Le confinement est prolongé pour les Français jusqu’au 11 mai minimum, mais les restaurateurs, cafetiers et hôteliers risquent de ne pas rouvrir avant l'été. Témoignage d'un restaurateur de Wambrechies, dans la métropole lilloise, forcément inquiet.
"C'était déjà dur, ça l'est encore plus depuis l'annonce de lundi." Comme tous les restaurateurs, Benjamin Bajeux a dû fermer en quatrième vitesse, et n'a aucune idée de quand il pourra rouvrir. "Le 14 mars à 19h30, on était complet... à minuit il a fallu fermer. On a fermé du jour au lendemain sans savoir ce qui nous attendait, et on ne sait toujours pas."
"Ç'a vraiment été un coup de massue, d'une grande violence et d'une grande tristesse, se souvient le restaurateur wambrecitain, qui revisite une recette par semaine sur le site Internet de France 3 Hauts-de-France. On était sur une belle dynamique avec notre Bib gourmand obtenu en janvier, ça marchait bien et d'un coup..."
C'était déjà dur, depuis l'annonce, c'est pire
"J'ai eu beaucoup de mal la première semaine, confie le propriétaire du Balsamique Restaurant. Le samedi, j'ai partagé les frigos avec le personnel, mais j'ai quand même dû jeter 2.000 euros de marchandises. Aujourd'hui, j'ai encore des produits qui arrivent à terme, beurre, lait, crème, je vais essayer de faire des dons. C'était dur dès le début... Depuis l'annonce de lundi (13 avril), c'est bien pire."
Depuis, Benjamin s'occupe comme il peut. "Je suis comme tout le monde, je profite un peu des enfants. On a même fait, ensemble, une vidéo un tuto pour apprendre à faire la pâte à gaufres. Le téléphone ne sonne plus. Les mails n'arrivent plus. Je regarde la télé le soir alors que ça ne m'arrive jamais... J'ai découvert Koh-Lanta pour la première fois de ma vie ! Ce qui me porte, c'est que j'ai des travaux en cours."
Le restaurant devait de toute façon fermer pendant les vacances de Pâques, pour effectuer ces travaux. Il était question de rénover, de remettre un coup de frais, mais avec la crise du coronavirus, le jeune homme d'affaires a tout remis à plat s'est lancé dans un projet qu'il avait en tête depuis longtemps.
Un projet de "nouvelle restauration"
"Je voudrais mettre en place des coins d'accueil, où je servirais des tapas, mais pas des planches de charcuterie ou de fromage, plutôt notre carte reproduite en version mini. Trois huîtres, des toasts de foie gras, un mini moelleux choco... L'idée, c'est de lever le protocole de table."
"Ce sera toujours gastronomique, promet-il, mais un peu plus sur le pouce, plus rapide. Pour les VRP, qui n'ont pas eu le temps de manger à 14h, les couples, qui veulent se faire un truc tranquille en fin d'après-midi en sortant du bureau, avant de rentrer faire à manger aux enfants... Je me vois bien servir non-stop de 9h à 22h."
J'ai plein de projets
Une fois lancé dans ses explications, impossible de l'arrêter. "Je garderais la salle arrière pour le restaurant classique. Maintenant, j'ai plein de projets, je me dis pourquoi pas prendre un magicien le mardi, une chanteuse le jeudi, que sais-je encore ?"
En attendant, Benjamin Bajeux a envisagé de faire un peu de restauration à emporter, mais dans quelles conditions ? "Qui sera intéressé ? Est-ce que les gens réchaufferont les plats comme il faut ? Et si je dois livrer, comment ? Est-ce que le chômage partiel de mes employés pourrait être remis en cause ? On ne sait rien. Et de toute façon, ma cuisine est en travaux."
Si mon crédit n'est pas validé, c'est l'avenir de mon restaurant qui est en péril !
La grande incertitude est évidemment financière. "On nous a annoncé que toutes les charges allaient être annulées. Mais lesquelles ? Et quand ? Tout est annulé mais moi je vous le dis, pour l'heure, rien n'est annulé. Urssaf, retraites, assurances, prélèvements d'impôts sur les salaires, tout court toujours."
Avec 10 salariés, la situation devient critique. "J'ai entre 30 et 40.000 euros de charges par mois, a calculé Benjamin Bajeux. Je vais reprendre un crédit de 100.000 euros, de quoi tenir trois mois. Je veux privilégier l'emploi et garantir 100% de leurs salaires à mes salariés, en complétant le chômage partiel s'il le faut. Si mon crédit n'est pas validé, c'est clair que l'avenir du restaurant est en péril !"
Imaginer le monde d'après
Résolument optimiste, le restaurateur quadragénaire a déjà commencé à imaginer le monde d'après. "Il y aura forcément de nouvelles conditions sanitaires à mettre en place. Jusqu'ici, j'étais déjà très à cheval sur l'hygiène, mais là, que va-t-on nous demander ?", s'interroge-t-il.
"On ne peut pas entrer dans une boucherie à quatre, on ne va pas pouvoir entrer dans un restaurant à 20... Il y aura de nouvelles dispositions sanitaires à mettre en place, mais lesquelles ? Éloigner les tables de deux mètres, diviser le nombre de couverts par deux, donc le nombre de salariés aussi ? Il faudra servir avec des masques et des gants ?"
Je veux survivre. Mon métier, c'est ma vie.
"Je veux survivre. Je veux rouvrir, affirme-t-il. Mon métier, c'est ma vie. J'ai décidé de continuer coûte que coûte. Les artisans se relaient sur le chantier, ils n'ont même pas tout le matériel, je ne suis pas sûr de recevoir mes tables et mes chaises, mais peu importe."
"En fait, le plus difficile, c'est l'incertitude. Si on pouvait avoir une date, même lointaine, ça permettrait de se projeter. Nous les restaurateurs, on vient de vivre deux années très compliquées, avec les grèves et les gilets jaunes. Et maintenant, ça... Tout mis bout à bout, ça va être très compliqué, pourtant on est l'un des poumons de la vie française. On fonce droit vers un mur et on ne sait pas si on pourra s'arrêter à temps."