Après une visite la semaine dernière à Calais pour rencontre les trois grévistes de la faim mobilisés en soutien aux migrants, le médiateur Didier Leschi est revenu pour présenter les propositions du gouvernement. "Rien ne change" pour les associations qui ne "veulent plus d'effets d'annonce".
Une semaine jour pour jour après avoir été mandaté par le ministre de l’Intérieur, Didier Leschi, directeur général de l’OFII, est de retour à Calais ce mardi 2 novembre.
Le médiateur, dépêché en urgence pour tenter de trouver une issue à la grève de la faim entamée par un prêtre et deux militants associatifs en soutien aux migrants, est venu leur remettre ses propositions écrites après deux jours d'échanges la semaine dernière.
Le médiateur face aux grévistes
Pour rappel, le père Philippe Demeestère, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein – soutenus par 150 associations et par près de 50 000 citoyens via une pétition lancée en ligne - ont trois revendications pour stopper le "harcèlement" subi par les personnes exilées sur place :
- la suspension des expulsions quotidiennes et des démantèlements de campements de migrants durant la trêve hivernale (qui a débuté ce 1er novembre, ndlr),
- l’arrêt des confiscations des tentes et des effets personnels des exilés,
- l’ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non-mandatées par l’Etat.
Selon le médiateur qui porte la voix du gouvernement, impossible de répondre positivement à la première demande.
Les évacuations vont donc se poursuivre, mais une proposition "systématique" d’hébergement sera effectuée en dehors de Calais, avec un enjeu majeur : "empêcher la reconstitution" de la Jungle de Calais comme il y a cinq ans, explique-t-il : "prendre le risque d’un grossissement du campement comme on l’a connu par le passé ne me semble pas à la hauteur de ce qui est nécessaire".
Concernant la deuxième demande des grévistes de la faim, Didier Leschi propose de prévenir les éxilés avant chaque démantèlement, comme il l’a détaillé ce jour sur France Inter : "il y a la nécessité de laisser les personnes récupérer leurs affaires personnelles et de prévenir en amont, la veille ou l’avant-veille (d’un démantèlement, ndlr) qu’il y aura une opération de mise à l’abri et le jour même, leur laisser ¾ d’heures pour récupérer leurs affaires, y compris les tentes s’ils le souhaitent".
Bien loin donc des revendications portées par les grévistes de la faim et des 150 associations qui les soutiennent.
"Nous ne négocierons pas des propositions infaisables, illégales et hypocrites"
Après une matinée avec les grévistes de la faim, Didier Leschi s’est réuni à 14h30 avec les associations d’aide aux migrants pour leur présenter ses propositions lors d’une réunion. Il en est sorti une demi-heure plus tard sous les huées de plusieurs manifestants rassemblés dans la rue. "30 ans d’effets d’annonces, de traitements inhumains et dégradants", pouvait-on lire sur l’une des pancartes déployées.
Les associations non mandatées par la préfecture sont entrées à l’instant pic.twitter.com/7atIMMPdRD
— Louis Witter (@LouisWitter) November 2, 2021
"Nous quittons la rencontre parce qu’après 23 jours de grève de la faim, trois personnes mettent leur vie en danger, a déclaré Clara Houin, coordinatrice de la Plateforme de Soutien aux Migrants. Aucune réponse n’a été apportée aux revendications des grévistes de la faim. Les propositions que nous avons entendues sont totalement déconnectées de la réalité. Elles ne changeront rien à la maltraitance que subissent les personnes. Il y a une feuille de papier à cigarette entre la situation actuelle et la situation qui naitra de la mise en œuvre de ce qui est proposé". Avant de conclure. "Nous ne refusons pas le dialogue, mais nous ne négocierons pas des propositions infaisables, illégales et hypocrites".
"Les propositions que nous avons entendues sont totalement déconnectées de la réalité. Elles ne changeront rien à la maltraitance que subissent les personnes".
Le médiateur a ensuite pris la direction de la place Crèvecœur pour échanger de nouveau avec les trois grévistes de la faim dans l’église Saint-Pierre, lieu qui les accueille depuis le démarrage de leur grève de la faim le 11 octobre dernier. Il a de nouveau été invectivé à la sortie par des Calaisiens rassemblés sur le parvis. "C’est la honte, c’est leur 23ème jour, ils vont peut-être bientôt être malades", lance une manifestante au médiateur. "C’est à eux de décider", lui a répondu Didier Leschi.
