Les Hauts-de-France sont traversés par des milliers de cours d'eau. Des cours d'eau qui débordent de plus en plus souvent et inondent villes et villages. Pour limiter à la fois le risque et l'impact de ces phénomènes, les acteurs de la région ont mis en place des solutions, adaptées au mieux au territoire qu'elles doivent protéger.
Rivières, canaux, marais, tourbières... Depuis des siècles, les 19 000 km de cours d'eau des Hauts-de-France façonnent ses paysages, apportant richesse et développement aux populations. Les noms de trois des cinq départements ont d'ailleurs des origines fluviales : la Somme, l'Oise et l'Aisne. Mais la générosité de l'eau se paie, parfois, par ses colères. Des crues destructrices et épuisantes. Face à des phénomènes indomptables, des solutions émergent depuis quelques années pour limiter l'impact des inondations.
À l'aide de leur tachéomètre, Bilal et Maxime s'assurent régulièrement de la hauteur du déversoir de crue de Longpré-les-Corps-Saints. Il s'agit d'une brèche creusée dans la digue qui borde le canal d'assèchement, à proximité du canal de la Somme.
L'électrochoc des inondations de 2001 dans la Somme
"La digue actuelle fait deux kilomètres de long et sert à canaliser le cours d’eau, à retenir et à éviter que le cours d’eau ne déborde sur des zones qui iraient ensuite inonder des habitations, explique Bilal Ajouz, technicien de rivière à l'Ameva. En 2001, on a vu qu’il y avait une pression énorme sur ces digues avec un risque de rupture. Donc plutôt que de faire des travaux onéreux de renforcement de toute la digue, on a creusé un point plus bas sur la digue. Ce déversoir de crue permet de soulager la digue en amont lors de certaines crues."
Le déversoir de crue a couté 160 000 euros, financés par l'Europe, l'État et le syndicat d'aménagement du canal. Il participe d'un grand projet, à l'échelle du bassin de la Somme, lancé après les inondations du printemps 2001.
À partir d’études de modélisation, on a reproduit la crue de 2001 sur un modèle mathématique. Ce qui a permis de définir cette stratégie de mise en place d’une quinzaine d’ouvrages de prévention des inondations.
Olivier Mopty, directeur de l'Ameva
Pendant deux mois et demi, des milliers de riverains du fleuve voient leurs rues disparaitre sous les eaux et leurs habitations dévastées. Très vite, le choix de la création d'une nouvelle autorité sur tout le bassin versant est arrêté. Trente-trois intercommunalités, les trois départements picards, les gestionnaires d'eau potable et d'assainissement, et des associations de propriétaires se réunissent au sein de l'Ameva Somme.
Ensemble, ils lancent un long chantier. En vingt ans, une quinzaine d'ouvrages sont construits ou réhabilités sur le fleuve et ses affluents. Pour un montant de 90 millions d'euros. "À partir d’études de modélisation, on a reproduit la crue de 2001 avec les mêmes débits, avec les mêmes durées d’inondation sur un modèle mathématique, détaille Olivier Mopty, directeur de l'Ameva. Ce qui a permis de définir cette stratégie de mise en place d’une quinzaine d’ouvrages de prévention des inondations, qui, au regard d’une analyse coûts/bénéfices, étaient la meilleure solution. Si on avait la même crue qui revenait demain, on aurait beaucoup moins de dommages. Ça, c’est évident. En durée d’inondation. En surface d’inondation. Il y a toujours des maisons qui sont en zone inondable. Mais les dommages seraient très réduits par rapport à ce qu’on a connu en 200. Et heureusement, au regard des investissements qui ont été faits"
Préparer particuliers et entreprises aux crues
La rivière Aisne offre un cadre idyllique à ce quartier de Choisy-au-Bac. Depuis 1976, Joël Bonvalet habite ici, dans une ancienne maison de pêcheurs, à seulement une dizaine de mètres de la rivière, plutôt calme le jour de notre venue.
Sur le mur de son garage, des traits tracés au marqueur noir : la hauteur à laquelle est montée à chaque crue. "La crue de 1993, c’était à peu près ici, indique-t-il, en nous montrant la marque à 1,80 m à peu près. Et celle de 1995, c’est plus haut, ici, à presque deux mètres. Le garage était rempli et dehors, il y avait de l’eau partout. On ne voyait même plus la pile du pont qui est en face. On ne voyait que l’arche. C’est plus que traumatisant. Et aujourd’hui, quand il pleut, c’est toujours un stress."
Après une énième inondation en 2021, Joël décide de faire installer des équipements de protection devant les portes de son domicile, au niveau d'une bouche d'aération et devant son garage pour empêcher l’eau de rentrer dans la maison.
Pour ces palissades en métal, le devis s’est élevé à 5 000 euros, financé à hauteur de 80% par le syndicat mixte Entente Oise-Aisne dans le cadre du dispositif Inond'actions. 24 particuliers en ont déjà bénéficié. L'Entente Oise-Aisne étend désormais cette stratégie aux entreprises. "On expérimente un audit qui s’appelle le Résiscore et qui a été mis en place par l’association Resiliances. Il permet d’évaluer la préparation des entreprises face aux risques majeurs dont les inondations, explique Marjorie André, directrice de l'appui aux territoires Entente Oise-Aisne. L’eau, quand elle déborde, elle touche tout le monde : les logements, la voirie, les activités économiques. Et c’est important pour les entreprises de se préparer aux inondations pour pouvoir maintenir leur activité."
