François Créton a testé toutes les drogues "avec excès et violence". L'acteur, auteur et scénariste vit depuis quelques années à Veulettes-sur-mer. Ses addictions l'ont accompagné durant 40 ans. Des années de souffrance. Ce rescapé sourit aujourd'hui à la vie.
Il déboule sur sa moto, sa gueule de rockeur enfoncée dans son casque. Sur la plage de Veulettes-sur-mer (Seine-Maritime), l'acteur sourit. Il a trouvé sa place dans le calme de cette petite cité balnéaire.
On le reconnaît de loin, avec ses cheveux mi-longs, ses tatouages et son éternel perfecto. Au rade du coin, il commande "un café noir hyperserré". Fini, l'alcool, exit les drogues. Et pourtant, ces substances ont accompagné sa vie durant 40 ans. Comme de perfides amis dont on ne peut se défaire.
"On est assez peu de survivants"
"Au tout début des années 80, la drogue est en train d’arriver partout. J'ai tout testé avec excès et violence. À l'époque, il n'y a pas de prévention, pas de pharmacie qui vend des seringues donc ça veut dire une seringue pour tous. Moi, je vais pécho dans une cité qui s’appelle Charles-de-Gaulle à côté de chez moi, il y a une pompe planquée dans le plafonnier de l’ascenseur pour l’immeuble entier, et donc on se fait tous plomber !"
Sans précaution, sans prévention, sans information, François Créton est contaminé par l'hépatite C. Le virus se transmet par contact avec du sang infecté, présent sur des aiguilles ou par des seringues réutilisées.
Malgré tout, il s'estime chanceux : "Miracle de miracle, je ne chope pas le DAS ( le SIDA), alors que les mecs de ma génération, ceux qui ont vraiment traîné dans la dope, on est assez peu de survivants..."
"J'ai commencé la drogue pour pouvoir supporter ce monde "
Pour François Créton, la drogue était un moyen d'affronter un monde trop rude, trop injuste, trop violent. En se penchant sur les racines de sa dépendance, il analyse :
"Pour moi la défonce, c'était la façon de pouvoir supporter ce qui m'est arrivé enfant. Ce monde quand je suis enfant je ne le supporte pas, il est trop dur pour moi. Les émotions sont trop violentes pour moi...Ce qui se passe dans la vie est trop fort, en fait c’est marrant parce que j’entends souvent des gens dire, ah ouais je me défonce pour mettre du rock ‘n’ roll dans ma vie, moi ce n'est pas du tout ça, je fais tout le contraire je me défonce pour apaiser ma vie parce que c’est trop rock ‘n’ roll justement ! "
Un reportage de Myriam Libert, Félix Bollez et Noémie Cuvelier
Pendant des années, entre deux rôles au cinéma ou deux scènes de théâtre, François Créton se débat pour sortir de sa vie en faillite. Il côtoie des camés, comme lui, il les aime car " ils ont cette fêlure qui laisse passer la lumière".
Mais la drogue et l'alcool le détruisent et sapent ses relations amicales et familiales. "Ça a été l’enfer pour eux, j’ai tout perdu avec la consommation. Les personnes avec qui j’étais m’ont quitté à cause de ça, la femme avec qui j’étais marié m’a quitté à cause de ça, mes enfants ont eu des périodes où il ne voulait plus me voir à cause de ça..."
Physiquement, François souffre en permanence
Les "paradis artificiels" sont au quotidien un enfer bien réel : "Très souvent, en tant que toxico, on a un rapport à la douleur qui est assez particulier. Sur les 40 ans de ma vie où j’ai consommé, j’ai passé plus de la moitié à être mal. Tu passes ta vie à être en manque, à faire des crises de delirium, à trembler le matin, tu passes ta vie dans un corps en souffrance et tout le temps, tu cours après le soulagement de cette douleur avec le produit, mais tu restes tout le temps dans un corps en souffrance."
François Créton continue pourtant de tourner au cinéma. Il enchaîne les doublages et joue dans une vingtaine de films et de téléfilms. L'un d'entre eux, Les héroïques, réalisé par Maxime Roy, sorti en 2021, s'inspire de sa vie.
Ce film avec Richard Bohringer et Ariane Ascaride raconte un parcours similaire au sien, à travers le personnage de Michel, un ancien junkie qui se bat pour être un mec bien, même s’il ne sait pas s’il aura la force de rester sobre après des décennies d’addictions diverses.
François, lui, décide un jour de sortir du « no future ». Dans une existence entre deux mondes, il choisit d'arrêter l'alcool, puis renonce il y a sept ans aux produits de substitution, car, dit-il : "je savais pertinemment que si je continuais à me défoncer j’allais mourir et je ne voulais pas mourir. Le grand paradoxe de la défonce il est là".
La vie après la drogue
François Créton prend donc la décision d'arrêter définitivement les drogues et l'alcool. Mais ce sevrage implique un chamboulement profond. Sans les drogues qui l'accompagnent depuis 40 ans, il craint de perdre sa personnalité. Il ne sait plus vraiment qui il est. François doit redéfinir toute son existence, en dehors de ces substances.
"Ma vie entière était construite autour de la dope, ma relation au monde était construite avec la dope ! Une des grandes difficultés, c'était : comment je fais pour sortir de chez moi ? Pour entrer en relation avec quelqu’un d’autre ? La première fois que j’ai fait l’amour avec quelqu’un sans être bourré ... Au secours ! Je ne savais pas faire ça : je ne savais pas faire des choses toutes bêtes sans être défoncé, donc tu réapprends tout."
Le sport et les réunions comme thérapie
Pour réussir son combat, François Créton trouve plusieurs expédients. À commencer par le sport. Il se rend à Fécamp trois fois par semaine dans une salle de musculation. À 59 ans, il estime qu'il s'agit là d'un exutoire essentiel pour rester enfin "cadré".
Il en fait son nouvel équilibre : "J'ai besoin d'une hygiène de vie, j’ai besoin d’avoir quelque chose de persévérant dans ma vie j’ai besoin que ma vie soit hyper cadrée maintenant. La consommation de drogues, c'est tout le contraire du cadre. Je me suis construit un cadre de vie assez rigoureux et le sport en fait partie."
François Créton trouve aussi du soutien auprès des narcotiques et alcooliques anonymes. Chaque semaine, il se rend dans une réunion, à Fécamp, ou à Paris. Car il sait qu'il ne peut pas s'en sortir seul.
"Je me suis rendu compte que dans ces réunions je suis en compagnie de mes pairs, et que le seul endroit où je peux vraiment vider ma valise de toxico, c’est avec un autre toxico, je me reconnais dans l’histoire de l’autre. C’est vraiment une histoire d’entraide qui fait que ça fonctionne."
François Créton sourit aujourd'hui en pensant à l'avenir, un concept qui lui semblait surréaliste :
"Là, j’arrive à 60 piges, et je suis vivant, et je me dis que je vais peut-être vivre la vie d’un vieux Monsieur, c’était pas gagné... donc OK c’est moins rock ‘n’ roll mais je suis vivant, et ça fait plaisir."
Retrouvez le portrait de François Créton réalisé par Myriam Libert dans "Enquêtes de région" Drogue : la Normandie en première ligne, sur France 3 Normandie mercredi 28 février à 22H55