoignage alarmant de la mère d'un de ces malades.

Des photos incriminent la propreté de l'usine

Face à la gravité de cette affaire, le site de fabrication des pizzas de la gamme Fraîch'up, à Caudry, s'est retrouvé dans l'oeil du cyclone. Des photos diffusées dans la matinale de RMC, jeudi 31 mars, montrent des parties de la chaîne de production souillées. Un témoignage anonyme d'un ancien salarié de l'entreprise, resté "18 mois" à Caudry, accompagne les images. Il évoque la présence de "champignon au mur", "de vers sur les tapis où les pizzas passent", "de bouts de nourriture qui restaient à certains endroits plusieurs jours." Des images qui ont déjà été publiées, pour une partie, dans un article du site Mr.Mondialisation, remontant au 11 mai 2021.

Le groupe Nestlé confirme que ces photos semblent avoir été prises au sein de l'usine de Caudry. Mais "ce qu'elles montrent ne représente pas l'état normal, habituel ou acceptable de l'usine", a déclaré Pierre-Alexandre Teulié, directeur général de la communication de Nestlé France. "Si cela correspond à une réalité", il ne pourrait s'agir que de situations ponctuelles, "après une panne" ou "lors du processus de nettoyage", a-t-il précisé.

Nestlé évoque des prélèvements "négatifs"

Ce dernier souligne également que des contrôles inopinés menés en septembre 2020 et mars 2021 n'avaient relevé aucun écart avec la réglementation. Nestlé assure également avoir mené 75 prélèvements sur la ligne de fabrication concernée par la contamination et dans toute l'usine, "tous négatifs". Jusqu'ici, le groupe agroalimentaire ne confirme pas le lien entre la hausse récente de SHU chez les enfants et l'ingestion de ses pizzas Fraîch'up. "A ce stade, nous sommes dans l'investigation pour comprendre ce qu'il se passe", a déclaré Jérôme Jaton, directeur général industriel de Nestlé France, mercredi 30 mars.

Une ex haute dirigeante de Nestlé avait donné l'alerte

Le témoignage incriminant d'une ancienne haute dirigeante de Nestlé, devenue lanceuse d'alerte, vient fragiliser la défense du groupe. Yasmine Motarjemi a travaillé durant 10 ans comme directrice de la sécurité alimentaire au siège de la multinationale, en Suisse, avant d'être licenciée en 2010. Elle reprochait à son supérieur hiérarchique sa "gestion de la sécurité des aliments et les entraves qu’il mettait à son travail." 

"J'ai alerté à tous les niveaux de ma direction pendant quatre ans sur différents dysfonctionnements, explique-t-elle. Ils ont refusé de m'entendre." Cette ancienne cadre de l'Organisation mondiale de la santé, débauchée par Nestlé en 2010, évoque de précédentes affaires sanitaires au sein de l'entreprise, comme en 2009, aux Etats-Unis. "Un incident similaire à celui en France." Elle déplore : "c'est au rythme des incidents que Nestlé améliore sa sécurité."

"Trouver une contamination par échantillonnage c'est difficile"

Concernant le cas précis de l'usine de Caudry, et les photos qui circulent, Yasmine Motarjemi ne souhaite pas se prononcer "sans connaître le contexte". Elle réagit toutefois à la communication du groupe Nestlé sur les 75 prélèvements "négatifs". "Il faut savoir que cette bactérie Escherichia coli peut causer des infections alimentaires avec une très faible dose, explique-t-elle. Alors trouver une trace de contamination par échantillonnage, c'est très difficile, parfois même impossible. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas."

Selon elle, l'entreprise commet trop de "négligences" sur la sécurité alimentaire. Elle argumente son propos par une histoire. "Une fois, un supérieur a mis sur la table un rapport d'inspection insatisfaisant, raconte-t-elle. Je lui dis alors que nous devons envoyer immédiatement une équipe dans cette usine, pour régler le problème. Mon supérieur m'a répondu : "ce n'est pas comme cela qu'on gère, on doit envoyer une lettre à toutes les usines pour mieux se préparer aux audits d'inspection." Elle déchante.

Yasmine Motarjemi a porté plainte contre Nestlé après son licenciement pour harcèlement moral et psychologique. Elle a eu gain de cause, le groupe a été condamné le 7 janvier 2020. "Malgré ses alertes et ses demandes répétées d'un audit de son département, la Direction de Nestlé a refusé d'examiner les mises en garde de Mme Motarjemi et a continué son harcèlement", a déclaré son avocat à propos du jugement.

Des bactéries dans la pâte ?

Sur l'affaire Buitoni, l'ancienne collaboratrice évoque des pistes sur l'intrusion possible des bactéries E.coli dans les pizzas. "La farine peut-être une source de pathogène, mais la viande aussi, ou encore les légumes, avance-t-elle. Cela peut venir aussi des employés porteurs de l'infection et qui sont entrés en contact avec les aliments." Le 30 mars dernier, le directeur général de Nestlé France amorçait une réponse sur ce point : "les renseignements que nous avons réussi à avoir se pencheraient sur une potentielle contamination [au niveau] de la pâte."

A cette heure, plusieurs questions restent en suspens, et l'ampleur des conséquences de cette affaire sanitaire demeure encore imprévisible. Les autorités recommandent toujours de ne pas manger et de jeter les pizzas de la gamme Fraîch'up que détiendraient des consommateurs.

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