Lourdeurs administratives
À l'époque, les entrepreneurs d'Appilly dans l'Oise en auraient sûrement eu besoin. Entre 2020 et 2021, le village subit trois inondations. La cause principale trouve son origine dans la décision de la préfecture de l'Aisne d'ouvrir cette vanne en amont pour éviter que l'eau du canal ne déborde sur des zones plus densément habitées.
Ça ne va pas assez vite. Quand il va falloir refaire un nettoyage de ce ru, je ne sais pas à qui m’adresser.
Michel Léger, maire (SE) d'Appilly
Alors l'année suivante, pour limiter les montées des eaux, le maire fait curer le ru qui passe dans la commune et qui est totalement obstrué. Ce chantier réalisé par la communauté de communes du Pays noyonnais réclamera huit mois de délais administratifs. "C’est trop de papiers, trop d’études, se désole Michel Léger, maire sans étiquette d'Appilly. Ça ne va pas assez vite. Quand il va falloir refaire un nettoyage de ce ru, je ne sais pas à qui m’adresser."
Et nettoyer ce ru de sa propre initiative ? "Vous rigolez !! C’est un ru ! Je n’ai pas le droit de nettoyer un ru ! En tant que maire, ça n’est pas de ma compétence. Je ne vais pas venir avec la grue de la commune, creuser et finir en prison…"
Comme Michel Léger, les élus sont souvent désemparés. Alors ? Qui fait quoi ? La loi de modernisation de l’action publique votée il y a 10 ans a créé la compétence Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, dite Gemapi. Elle donne une certaine primauté aux intercommunalités. Mais les zones grises sont nombreuses.
Redéfinir qui fait quoi et où
Alors dans l'Aisne, différents acteurs, élus, techniciens de 90 communes, ont décidé en 2021 de prendre le problème à bras-le-corps. Cartes en main, ils étudient pendant deux ans chacune de ces berges mal définies. Comme ici à La Fère où ils repèrent sous des branchages, presque mitoyen des habitations, un espace à l'abandon, à l'origine d'inondations récurrentes. "À l’époque, c’était effectivement un cours d’eau d’après certaines cartes, raconte Thierry Boutilly, directeur des services techniques et environnementaux à la Communauté d'agglomération Chauny - Tergnier - La Fère. Après beaucoup de réunions durant lesquelles on a redéfini, sur des cartes, quoi était quoi. Et on s’est rendu compte que ce n’était pas un cours d’eau, mais un fossé. Et que donc ce n’était pas un syndicat mixte qui devait le gérer, mais la communauté d’agglomération."
L'attribution de la compétence à la communauté d'agglo permet l'installation rapide d’une vanne, de pompes et bientôt d'un poste de crue. De ce travail collectif naît en septembre 2023 une charte signée par neuf partenaires. Elle formalise les responsabilités de chacun et rend plus efficace la prévention des inondations. Les Boutilliers habitent non loin de la rivière Oise qui traverse la commune. Ils reconnaissent un changement depuis la dernière inondation en 2021. Et pourtant, des crues, ils en ont connu : "93, 95, 2003, 2011, énumère Sylvie. Au plus haut, c’est monté jusqu’à la fenêtre du rez-de-chaussée. Sans compter les petites crues où on remontait tout dans la maison et où ça ne rentrait pas…"
Prévention et pédagogie font partie de la gestion du risque
En janvier 2024, les cotes de montée des eaux étaient à peu près les mêmes que celles de lors des inondations de 2021, "et cette fois-ci, on n’a pas été inondés ! J’ai envoyé un mail à la communauté d’agglomération pour les remercier ! Parce que, là, franchement, le dispositif a été efficace."
On doit communiquer sur ce qu’on a fait pour limiter les risques. Mais on ne doit pas oublier que le risque zéro n’existe pas. Et il faut l’inculquer aux populations sur le territoire.
Olivier Mopty, directeur de l'Ameva
Plus surprenant, à l’Hôtel des formations à Chauny, Thierry Boutilly et son équipe accueillent régulièrement des groupes dans l'espace pédagogique dédié à la pluie. "On va vous montrer la simulation d’une pluie de 10 litres/secondes", annonce-t-il à une dizaine de personnes. Il ouvre une vanne et l’eau coule dans des bacs dans lesquels différents enrobés de sol ont été installés. Enrobé classique, carrelage, pavés… "En cas d’orage, les surfaces drainantes vont permettre d’infiltrer immédiatement l’eau de pluie et éviter d’inonder les points bas."
Construire des digues, entretenir les rus, installer des vannes et des bassins de retenue d’eau….Tout cela n’est que la partie technique de la gestion de l’eau. L’une des données fondamentales en cas de risques d’inondation, c’est le facteur humain. La prévention joue alors un rôle majeur. "La culture du risque, l’information des populations, c’est quelque chose qui est primordial aujourd’hui, conclut Olivier Mopty, directeur de l'Ameva. On y travaille en permanence parce que la vie sur le territoire, c’est un turn over avec des habitants qui n’ont pas connu les inondations précédentes, qui arrivent dans une région, sur des communes, qui achètent un bien en zone inondable ou en tout cas potentiellement inondable. Il y a le côté bucolique et sympa d’habiter près de l’eau. On doit communiquer sur ce qu’on a fait pour limiter les risques. Mais on ne doit pas oublier que le risque zéro n’existe pas. Et il faut l’inculquer aux populations sur le territoire."
Face à la nature, l'humilité est primordiale. Aucun barrage, aucune pompe, aucun repère de crue n'empêchera un cours d'eau de déborder. Mais du riverain à l'État, si chacun prend ses responsabilités, la prochaine grande inondation sera plus supportable que la précédente.
Édité par Jennifer Alberts / FTV