Témoignage. Mort de Fred Dewilde : son ami Franck Coste, également survivant de l'attentat du Bataclan, "le remercie d'avoir tenu jusque-là"

Publié le Mis à jour le Écrit par Noëlle Hamez

Fred Dewilde, survivant du Bataclan, s'est suicidé ce 5 mai 2024, rattrapé par les traumatismes du 13 novembre 2015. Cet auteur de BD était devenu ami avec le nordiste Franck Coste, également rescapé du Bataclan, qui l'a accompagné dans plusieurs projets artistiques autour de ce traumatisme. Franck raconte Fred et ce que représente sa disparition.

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"Le plus dur n'est pas de survivre mais de vivre après..." C'est sur cette simple phrase que Fred Dewilde, illustrateur et survivant de l'attentat terroriste du Bataclan, introduit son profil Facebook. Une simple phrase qui résume terriblement bien les évènements de ces derniers jours : le 5 mai 2024, le dessinateur s'est suicidé, "terrassé par la violence de ses traumas", comme le relate sa famille dans un communiqué.

Presque neuf ans après ce 13 novembre 2015, les attentats de Paris vibraient toujours violemment dans la vie de Fred Dewilde, qui avait couché ses démons sur le papier à travers plusieurs romans graphiques qui racontent son cheminement post-Bataclan. L'illustrateur avait également adapté quelques-unes de ses BD avec son ami nordiste et musicien Franck Coste, alias Cap'tain Boogy, lui-même survivant du Bataclan, pour créer un "spectacle survivant".

Quelques jours seulement après la disparition de son ami, dont il était devenu inséparable et qu'il considérait comme un frère, Franck est inconsolable. L'artiste, habitant du Nord, revient sur cette rencontre qui l'a aidée à ne pas sombrer dans ses traumatismes, à travers l'art, la parole et le lien.

Comment a débuté cette grande amitié ?

Franck Coste : On faisait partie tous les deux de l'association "Life for Paris". On s'est rencontrés et j'ai vu qu'il dessinait. C'est justement la période où je n'arrivais plus à me retrouver dans Cap'tain Boogy, je cherchais un autre visuel et je lui en ai parlé. Je suis parti en vacances et le soir même il m'a envoyé le visage d'un singe les yeux fermés, avec un chapeau sur la tête. Le singe, l'ancêtre de l'être humain, le berceau de l'humanité... Ça m'a porté et ça m'a aidé à me relancer, à me réorienter.

Voilà, on s'est rencontrés comme ça, on discutait musique. Je lui faisais écouter mes morceaux avant tout le monde, il m'aidait à choisir mes guitares, on connaissait nos familles, on était là aux étapes importantes de nos vies... On parlait aussi du trauma de notre histoire et on est devenus très vite inséparables.

Et puis il a voulu mettre en scène Mon Bataclan, La Morsure et puis Panser ma vie (nom de trois de ses romans graphiques, ndlr). Enfin pas seulement en scène mais aussi et surtout en musique. Il m'a demandé de créer la musique et on a monté le spectacle dans le Nord, il avait des attaches ici. On a passé beaucoup de temps au téléphone à pinailler pour un mot, pour une note.

Est-ce que vous pensez continuer à vous produire sur scène sans lui ? Du moins en ce qui concerne votre spectacle commun ?

F.C. : C'était notre spectacle à deux et puis c'est tout, on était partenaires, on a eu les idées ensemble. C'est lui qui faisait tous nos visuels, on avait prévu un album dans quelque temps, on avait déjà la pochette donc, en soi, je vais continuer de travailler avec lui à travers cet album. Puis je ferai d'autres choses, moi aussi je foisonne de projets, mais le gros souci c'est que ça nous replonge tous dans cette soirée-là.

C'était notre spectacle à deux et puis c'est tout, on était partenaires, on a eu les idées ensemble. (...) Je vais continuer de travailler avec lui à travers cet album puis je ferai d'autres choses.

Franck Coste, alias Cap'tain Boogy

C'est horrible la mort de quelqu'un, surtout cette mort-là. Automatiquement il y a une réflexion autour du message que son décès renvoie.

C'est-à-dire ? Les circonstances de sa mort amènent quels types de réflexions ?

F.C. : Le fait qu'il se soit fait ça lui-même, c'est ce qu'il y a de pire dans son décès, dans sa mort. C'est quelqu'un qui allait de l'avant, qui avait plein de projets, qui décrochait toujours son téléphone quand on n'allait pas bien. Il répondait à beaucoup de monde, à trop de monde je pense. Par sa carrure, son caractère, son écoute, il mettait les gens en confiance et là, sa disparition c'est un mauvais message qui passe. Si un bonhomme comme ça peut flancher... Ça me fait peur.

Je n'étais pas forcément sa béquille et il n'était pas forcément la mienne, on avait assez d'orgueil pour ne pas trop demander d'aide à l'autre. Mais à côté de ça on discutait même du plus terrible. Le suicide, la mort, c'était un sujet qu'on avait abordé ensemble. On essayait de se tirer vers le haut et quand on mettait un genou à terre, on savait aussi que l'autre n'allait pas nous juger. Il y avait une grande tolérance.

Par sa carrure, son caractère, son écoute, il mettait les gens en confiance et là, sa disparition c'est un mauvais message qui passe. Si un bonhomme comme ça peut flancher... Ça me fait peur.

Franck Coste

Presque neuf ans après le Bataclan, arriviez-vous à voir le bout de ces traumatismes ? Est-ce que la mort de Fred vous replonge dans ces méandres ?

F.C. : Je me disais que ça faisait neuf ans quand même. Alors OK on allait devoir franchir les 10 ans avec toutes les commémorations et les cérémonies. On s'était dit qu'il fallait quand même passer à autre chose, même si on pensait à relancer Panser ma vie, mais je pensais qu'on avait passé le cap.

Mais là sa mort nous replonge dans la période du Bataclan. Quelques heures après la presse et les politiques s'en sont emparés. Il n'y a pas de temps de récupération après l'impact que cela a eu pour nous. On se sent replonger et à un moment c'est lourd. Quand est-ce qu'on en sort ? Fred était de nature anxieuse, comme moi, alors on se demande combien de temps les nerfs vont encore tenir ? Je lui en veux, mais je le remercie d'avoir tenu jusque-là.

Pour vous, sa mort a-t-elle une symbolique ? S'agit-il d'une défaite face au 13 novembre ?

F.C. : C'est seulement maintenant que j'intellectualise, sur le moment j'ai juste senti que j'avais perdu un membre de ma famille. C'est après que j'ai tilté. C'est un mec avec qui je dansais encore la semaine dernière et avec qui je portais des meubles il y a peu. En tout cas, ce n'est pas une victoire des terroristes, c'est une défaite vis-à-vis de lui-même. Parce qu'on les emmerde ces mecs-là, ils ne sont même pas vraiment humains... C'est une bataille perdue contre l'espoir, mais pas une défaite.

Ce n'est pas une victoire des terroristes, c'est une défaite vis-à-vis de lui-même. Parce qu'on les emmerde ces mecs-là.

Franck Coste

Si vous êtes inquiet pour un proche ou si vous avez des idées suicidaires, vous pouvez appeler le 3114. Gratuit, ce service propose une écoute professionnelle et confidentielle, 24h/24 et 7j/7, par des infirmiers et psychologues spécifiquement formés.

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