"Je suis tellement heureux, j'en ai pleuré de joie". Bachar al-Assad a été renversé et la capitale Damas "libérée", ce dimanche 8 décembre 2024, par les rebelles islamistes. Un moment historique et d'espoir pour ces deux Syriens, réfugiés en Normandie, que nous avons rencontrés.
"Je suis tellement heureux, j'en ai pleuré de joie". La voix de Sami Kurdi tremble sous l'émotion en prononçant ces mots. Après dix ans de guerre civile, la Syrie de Bachar al-Assad a fini par tomber. Et pour le Syrien, c'est un profond soulagement : "On a attendu ce moment depuis des années. Mon peuple est enfin libre !"
14 ans qu'ils attendaient la chute du régime
Depuis l'automne 2013, Sami Kurdi, 44 ans, vit avec sa femme et ses quatre enfants à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen, dans le Calvados. Il s'est installé ici, après un long voyage qu'il avait entrepris pour fuir son pays.
Ancien colonel de l’armée syrienne, Sami Kurdi a déserté, en février 2012, les rangs de l’armée de Bachar al-Assad, écœuré par les ordres de ses supérieurs pour s'en prendre aux rébellions d’opposants et provoquer la mort de civils : "Je ne pouvais pas accepter et adhérer aux agissements de ce dictateur. Je n'avais que trois options : obéir, être emprisonné ou fuir". Sami Kurdi choisira la dernière option : "Je n'ai jamais commis de crime et je n'en commettrai jamais". Mais sa fuite, il l'a payé cher. Il nous confie, la gorge serrée :
Vous savez, quatre membres de ma famille sont morts par ma faute. Ma mère et mon frère ont été tués en 2015. J'avais deux beaux-frères. Ils ont subi des tortures avant d'être tués à leur tour.
Sami KurdiRéfugié syrien
De la culpabilité, mais avec la chute de Bachar al-Assad, un sentiment de Justice commence à prendre le dessus : "C'est la fête dans mon pays. Les Syriens font la fête dans les rues."
Des Syriens qui ont vécu l'horreur
"La justice", un mot prononcé spontanément aussi par Baraa al Halabi en voyant ce qui se passe dans son pays. Il lance :" Après 55 ans de règne des al-Assad, il était temps que ce régime tombe". Le Syrien de 32 ans vit à Canteleu, en Seine-Maritime. Depuis que le président syrien a été renversé, il ne peut s'empêcher de regarder les images qui tournent en boucle à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Il a les larmes aux yeux : "Ça fait 14 ans qu'on attend ça, 14 ans qu'on attend de jeter ce criminel. On a réussi !".
Baraa al Halabi a aussi vécu l'horreur. Il était au premier plan, en 2011, lorsque la guerre civile éclate, et devient photographe de guerre malgré lui : "Quand je prenais des photos dans la rue, il y avait des bombardements. Je ne savais pas si je rentrerai vivant dans ma famille le soir. Ils ont bombardé les écoles, les marchés, les mosquées, les hôpitaux, partout. J'ai beaucoup de photos d'enfants morts dans une école, un hôpital".
Ces photos, il les a prises à Alep entre 2011, au début de la révolution, et 2017, avant de quitter la Syrie pour sa sécurité. Des images qu'il nous montre et qu'il garde précieusement. Pour lui, ce sont des preuves "des massacres commis par les al-Assad". Il poursuit :
J'ai perdu mon frère, tué par la balle d'un sniper du régime syrien, des amis journalistes tués par Daech. Beaucoup de personnes ont été tuées avec moi, à côté de moi. J'ai pris toutes ces photos, car j'étais dans les bombardements, tout le temps.
Baraa al-HalabiRéfugié syrien
De douloureux souvenirs qui lui font hurler sa colère : "Depuis 2011, les bombardements n'ont pas cessé. Un million de personnes sont mortes, 14 000 sont réfugiées politiques. Tout ça parce qu'un homme, ce dictateur, a décidé ça !".
L'espoir de l'ère post-Bachar al-Assad
Les rebelles qui ont mené l'offensive sont du groupe islamiste Hayat Tahrir al Sham (HTS), une branche avec des hommes qui appartenaient autrefois à Al-Qaïda. Nous demandons au photographe syrien s'il n'a pas peur que le pays tombe aux mains d'extrémistes : "Je n'espère pas. Nous voulons voter pour un nouveau président et être libres. Le peuple croit en ce renversement".
"La guerre et les bombardements se sont arrêtés. Des Syriens, notamment ceux qui étaient réfugiés en Turquie, en Égypte, sont en train de rentrer en Syrie". Le Normand d'adoption n'a pas remis les pieds en Syrie depuis sept ans : "J'ai deux enfants, mes parents ne les ont jamais vus, à part à travers le téléphone", nous explique Barra al-Halabi. Sami Kurdi, lui, n'a pas revu son pays depuis onze ans :
J'espère pouvoir bientôt y retourner, aider à la reconstruction de la Syrie, ressentir l'odeur de cette terre. Je veux revoir le pays où je suis né.
Sami KurdiRéfugié syrien
Barra al-Halabi le promet aussi : "J'aimerais tellement être sur place et photographier ce moment historique. Mais je ne peux pas, je suis réfugié politique. Mais un jour, j'y retournerai, mais pas pour y vivre. J'aime la France. Ma vie est ici désormais".
Les deux hommes ne repartiront pas avant des mois. Ils attendent que l'ère post-Bachar al-Assad se mette en place avec l'espoir de voir leur pays, la Syrie, renaître de ses cendres.
Voir le reportage de d'Ici Normandie