Hébergement "systématique" après chaque démantèlement
Après avoir regagé la sous-préfecture, le médiateur a tenu une conférence de presse pour évoquer des "avancées". Au-delà du délai évoqué pour que les réfugiés puissent récupérer leurs affaires personnelles avant les démantèlements, Didier Leschi assure que les migrants évacués de Calais seront "systématiquement" hébergés hors de la ville. C’est selon lui la question centrale aujourd’hui. En faisant cette proposition, il reconnait de fait que jusqu’à présent, les mises à l’abri n’étaient pas systématiques alors que la loi l’exige. Pour rappel, l’ONG Human Rights Observers estime qu’en 2020 à Calais, 97,6% des expulsions de lieux de vie n’ont pas été suivies de mise à l’abri effective.
Nous dénonçons les propos d'@EmmanuelMacron affirmant que les expulsions visent à emmener les personnes #exilées dans des centres d'accueil.
— Human Rights Observers (@HumanRightsObs) October 26, 2021
A #Calais en 2020, 97,6% des expulsions de lieux de vie n’ont pas été suivies de mise à l’abri effective, y compris l'hiver.@tl7loire pic.twitter.com/yUC6vGllT4
Invité de l’émission C Politique dimanche 3 octobre sur France 5, Didier Leschi a expliqué le choix du gouvernement de ne pas privilégier des lieux d’hébergement à Calais, mais bien ailleurs dans le département et la région. Soit l’inverse de ce que préconisait pourtant la Défenseure des droits dans un rapport publié en septembre 2020, il y a donc plus d’un an.
Claire Hédon demandait "la mise en place d’un lieu où les personnes peuvent se reposer, se ressourcer et envisager la suite de leur parcours migratoire" dans le centre de Calais.
#Migrants : « On va proposer un hébergement qui ne sera pas à #Calais, sans demande d’asile. »
— C Politique (@CPolF5) October 31, 2021
➡️ Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration dans #CPolitique pic.twitter.com/PzA7SHtG2l
Réponse du médiateur dépêché par le gouvernement. "Ce qui est proposé là, c’est un hébergement systématique. Mais il ne peut pas être organisé à Calais, c’est clair, pour différentes raisons D’abord parce qu’à Calais, il n’y a pas que des personnes favorables à la présence des migrants. La deuxième chose, c’est que Calais est un lieu de fixation qui est aussi le lieu où les personnes sont à la main des passeurs. L’état ne peut pas être là en train d’organiser quelque chose qui va permettre aux passeurs de mettre en danger la vie des gens en traversant la Manche".
Où sont installées les structures d’hébergement dans la région ?
Des hébergements hors de Calais donc, dans le département, la région mais également ailleurs en France. "L’OFII, c’est 110 000 places d’hébergement à travers la France. Il y a des places disponibles ou des places qui vont être créées dans la région des Hauts-de-France".
Contactée, la préfecture de région indique qu’il existe au total 7 280 places dédiées aux demandeurs d’asile, réparties entre les cinq départements. Parmi celles-ci, 1 351 sont réservées au premier accueil pour toutes les personnes, qu’elles aient ou non déposé une demande d’asile : dans les centres d’accueil et d’évaluation des situations (CAES) ou dans des structures dédiées à l’accueil inconditionnel pour les personnes évacuées des campements démantelés.
Ces CAES ont pour objectif "d’offrir un sas d’accueil et d’évaluation des situations administratives permettant aux migrants de bénéficier de toutes les informations nécessaires au dépôt d’une demande d’asile", indique la préfecture des Hauts-de-France. Cela veut dire qu’il ne faut pas avoir déposé une demande d’asile pour pouvoir être hébergé, contrairement à d’autres structures comme les CADA (centres d’accueil des demandeurs d’asile) ou les HUDA (hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile).
Didier Leschi assure que de nouvelles places d’hébergement vont être créées dans les prochaines semaines dans la région et particulièrement dans le département du Pas-de-Calais. "J’espère que les propositions telles qu’elles vont être mises en œuvre et finiront par montrer qu’il y a une bonne volonté de l’Etat". Pour l’heure, le père Philippe Demeestère, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein ont donc décidé de poursuivre leur action. Pour rappel, ils ne boivent que de l’eau et du thé depuis 23 jours.