En 2022, en France et en Normandie notamment, la sécheresse de l'été, les incendies, et la vague de chaleur du mois d'octobre ont rendu le dérèglement climatique particulièrement visible. L'agriculture de la région devra inévitablement s'adapter à ce nouveau climat selon un climatologue-géographe.
Le mois d'octobre a été le mois le plus chaud jamais enregistré en France depuis les premiers relevés en 1945, avec une température moyenne de 17,2°C, de 3,5°C supérieure à la normale. Il s'agit du neuvième mois consécutif avec une "anomalie positive", c'est-à-dire des températures supérieures à la moyenne, a relevé Météo-France mardi 1er novembre.
Une poussée d'air chaud en provenance du Maghreb, couplée aux effets du dérèglement climatique, ont causé cette douceur inhabituelle. La Normandie a également souffert de cet épisode de chaleur et de la sécheresse de cet été. Ces phénomènes amènent à réfléchir aux adaptations nécessaires de l'agriculture normande dans les prochaines décennies, comme des experts l'expliquent dans ce dossier spécial.
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Une fin octobre remarquablement chaude en Normandie
Au mois d'octobre 2022, en Normandie, les températures se situaient autour de 14,5-15°C, soit trois degrés au-dessus des normales de saison. S'il n'est pas le mois d'octobre le plus chaud jamais enregistré dans la région, il se rapproche des records des années 2001, 2005 et 2006, explique Thierry Locquet, climatologue-prévisionniste à l'antenne de Météo France Nord à Rouen.
"Ce qui est remarquable, ce n'est pas l'intensité mais la durée et le calendrier" de cet épisode de chaleur, note le prévisionniste. Car si les températures de la première quinzaine d'octobre se trouvent dans les normales, celles de la deuxième quinzaine sont bien au-dessus. "Dans la troisième décade [les 10 derniers jours du mois, ndlr], le record a été battu d'environ 1°C", ajoute Thierry Locquet.
En raison du dérèglement climatique, "les vagues de chaleur sont plus nombreuses, plus intenses, arrivent plus tôt et persistent plus tard dans l'année", résume François Beauvais, docteur climatologue-géographe à l’université de Caen Normandie.
Pluviométrie en-dessous des normes de saison
La pluviométrie est également en-dessous des normes de saison en Normandie. Selon les secteurs, il est tombé entre 25 et 125 mm de pluie en octobre sur la région, contre 60 à 100 mm en temps normal. En dehors de quelques coins et du bocage où il a beaucoup plu, moins de 50 mm de pluie ont été relevés sur la majorité de la Normandie le mois dernier. À Rouen, il est tombé en moyenne moitié moins de pluie qu'habituellement sur les sept premiers mois de 2022.
Les cultures ont néanmoins pu bénéficier des importantes précipitations du mois de septembre, "rare mois humide depuis le début de l'année", qui "ont permis d'améliorer un peu les choses en surface", note Thierry Locquet. Mais après des mois de sécheresse, les sols normands restent "légèrement plus secs que la normale", indique Météo France.
Le climat en 2022 : la norme après 2050 ?
Sécheresse, vagues de chaleurs records, incendies… L'année 2022 a rendu le dérèglement climatique particulièrement visible. "Si on ne réduit pas nos émissions de gaz à effet de serre, l'année 2022 pourrait être une année moyenne après 2050", prévient François Beauvais.
Sans une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, les prévisions pour la période 2071-2100 en Normandie laissent présager un avenir très chaud. La température moyenne atteindrait les "14,8°C à Caen contre 11,5°C actuellement", "le nombre de jours de chaleur serait multiplié par quatre", et "le manque d'eau serait multiplié par trois", explique le climatologue-géographe.
Ces 30 dernières années, les températures en Europe ont augmenté plus de deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale, selon un nouveau rapport de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) publié mercredi. Selon ce rapport, si la tendance au réchauffement se poursuit, des chaleurs exceptionnelles, des feux de forêt, des inondations dévastatrices et d'autres effets du changement climatique feront de plus en plus de ravages dans la société, l'économie et les écosystèmes.
Des fraisiers en fleur en octobre
Conséquences de ces chaleurs exceptionnelles, la faune et la flore normandes sont déboussolées, comme le constate Jean-Pierre Giraud, ancien président du Parc naturel régional des Boucles de la Seine normande. "Sans humidité ni forêts, les batraciens ne peuvent pas survivre. S'ils ne trouvent pas d'endroits frais pour se reproduire tranquillement à l'automne et surtout en hiver, on aura des zones sans batraciens. Et on a bien une réduction des populations", s'inquiète-t-il.
Le 28 octobre dernier, dans son jardin, ses fraisiers et ses roses étaient en fleurs. Du jamais vu. "Normalement, à cette époque, les fraisiers devraient être en repos végétatif et reconstituer leurs réserves pour la future période reproductive vers mai-juin", explique-t-il.
"Certaines espèces, comme le hêtre, ne retrouvent plus les conditions pour se développer", ajoute Jean-Pierre Giraud. Ces derniers ont besoin d'eau en été, "ce qui n'est plus le cas", et de frais, "qui n'est apporté que par le gel et l'hiver".
Pour Jean-Pierre Giraud, il va donc falloir s'adapter, c'est-à-dire "trouver des variétés qui résistent à ce nouveau climat, qui pour l'instant est méditerrannéen, et qui n'a rien à voir avec un climat normand".
Des conséquences sur le lin et l'élevage
Des années comme 2022 pourraient avoir de graves conséquences sur l'agriculture en Normandie. La région représente par exemple 63 % de la production française de lin textile. "Le lin n'aime pas les sécheresses ni les fortes chaleurs car cela peut engendrer des fibres creuses, qui ne sont pas exploitables par l'industrie textile", illustre François Beauvais. "Si on a des années 2022 à répétition, cela peut poser un problème pour la filière agricole", prévient-il.
Cette hausse des températures pourrait également avoir des conséquences sur l'élevage. Or la Normandie est une terre d'élevage. "Cela peut poser problème aux bovins qui se trouvent alors dans un inconfort thermique, ce qui peut engendrer des baisses de production de lait, des infections… Mais aussi des problèmes de fourrage. Certains agriculteurs ont dû attaquer leurs stocks de fourrage dès cet été", souligne François Beauvais.
Les récoltes de blé, de leur côté, ont connu des records de précocité en raison de la température anormalement élevée ayant accéléré la maturité du blé. Au lieu d'avoir lieu fin juillet/début août, elles se sont déroulées mi-juillet. "Etonnamment, malgré un déficit hydrique notable, les pertes ne sont pas aussi importantes que ce qu'on pourrait imaginer, surtout sur les sols épais", constate le géographe. "Cependant, dans les sols plus fin comme au sud de Caen, il y a eu une perte de rendements", note-t-il.
Adapter l'agriculture normande au changement climatique
Quelles sont donc les solutions pour maintenir une agriculture en Normandie ? Selon le climatologue-géographe, lauréat du prix Gérard Beltrando 2022 de la meilleure thèse en climatologie, il faut, d'une part, réduire les émissions de gaz à effet de serre pour éviter de s'inscrire dans les scénarios les plus pessimistes et, d'autre part, s'adapter aux changements.
Le travail de François Beauvais s’intéresse aux conséquences des évolutions climatiques sur la culture du blé tendre en Normandie. Pour lui, l'agriculture doit "imaginer de nouvelles cultures adaptées au climat des prochaines décennies" et il faut donc réaliser des études de faisabilité sur l'ensemble des cultures en Normandie. Mais selon lui, pour l'instant, ce n'est pas fait. "On est vraiment en retard", s'inquiète-t-il.
"On peut jouer sur les variétés qui ont des cycles plus courts afin que leur maturité arrive avant la sécheresse", propose-t-il. Ou trouver des alternatives à certaines récoltes comme le sorgho, une plante que l'on trouve d'ordinaire en Afrique et qui est adaptée à des conditions climatiques plus sèches que le maïs par exemple. "Au lieu de faire du lin de printemps, il faudra peut-être faire du lin d'hiver. Et le chanvre pourrait être une alternative pour produire des débouchés", estime-t-il.
En plus de cela, il propose d'"adapter les pratiques agricoles". "On pourrait imaginer que l'agriculture s'inspire de l'agroécologie, que l'on travaille moins les sols, et que l'on fasse des rotations culturales plus longues."
Concernant le prochain trimestre (novembre à janvier), Météo France indique comme "scénario le plus probable", "la prédominance de conditions anticycloniques, avec un temps calme et sec, sur le continent européen", avec 50% de chances d'avoir des températures conformes aux normales de saison et 30% de chances qu'elles soient plus chaudes.